La BCT vient de publier un tableau de bord de l’économie tunisienne, arrêté au 30 septembre, où la plupart des indicateurs économiques et financiers clignotent dans le rouge vif. Ce rapport tombe au moment où une nouvelle majorité vient d’émerger des urnes à la Chambre des députés, en attendant le résultat décisif de l’élection présidentielle.
Une croissance lente et fragile
Le taux de croissance économique du pays, qui était prévu initialement de 3,5%, a été actualisé ensuite à 3% à cause des difficultés rencontrées dans certains secteurs-clés comme ceux des phosphates et du Groupe chimique, mais aussi du tourisme et des industries manufacturières, sans compter la baisse de la production énergétique.
Finalement, le rapport de la BCT a retenu aux termes de l’année 2014 un taux de croissance du PIB de 2,4%. Cette croissance peut être qualifiée de lente et fragile compte tenu de la dégradation de certains facteurs comme celui de la chute de la parité du dinar et de l’inflation galopante.
Il faut dire que cette année le secteur de l’agriculture enregistre des performances sur tous les plans : la campagne céréalière, la récolte oléicole qui sera de 280.000 tonnes, soit quatre fois plus que la précédente, ce qui ouvre des perspectives intéressantes à l’export.
Il en est de même pour les campagnes imminentes des agrumes et des dattes.
Les taux d’inflation et de chômage demeurent élevés
Les taux d’inflation et de chômage enregistrés par l’Institut des statistiques qui sont déjà élevés ne correspondent pas du tout à la réalité du coût de la vie et encore moins à la perception et à la réalité des choses que les consommateurs ressentent au niveau de la dégradation de leur pouvoir d’achat.
En effet, le taux d’inflation à fin septembre était de 5,6% selon l’INS alors qu’il était de 6,2% une année auparavant.
En fait, le citoyen considère que son pouvoir d’achat a baissé en moyenne de 40 à 50% et que les rubriques fruits, légumes et viandes ont en moyenne doublé de prix en quatre ans, ce qui est dramatique pour les catégories défavorisées, mais aussi pour les classes moyennes dont les revenus sont limités et les salaires presque figés.
Théoriquement, le taux de chômage a baissé de 18,9% en 2011 à 15,9% en 2013 et à 15,2% au troisième trimestre 2014.
En réalité, nos statistiques souffrent de façon notoire de sous-déclarations, car les réalités démographiques et économiques du pays sont nettement différentes.
Il n’y a eu que très peu de recrutements dans l’Administration en 2014, tandis que dans le secteur privé les recrutements sont non seulement réduits, mais les investisseurs étrangers qui partent et les entreprises en difficultés qui ferment engendrent du chômage tandis que les investissements se font rares. Les 200 entreprises étrangères parties ont provoqué la perte de 10.000 emplois.
Or, il arrive 70 à 80.000 jeunes chaque année sur le marché du travail.
Nous en sommes actuellement à 240.000 diplômés du supérieur au chômage.
Les déficits extérieurs : approfondissement
Le déficit de la balance courante constitue un souci majeur, car il continue à s’élargir de façon inquiétante.
En effet, le déficit a atteint le montant de 5.843 millions de dinars, soit 7,1% du PNB, un approfondissement de 35,5% qui représente 1.532 MD.
Alors qu’à la même date du 30 septembre 2013 il n’était que de 4.311 MD, soit 5,6% du PNB.
C’est dire que les pouvoirs publics se contentent d’agir en spectateurs face aux opérateurs privés en matière d’importation et de transfert de paiement en devises sans prendre des mesures respectives ou contraignantes pour limiter les dérives et les abus, car les importations comportent souvent des produits inutiles, de luxe ou de fantaisie.
En matière de commerce extérieur, si les exportations stagnent grâce aux efforts des entreprises exportatrices malgré la crise économique qui frappe notre partenaire, l’Union européenne, les importations se développent au point que l’écart entre les importations et les exportations en valeur a augmenté de 20% en un an.
Ainsi le taux de couverture des importations par les exportations n’est plus que de 66,4%, perdant ainsi 4%.
En effet les importations ont augmenté de 6,2% et portent aussi bien sur des produits fondamentaux comme l’énergie et l’agroalimentaire, mais aussi sur le superflu et l’inutile.
L’investissement reste en panne
Les investissements directs étrangers ont baissé de 12,6% tandis que les investissements étrangers en portefeuille (valeurs à la Bourse de Tunis) ont baissé de 27,5%, passant de 122 MD en neuf mois de 2013 à 88 MD au 30 septembre 2014. Cela traduit l’inquiétude et le manque de confiance des opérateurs économiques étrangers dans «le site investissement Tunisie.»
Même le secteur énergétique connaît une baisse, de 11% en 2014.
Le secteur des industries manufacturières qui a toujours connu un dynamisme certain a été affecté de façon sensible puisque la régression des investissements a atteint 31,5%. Par suite l’impact sur l’emploi est conséquent.
Seul le secteur des services continue à attirer les investissements avec une croissance de 18,9%.
C’est ainsi que la Qatari National Bank a connu une augmentation de capital de 101 millions de dinars et que le Fonds d’investissement Abraaj vient de prendre une participation majoritaire au capital de la polychimique Taoufik pour un montant de 50 MD. Du coup, la famille Bouchamaoui n’est plus majoritaire, mais reste gestionnaire.
Les investissements sont répartis ainsi sur les différents secteurs d’activité : énergie 61%, industries manufacturières 20% et services 18%.
Gestion des finances publiques : un léger mieux
Même si l’on fait abstraction des dons extérieurs, des recettes enregistrées lors des privatisations ainsi que des produits de la vente des biens confisqués, il y a lieu de constater qu’il y a une atténuation du déficit budgétaire.
En effet, la gestion du budget à la fin août 2014 laisse apparaître un déficit de 47,3 millions de dinars seulement contre un déficit de 939 MD un an plus tôt, ce qui constitue un léger mieux.
Les recettes fiscales à fin août 2014 sont en hausse de 10,9% alors qu’elles étaient en baisse de 0,7% un an plus tôt.
Les dépenses de fonctionnement de l’État sont en hausse de 2,2% cette année à fin août, alors qu’elles étaient en croissance de 17,1% un an plus tôt. Cependant les dépenses relatives aux investissements stagnent avec +0,6% cette année contre une hausse de 8,4% en 2013.
Il faut croire qu’il y a une meilleure maitrise de la gestion des deniers publics.
Opérations en capital et ajustements financiers
La balance des opérations en capital et des ajustements financiers avec l’étranger s’est nettement consolidée en 2014 par rapport à 2013 passant de 2.955 MD à 7.069 MD grâce aux capitaux d’emprunts à moyen et long termes totalisant 4,5 milliards de dinars.
Il faut dire que le taux d’endettement du pays qui était de 41% en 2013 a grimpé à 44,1% en 2014.
Il y a lieu de remarquer que notre pays a remboursé 1,549 milliard de dinars en 2014.
Il y a lieu de remarquer également que la Tunisie a bénéficié du versement des 2e, 3e et 4e tranches du crédit stand by accordé par le FMI et d’un crédit de 320 millions de dinars accordé par la Turquie.
À tout cela s’ajoute l’emprunt obligataire conclu par la Tunisie sur le marché privé des capitaux aux USA, garanti par l’État américain, pour un montant de 500 millions de dollars US, soit 859 millions de dinars.
Il convient de remarquer que tous ces crédits ont permis de combler les ressources du Budget de l’État et ont servi pour l’essentiel à faire face aux dépenses de fonctionnement (salaires des fonctionnaires) et de compensation, mais peu ou pas du tout à l’investissement.
Les subventions accordées aux entreprises publiques déficitaires y sont également pour quelque chose.
Des plages d’embellie
Il faut reconnaître qu’il y a des motifs de satisfaction dans certains secteurs d’activité qui ont enregistré sinon des performances du moins des résultats en amélioration sensible. C’est ainsi que le secteur agricole a réalisé des résultats satisfaisants pour ce qui est de la récolte céréalière qui a atteint 24 millions de quintaux. On s’attend à une récolte record pour l’huile d’olive pour la fin de cette année, mais aussi à cheval sur 2015 et évaluée à 280.000 tonnes.
Il y a lieu de remarquer que les transferts en devises des TRE ont augmenté de 7,8% pour atteindre 2.184 millions de dinars malgré la croissance du chômage dans les pays de l’UE.
En fait, cette croissance est due plus à la dépréciation du taux de change du dinar qu’à l’augmentation du montant des devises en valeur absolue.
Ridha Lahmar