La confusion terminologique

Séminaire «Les intellectuels et les transformations historiques dans le monde arabe»

Qu’est ce qu’on entend aujourd’hui par «intellectuel» ? Ce terme renvoie à un flou terminologique. Dans ce sens, un séminaire intitulé «Les intellectuels et les transformations historiques dans le monde arabe» a été organisé par la Fondation Moulay Hicham, les 17 et 18 mai, à Tunis. Focus.

Les panels du colloque ont été axés sur les «intellectuels arabes dans l’histoire», «les intellectuels et la modernité», «les jeunes, les nouveaux médias et les réseaux sociaux» et «les intellectuels et le pouvoir». Composés d’intervenants de différentes nationalités, des panélistes ont dressé les indicateurs historiques au terme desquels les «intellectuels» ont évolué. «Après ce qu’on a appelé le Printemps arabe, on s’est interrogé sur le rôle des intellectuels dans les révolutions. Mais au lieu d’en parler lors du colloque, nous avons découvert que la définition d’intellectualité n’est pas encore définitive et que par conséquent elle devrait être soumise à une proposition consensuelle», nous a affirmé Mohammed Kerrou, professeur à la faculté de droit et des sciences politiques et coordinateur du colloque.

L’intellectuel : un être multidimensionnel

«Aujourd’hui, il existe un problème de méthodologie dans le processus de «définition» du mot intellectuel. Nous nous posons à cet égard plusieurs questions», nous a affirmé Moulay Hicham, en marge du colloque, dans une interview exclusive à Réalités. «Tout d’abord comment définir un intellectuel aujourd’hui? L’intellectuel pourrait-il être un expert, un scholar au sens anglo-saxon ou simplement un acteur qui reste à la croisée des chemins, entre la pensée et l’action?»

Le terme intellectuel n’est pas mesurable et par conséquent n’est pas si scientifique qu’on pourrait le croire. Aujourd’hui il n’existe pas de définition unanimement admise.

«Ces typologies sont intéressantes à aborder, mais c’est leur diversité qui constitue le vrai problème. L’intellectuel a une dimension multiple et parfois floue par définition. Or, cette ambiguïté ne signifie pas une défaillance de l’intellectuel arabe. Ce dernier est, par essence, inséré dans plusieurs espaces et territoires de communication», nous a précisé Moulay Hicham, cousin du roi du Maroc.

La voix populiste s’empare du net

L’intellectuel oscille entre la réalité et l’obiter dicta. Ce manque de définition assimile l’intellectuel «classique» à un homme du troisième âge portant des lunettes de vue et un bouquin entre les mains… éventuellement entouré de souris.

Pour Layla Dakhli, de l’Institut de recherche sur le monde arabe et musulman à Aix-en-Provence, les intellectuels arabes «les plus installés» écrivent, certes, les livres et sont insérés dans un «univers textuel» qui légitime, notamment à l’égard des personnes ayant des idées préconçues, l’image de l’intellectuel. «Le recours à l’histoire est nécessaire pour complexifier le phénomène. Or, les voies d’expression dans l’espace public se sont diversifiées avec l’avènement d’Internet. Les jeunes lors et après ces révolutions ont avivé des débats plus intéressants», a-t-elle ajouté.

«L’intellectuel est une personne ayant des aspects spécifiques. Les blogueurs ne peuvent pas être des intellectuels», a indiqué Hichem Djait, de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts «Beit Al Hikma», sans toutefois préciser ces aspects.

Une affirmation qui a étonné plusieurs invités au colloque organisé par la Fondation Moulay Hicham pour la recherche en sciences sociales sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, plus communément appelée Fondation Moulay Hicham. Pourtant, plusieurs intellectuels en réalité pourraient créer des blogs. À ce moment, l’intellectuel «historique» serait-il dès lors effacé? Les avis ont été très divergents sur cette question. Et c’est cette diversité intellectuelle et culturelle qui crée l’ambiguïté, voire l’angoisse woltonienne.

«Ce phénomène est à reconfigurer. Lors de la Révolution tunisienne. Par exemple, on a assisté à l’émergence d’une nouvelle forme de communication, celle de la cyber-dissidence à travers les blogs. Après la Révolution, le choix a été orienté vers Facebook. Ce n’est pas un hasard, je pense qu’il existe un va-et-vient entre deux Tunisie : la Tunisie actuelle et la Tunisie virtuelle», a affirmé M. Larbi Chouikha, enseignant chercheur à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI.)

Le consensus pour avancer

Le consensus ne tue pas. Ce colloque représente le fondement d’un débat vers un indispensable consensus. Certes, le consensus est un “common ground” qui ne reflète pas nécessairement un win-win. Il aide néanmoins à dépasser le stade du brainstorming pour évoluer vers une nouvelle étape : la théorisation.

Farhad Khosrokhavar, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris et membre du comité scientifique de la Fondation, a proposé le terme «intellectuels intermédiaires» pour les blogueurs actifs. «Ils jouent plus un rôle de médiation entre la société et l’espace où agit le pouvoir», souligne-t-il.

De surcroît, la blogosphère constitue un espace vital et équitable. «Les intellectuelles sont très rares dans la sphère réelle et de plus en plus présents dans la blogosphère. Elles s’affirment et assument», a-t-il enchaîné, indiquant que cette nouvelle «révolution féminine» permet de faire face au patriarcat intellectuel et se transforme en un «intellectuel modeste.»

À l’instar du cultivé, l’intellectuel n’est pas celui qui a un savoir érudit, très poussé ou qui a des antennes savantes rarissimes. Dans le sens d’Edgar Morin, «tout ce qui sort de la nature est une forme de culture et d’intellectualité». Tout le monde travaille son esprit, mais à des degrés différents.

«Cette confusion intellectuelle a engendré un recours médiatique massif à l’expert (ayant un savoir plus ou moins pointu) plus qu’à l’intellectuel qui n’est pas spécialiste de sa spécialité», s’est étonné Dakhli.

Chaïmae Bouazzaoui

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