La crise de l’intellectuel tunisien !

Au moment où le ciel s’embrase au cœur de l’Europe, sous le feu des bombardements intenses de la Russie sur l’Ukraine, pays souverain soutenu par l’Alliance atlantique, les médias occidentaux s’enflamment en pensées, attitudes, visions et propositions formulées par les intellectuels, qu’ils soient de gauche ou de droite. Ainsi, les rôles se sont agencés et répartis avec une extrême précision : le militaire est dans le champ de bataille, l’intellectuel façonne le moule de la réflexion et de la recherche. L’Occident a toujours agi de la sorte, dans la plupart des causes, qu’elles soient internationales ou sectorielles, territoriales ou locales. L’intellectuel joue pleinement son rôle dans tous les domaines, pour être au cœur des évènements, les commentant et les pensant avec ses propres outils d’investigation, ses expériences et ses convictions. Il vibre au rythme de sa société, sonde ses battements, réagit avec toutes les nouvelles urgences, sinon il perdrait son statut particulier et par conséquent, son pouvoir moral. Il ne pense jamais à l’idée de se fourrer la tête dans le sable. En revanche, l’intellectuel, sous nos cieux, ne cesse d’être celui qui voltige au loin. Ruminant les théories qu’il avait consommées et que les maîtres eux-mêmes avaient reniées auparavant, il se livre sans vergogne, avec un cynisme éhonté, à une incroyable opération de déshonneur ! Obnubilé par le spectre d’une méfiance grandissante à l’égard de l’opinion publique, il n’observe point et n’assiste ni ne réagit à quoi que ce soit. Plongé dans une optique passéiste lointaine, il est gagné par le doute. Pour lui, le traitement des questions vitales, phénomènes sociaux et événements brûlants, n’est qu’une provocation à deux balles, une vulgarité, une atteinte à sa dignité, une marginalisation de son rôle et une insulte à son auréole cognitive.

Quant à la liberté, elle débute, selon lui, au seuil de son propre intérêt et finit sur le tarissement des sources viles du profit dont il est coutumier. Ses rapports au pouvoir demeurent tributaires de deux états : ainsi, il est mielleux quand il trouve en lui la vache à traire, mais il est contrarié, acharné et coléreux en l’absence de denrées. Il n’hésite pas à déverser les tombereaux de brocards, d’outrages et de sottises sur le pouvoir.
Il va sans dire que la Tunisie d’aujourd’hui est le pays qui maltraite le plus ses intellectuels. Mais le vrai intellectuel est celui qui refuse d’enfouir sa passion de responsabilité et son droit de se battre encore et toujours. Partout où s’est développée la méfiance à l’égard de l’intellectuel, le peuple s’est trouvé kidnappé par les extrémistes. Nous y sommes.
Notre ambition n’est pas de jeter de l’huile sur le feu, bien que notre franchise risque d’agacer quelques dents. Nous parlons ici de l’inconséquence de certains intellectuels, sans généralisation, voire de leur irresponsabilité dans le contexte actuel, mais nous ne mettons pas en doute leur capacité intrinsèque à consolider le pouvoir moral de l’intellectuel en le situant au sein des processus politiques, éthiques, sociologiques, économiques et culturels. Ce que nous voulons : comprendre la profondeur de cette crise et éclairer sa portée, car elle s’inscrit dans le devenir incertain de la démocratie dans notre pays. Certes, les débats libres y existent comme dans aucun pays du monde arabe, mais ils ne sont pas les seuls critères de vitalité démocratique. En l’absence de l’intellectuel responsable, la scène sera captée par les démagogues populistes, les inquisiteurs islamistes qui nous diront ce qu’il faut faire et penser sous peine d’instruction morale et d’exécution forcée.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana