Interviewé à propos du prochain verdict électoral, Mohamed Ben Smaïl, assureur, répond ce 15 janvier : « J’ai 93 ans, l’âge de BCE et nous avons été camarades de classe. Avant d’assurer plusieurs fonctions diplomatiques, j’ai bien connu la colonisation. Ce n’était pas la France qui détenait les rênes du pouvoir en Tunisie, mais le nommé Colona, un Corse leader des colons. La main rouge vient d’eux et ils refusaient jusqu’au bout, de quitter les fermes attaquées par nos maquisards, les fellagas.
Farhat Hached savait que l’éminence grise était Colona. Les maîtres du pays ont été Colona, Bourguiba, Ben Ali et Ghannouchi. Ennahdha domine et elle en a pour l’éternité. Je suis un fervent bourguibiste, mais les modernistes ne pèsent pas lourd devant les islamistes. Aux prochaines élections, le raz-de-marée nahdhaoui ne fait aucun doute ».
Cependant, la dénonciation, par Ennahdha, de la campagne médiatique orchestrée, dit-elle, contre elle en matière d’assassinats politiques, fourbit une arme à double tranchant. D’une part, elle assure l’autodéfense et, de l’autre, elle contribue encore davantage, à braquer les feux de la rampe sur la culpabilité affirmée par le collectif. « C’est la poule qui chante qui pond l’œuf ».
Par ailleurs, à l’orée du verdict rapproché, divers commentateurs mentionnent les rangs serrés des salafistes et la dispersion des progressistes.
Cependant, chargé de l’affaire Brahmi-Belaïd, le juge d’instruction accuse Mustapha Khedher de meurtre avec préméditation. Selon l’avocate Najet Yaâcoubi, membre du collectif de défense, les documents saisis dans la chambre noire du ministère de l’Intérieur prouvent l’accusation. Pour elle et l’avocat Ridha Raddaoui, les procès verbaux impliquent Ennahdha et son organisation secrète. Quel serait l’effet de pareilles affirmations sur l’issue des élections ? Les démocrates escomptent une incidence défavorable.
Comment voter pour les gens de Ghannouchi si la justice confirme les manières meurtrières dénoncées par les avocats du Front populaire ?
Ce point de vue pourrait recéler une part de vérité. Cependant, il bute sur une observation. Le scandale dénoncé à l’échelle mondiale n’a guère empêché les coupeurs de têtes mal islamisées de persévérer. Les espèces, diverses, de Frères musulmans ne divorcent pas, pour si peu, avec leurs convictions. Bien des siècles avant, ces nouveaux coureurs après le califat, la succession des éliminations, dès le décès du prophète, illustre l’alliance du sang versé avec les croyances. Pour cette raison, la mise en difficulté d’Ennahdha lors des prochaines élections ne va pas de soi.
Commanditer l’assassinat, selon les avocats, ne suffit pas. Car les partisans de l’option charaïque inscrivent par pertes et profits l’affaire Belaïd-Brahmi. Pour les deux groupes à distance, mis en compétition, l’épreuve des élections établira la concordance ou la discordance entre le degré de performance et le niveau d’aspiration.
Pareille démarche convie le ton de l’analyse et congédie celui de l’opinion.
De nouveau interviewé avec mes cinq informateurs pro nahdhaouis, Youssef Hsoumi exprime le point de vue prévu : « Belaïd et Brahmi sont partis depuis longtemps, que Dieu leur pardonne ! Jusqu’à quand nos adversaires vont-ils continuer à mastiquer la même pâte à mâcher pour détourner l’attention des problèmes posés au pays ? Comme elle a gagné les Municipales, Ennahdha remportera les élections législatives et présidentielle ». Tout près de là, Hayet Hached, tenancière de la boutique dénommée la Mazraâ, confirme ces dires : « Autour de moi, tous ces marchands sont euphoriques et prédisent le succès d’Ennahdha. Ils refusent d’écouter les accusations portées contre lui. C’est malheureux mais c’est comme ça ».
Selon mes interviewés, choisis en connaissance de cause, l’étau resserré sur les ouailles de Ghannouchi qui, aujourd’hui, contre-attaque, n’aurait pas l’incidence ruminée par les partisans d’une libre pensée. Au cas où ils seraient déasppointés, ils se découvriraient dans la situation d’étrangers à leur société. « Hizb Fransa », accusait Ghannouchi le futé. Avec le patinage sur le sacré, sans cesse revivifié par les innombrables mosquées, on ne badine jamais.
Certes, il appartient aux probabilistes attitrés de jongler avec les probabilités, mais il vaut mieux prévoir le passé ou le présent avéré. La règle vaut pour les économistes, nargués par la reine Elisabeth. L’issue de l’actuelle compétition dépend du rapport de force et non de qui a tort et de qui a raison.
Le rejet du qamis et le dégoût de l’inquisition ne suffisent guère pour gagner les élections. Déjà, les effectifs bien plus nombreux des salafistes venus manifester sur l’avenue Bourguiba, préfigurent l’allure, inégale, du combat.
Pour les vaincus, Tajri arriyahou bima la tachtahi assoufounou.
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