La classe moyenne est un acteur majeur de développement d’un pays par ses compétences, mais aussi un facteur de stabilité politique et de cohésion sociale par son positionnement stratégique dans “l’épicentre” de la population.
C’est pourquoi dans les pays industrialisés autant que parmi ceux émergents, les pays les plus stables et les économies qui connaissent les meilleurs taux de croissance sont ceux dont les gouvernants accordent le plus grand soin à mettre en place une stratégie appropriée destinée à promouvoir et à développer cette classe moyenne sur tous les plans. Politique active de transferts sociaux, accès aux postes de décision, à la propriété du logement, aux crédits bancaires, à l’ascenseur social, qualité de vie, à des services publics de qualité dans les secteurs de l’éducation, des transports et de la santé, une véritable assurance et sécurité sociales. Malheureusement, ce n’est pas du tout le cas dans notre pays.
D’abord, quelle définition et quels critères pour cerner un tant soit peu la classe moyenne ?
Selon les statistiques officielles, la classe moyenne compte près de deux millions de personnes réparties entre le secteur public (fonction publique et entreprises nationales), le secteur privé et les professions libérales.
60% perçoivent un salaire mensuel inférieur à 1000 D, mais 33% touchent un salaire inférieur à 500 D, ce qui constitue la frange inférieure de ladite classe moyenne. En somme, ces revenus sont dérisoires compte tenu du coût de la vie.
Dans son livre “Les classes moyennes tunisiennes entre mythes et réalités”, Baccar Gherib, professeur d’économie à l’université de Jendouba, explique “la difficulté de déterminer le périmètre de cette classe moyenne, une appellation non contrôlée, qui évoque plus un fourre-tout ou un slogan politique, qu’un concept socio-économique répondant à un minimum de rigueur scientifique”.
Les effectifs de cette classe, selon les estimations de l’Institut tunisien des études stratégiques, ont été réduits depuis trente ans, passant de 84% en 1984, à 70% en 2010 et à 50% en 2018.
On peut dire que la classe moyenne a pratiquement fondu pour diverses raisons alors que la plupart des catégories de chefs de ménages qui “survivent” dans cette classe sociale, le doivent au bradage de leur patrimoine familial, se surendettent ou sont contraints à “se serrer la ceinture” de façon drastique.
Mais alors, où est passée la partie de la classe moyenne qui a disparu ? Elle est tout simplement tombée sous le seuil de la pauvreté avec ce que cela implique comme privations, compromissions et compromis, frustrations, sinon surmenages, divorces, paupérisation…
Selon l’ITES, la classe moyenne a perdu 40% de son pouvoir d’achat depuis 2011. D’après des études d’origines diverses, les constats consternants suivants ont été rapportés : 60% des compte-courants bancaires appartenant aux ménages sont presque en permanence débiteurs.
L’endettement bancaire des ménages a été multiplié par deux depuis 2011.
50% des salariés dépensent la totalité de leur salaire entre le 12 et le 13 du mois, “survant” le reste du mois grâce à plusieurs expédients en attendant le salaire suivant. Un stress financier permanent, source de traumatismes psychiques et comportementaux !
A l’origine de cette érosion grave de la classe moyenne figurent en bonne place la flambée des prix qui a touché le coût de la vie, notamment l’inflation des produits alimentaires, du prix des logements, du coût de la santé et des soins médicaux et du transport.
Mais aussi, l’émergence de nouvelles sources de dépenses comme la scolarisation des enfants dans le privé, les télécommunications et certains loisirs comme les vacances et les voyages. L’effondrement de la cotation de change du dinar y est pour beaucoup, ainsi que la disparité sans cesse croissante des inégalités entre une minorité de riches et une majorité de pauvres.
Une classe moyenne squelettique et/ou menacée de disparition est une source d’instabilité politique, de fragilité économique et de précarité sociale avec des tensions permanentes préjudiciables au processus de la croissance.
C’est pourquoi il faut absolument reconstruire et renforcer la classe moyenne par une diversité de mesures et de programmes dont le développement du tissu entrepreneurial des PME et une politique puissante de transferts sociaux.
Il importe aussi de mettre un terme à la contrebande et à l’évasion fiscale pour financer les projets de développement dans les régions.
Au cours de ces dernières années, il y a eu une détérioration de “l’édifice public” en matière de santé, d’éducation et de transports, avec dégradation de la qualité des prestations de services qui ont contraint la classe moyenne à se ruiner pour recourir au secteur privé, très coûteux, dans l’espoir de trouver un peu plus d’efficacité et de confort.
La classe moyenne ne recule pas devant le recours aux écoles privées pour l’éducation des enfants, aux cliniques privées pour les soins médicaux et à la voiture 4 CV personnelle pour le transport.
L’Etat de droit devrait mettre en place des politiques publiques pertinentes en matière d’éducation, de santé publique et de transport, en privilégiant la qualité pour regagner la confiance de la classe moyenne, soulager son portefeuille et favoriser sa survivance, qui coïncide en fait avec sa propre survivance.