La construction européenne s'est développée progressivement par étapes en passant de la Communauté du charbon et de l'acier (CECA) en 1951, à la Communauté Économique Européenne (CEE) en 1958, à l'Union Européenne (UE) au stade actuel de son évolution. Après les différents accords sur l'harmonisation du système monétaire européen, et le Traité de Maastricht de 1990 qui avait pour objet de préparer la convergence financière et budgétaire des pays européens en fixant comme objectifs de limiter des déficits budgétaires à 3 % du PIB et la dette publique de chaque État à un maximum de 60 % du PIB, la création de l'euro et sa mise en circulation en janvier 2002 en tant que monnaie commune aux pays qui y ont adhéré, ont marqué une nouvelle étape cruciale de l'intégration européenne.
L'euro, une monnaie commune inachevée
Des divergences diverses, notamment les réticences des souverainistes, ont retardé et finalement bloqué l'avancement de la construction européenne. Le projet de Constitution Européenne est rejeté. L’euro reste ainsi une monnaie inachevée. C’est une monnaie commune, mais ce n'est pas encore à ce stade une monnaie unique. En effet, une monnaie possède une double facette, la facette monnaie fiduciaire et la facette monnaie scripturale. Certes l'euro est une monnaie fiduciaire commune, mais il existe autant de monnaies scripturales en euros que de monnaies émises par chacun des systèmes bancaires des différents États membres de la zone euro et cela sans aucune coordination européenne. Les taux d'intérêt différents obtenus lors de l'émission des emprunts des pays européens montrent qu'il y a en fait autant d'euros différents que de pays membres de la zone euro : l'euro allemand, l'euro français, l'euro espagnol, l'euro grec, etc., auxquels les marchés financiers attachent des primes de risque différentes.
Simultanément à la création de l'euro, la Banque centrale européenne a été mise en place pour assurer l'émission de l'euro et organiser les modalités et les procédures de sa diffusion. A la création de l'euro, les écarts entre les taux d'intérêt dans les différents pays de la zone euro se sont réduits, se rapprochant des taux les plus bas des pays les plus avancés, mais sans disparition totale de ces écarts. L'abaissement des taux d'intérêt dans les pays les moins avancés de la zone euro a alimenté des bulles immobilières locales qui ont fini par prendre des dimensions importantes, mettant en jeu la solvabilité des banques de ces pays.
Traités comme des actifs sans risques par la Banque centrale européenne, les emprunts des pays membres sont en fait surchargés de primes de risque différentes d'un pays à l'autre par les marchés financiers. Cela a poussé les banques de la zone euro à se lester des emprunts des pays les moins avancés pour profiter du différentiels de taux. Ces emprunts considérés sans risques à l'émission, sont aujourd'hui dépréciés et plombent les comptes des banques de la zone euro. Il s'en est suivi une perte de productivité des pays membres, sauf ceux qui ont consenti des efforts pour réaliser des réformes structurelles.
La priorité est à l'extinction de l'incendie
La crise de croissance de l'euro éclate au cours de l'année 2010, avec l'émergence des dettes souveraines des pays membres les moins avancés de la zone euro. Il s'agit donc à la fois d'une crise monétaire, d'une crise bancaire et d'une crise des dettes souveraines. C'est une crise monétaire en raison de la coexistence de dix-sept monnaies euros différentes. C'est une crise bancaire en raison du poids des créances risquées dans les bilans des banques de la zone, les poussant progressivement vers l'insolvabilité. C'est une crise des dettes souveraines, car sous le poids des déficits budgétaires de plus en plus lourds, aggravés par la crise financière mondiale de 2008, les pays les moins avancés de la zone euro s'acheminent les uns après les autres vers le défaut de payement.
L'urgence aujourd'hui consiste à prendre les mesures transitoires qui, d'une part, permettent aux systèmes bancaires de la zone d'assurer la continuité du financement des économies et qui, d'autre part, permettent de stabiliser, dans une première étape, les déficits budgétaires les États les moins avancés de la zone en assurant leur financement aux moindres coûts.
A cet égard et malgré les tergiversations, les décisions arrêtées dernièrement par les autorités européennes semblent aller dans ce sens. Les mesures prises par la Banque centrale européenne concernant l'acceptation sous la garantie des Banques centrales des pays membres, de tout prêt productif accordé par les banques commerciales, de même que la mise en place d'un système de refinancement sur trois ans (LTRO), doivent permettre aux banques de faire face aux problèmes de liquidités. D'un autre côté, les décisions des derniers Conseils de l'Europe, portant création d'un Fonds européen de stabilité financière (FESF), relayé par une institution permanente, le Mécanisme européen de stabilité (MES), devrait permettre de stabiliser, dans une première étape, les déficits budgétaires des pays membres à condition que ces fonds puissent garantir l'émission des bons du Trésor de ces pays réescomptables par la Banque centrale européenne, dans la limite des déficits budgétaires actuels.
Parachever l'euro, monnaie unique
Une fois le système d'urgence mis en place, il appartient au Conseil de l'Europe de négocier et de faire adopter par ses pays membres, les dispositions permettant de passer de l'euro monnaie commune à l'euro monnaie unique. En effet, la création d'une monnaie unique ne se limite pas à un accord sur les critères de convergence financière et à la création de la Banque centrale européenne, chargée d'émettre la monnaie fiduciaire et d'assurer sa distribution, mais elle doit aussi prévoir les moyens de faire respecter la discipline monétaire et budgétaire.
Il s'agit en premier lieu, de mettre en place une autorité budgétaire européenne de coordination, chargée de superviser le respect de la discipline budgétaire et dans ce cas d'accorder sa garantie à l'émission des emprunts des pays membres sur les marchés financiers. Cela permettra d'unifier les primes de risque au niveau le plus bas, pour l'ensemble des pays de la zone euro. Mais cela permettrait surtout aux pays membres de garder leurs prérogatives budgétaires et fiscales.
Il s'agit en second lieu, de mettre en place une autorité bancaire européenne de coordination, chargée de superviser le respect de la discipline monétaire et bancaire, c.-à-d. le respect des normes prudentielles auxquelles sont soumises les banques. Cette mission pourrait être confiée, pour des raisons d'efficacité, à la Banque centrale européenne qui l'assurerait en coopération avec les institutions responsables de cette tâche dans chacun des pays membres. Après cette étape, chaque pays membre devrait organiser la restructuration de son système bancaire.
Dans le cadre de ces dispositions, les États membres et les souverainistes ne perdent aucun de leurs pouvoirs, sauf celui de transgresser impunément les règles de la discipline monétaire et budgétaire et de provoquer des crises systémiques.
Engager la décrue des dettes souveraines
La communauté internationale et plus particulièrement les pays de l'espace euro-méditerranéen auquel appartient géographiquement et économiquement la Tunisie, sont solidaires de la Communauté européenne avec laquelle ils partagent les difficultés de l'euro à l'origine de la crise économique et financière continentale qui a éclaté dans la foulée de la grande crise mondiale de 2008. La croissance qui a repris en 2010 (1,8% en Europe et 5% dans le monde) après la récession de 2009 (-4,2% en Europe et -0,8% dans le monde), a été freinée en 2011 (1,8% en Europe et 4,3% dans le monde), à la suite des mesures de resserrement budgétaire adoptées par les États face au poids des dettes publiques et au durcissement des conditions des marchés financiers.
Parallèlement à la résorption de la crise de l'euro, la mise en œuvre avec la coopération de la communauté internationale d'une stratégie économique adaptée, permettrait, dans l'intérêt de tous, de stopper la déflation, de dynamiser les échanges, de relancer la croissance, de créer des emplois et d'améliorer les prélèvements fiscaux indispensables à la décrue des dettes publiques et privées.
Par Nouri Zorgat