La crise et les voies de sauvetage : Pour une feuille de route économique et financière

Notre pays a vécu au rythme d’une crise profonde et multiple depuis plusieurs mois. Il y a eu la crise sanitaire d’une ampleur que nous n’avons jamais connue dans notre histoire moderne et qui a eu pour conséquence terrible un nombre de décès très élevé. Cette crise sanitaire est le résultat de l’échec sans précédent de nos politiques publiques qui n’ont pas été en mesure d’analyser de manière prospective les effets ravageurs de cette pandémie et n’ont pas réussi à mettre en place les politiques pour y faire face et protéger les citoyens. Ainsi, notre accès aux vaccins a été tardif, provoquant une progression sans précédent du virus. Notre pays a également connu un retard dans la préparation de l’infrastructure et de la logistique nécessaires pour faire face à la pandémie. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas été en mesure d’appliquer les décisions de protection pour éviter la propagation du virus. Ainsi, va-t-il laisser les partis politiques organiser de grandes manifestations publiques qui ont contribué à la propagation de la pandémie dans les régions les plus reculées du pays.
La crise sanitaire et ses effets tragiques ont constitué un point de rupture profond de la confiance entre les citoyens, l’Etat et ses institutions dans leur capacité à protéger les citoyens des pandémies et des crises.
La seconde grande crise qui a marqué les derniers mois est celle des finances publiques. J’ai souligné dans un grand nombre de contributions que notre pays prenait la voie du scénario libanais, du défaut de paiement et de l’incapacité de l’Etat à respecter ses engagements. Les difficultés se sont accentuées au cours des dernières semaines, entraînant la dégradation de notre note souveraine. Au lieu d’inciter les institutions de l’Etat à une plus grande coordination et coopération pour trouver les solutions pour faire face au risque de faillite, la crise a été à l’origine de conflits et de guerres de tranchées entre le gouvernement et la Banque centrale autour des moyens et des réponses à mettre en place.
Les crises ne se sont pas arrêtées aux aspects financiers et sanitaires mais ont touché les aspects politiques qui constituent probablement leur dimension la plus importante. Ainsi, le Parlement, qui constitue dans les grandes démocraties le lieu de l’expression du débat démocratique, est devenu au contraire un lieu de batailles, de luttes et de violences quotidiennes entre ses membres conduisant au rejet par les citoyens de cette institution.
La faillite gouvernementale dans la gestion des principales crises, particulièrement la crise sanitaire, a conduit à une crise politique sans précédent. Parallèlement à la faillite des politiques publiques, le laxisme des plus hauts responsables gouvernementaux a encore aggravé la crise politique et la détérioration de l’espace public.
Ces crises multiples ont eu pour conséquence le recul de la confiance dans l’Etat et sa capacité à protéger les citoyens et à poursuivre la transition démocratique. Ainsi, l’Etat national a pâti d’un affaiblissement et d’un degré de délitement et de fragilité qu’il n’a jamais connus depuis l’indépendance.
Dans ce contexte de crises multiples, le président de la République a pris une série de décisions le 25 juillet pour sortir de l’état d’abattement et de vives tensions que nous traversons depuis des mois. Il a également indiqué la nécessité de définir une feuille de route pour ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la transition démocratique.
Dans cette contribution, je vais essayer de formuler une série de propositions et de réflexions dans le domaine économique et financier pour que la Tunisie échappe au scénario libanais et au risque de défaut de paiement. Ces réflexions ne sont que des contributions préliminaires qui demanderont une plus grande réflexion et un débat approfondi pour la définition d’une vision économique et  d’un projet de développement.
Ces réflexions ont été formulées à trois niveaux : les court, moyen et long termes.

Les priorités à court terme
Les priorités immédiates de notre pays jusqu’à la fin de l’année 2022 concernent la pandémie et la nécessité de mettre en place des politiques publiques adéquates pour limiter ses conséquences sur la société et l’économie. Il faut également mentionner la crise financière sans précédent et donc la nécessité de défendre nos finances publiques et d’éviter le scénario libanais.

 1.1 La crise sanitaire et ses effets sur la société et l’économie
J’ai délibérément mis la question de la crise sanitaire parmi les priorités économiques du fait non seulement de ses conséquences sur la santé mais aussi de ses implications économiques et financières. Plusieurs études ont montré que les pays arabes qui parviendront à maîtriser la pandémie sont ceux qui enregistreront un retour rapide à la croissance économique. Notre pays se doit de définir une nouvelle stratégie de lutte contre le virus car la maîtrise de ce dernier permettra à certains secteurs, particulièrement le secteur touristique, de connaître un retour rapide de ses activités.
A ce niveau, nous devons mettre en place une stratégie de moyen terme pour sortir de l’incertitude que nous avons connue depuis quelques mois. Cette stratégie passe par les points suivants :
– Lire, analyser de façon prospective l’évolution de la pandémie et des scénarii possibles, et se préparer pour le scénario du pire.
– Etablir des relations importantes au plus haut niveau de l’Etat avec les laboratoires de production de vaccins et de médicaments contre ce virus.
– Etudier la possibilité d’appuyer notre industrie pharmaceutique et notre capacité en partenariat avec les grands laboratoires de produire des vaccins localement pour nos besoins et également les exporter vers les marchés africains.
– Définir et mettre en place un programme de vaccination rapide et se préparer pour la troisième dose comme certains pays ont commencé à le faire.
– Nous baser sur nos capacités nationales et mobiliser les ressources financières nécessaires dans ce domaine.
– Etudier nos besoins pour les cinq prochaines années et nous préparer pour les prochaines vagues du virus.
La lutte contre la pandémie doit être au centre des priorités de l’action gouvernementale au cours des prochains mois et nous devons mobiliser toutes les ressources nécessaires pour faire face à cette pandémie.

1.2 Un programme de sauvetage financier et de relance économique
La seconde grande priorité de l’action gouvernementale concerne les finances publiques et le sauvetage de notre tissu économique et de nos entreprises. Le programme de sauvetage et de relance économique doit mettre ses priorités au centre de son action des prochains mois :
– Définir un plan d’évolution des dépenses et des recettes jusqu’à la fin de l’année 2022 et envisager les solutions pour les moments difficiles que vivront les finances publiques.
– Reporter toutes les nouvelles dépenses de l’Etat jusqu’à 2022.
– Lutter de manière déterminée contre l’évasion fiscale et le commerce parallèle et envisager très sérieusement de changer les billets de banque.
– Prendre impérativement à bras-le-corps la question des subventions et la priorité ne doit pas se porter sur la compensation des produits de première nécessité mais plutôt sur les produits énergétiques tout en essayant de définir des solutions nouvelles et créatives.
– Mettre en place l’agence de gestion de la dette qui doit se fixer comme priorité de réduire le poids de la dette et d’éviter le recours au Club de Paris,
– Réviser les priorités de la politique budgétaire et orienter l’investissement public vers les secteurs sociaux, notamment la santé et l’éducation.
– Réviser les priorités de la politique monétaire et l’orienter vers l’investissement.
– Accélérer les négociations avec le FMI à travers un programme réaliste qui prend en considération le contexte social et les conséquences de la pandémie sur notre pays.

Les priorités à moyen terme
A ce niveau, l’accent sera mis sur deux questions essentielles, à savoir les réformes économiques et la nécessité de préparer un grand programme d’investissement dans les infrastructures.
Dans le domaine des réformes économiques, il faut mettre l’accent sur une série de grandes réformes qui peut améliorer l’efficacité des entreprises et l’environnement des affaires, notamment en réduisant de manière substantielle les démarches bureaucratiques et les autorisations.
Dans le domaine des infrastructures, nous devons préparer un grand programme d’investissements dans les différents domaines que l’Etat doit exécuter en partenariat avec le secteur privé.

Le nouveau modèle de développement et les priorités à long terme
La définition d’un nouveau modèle de développement constitue un objectif essentiel des prochaines années. L’échec répété depuis le début des années 2000 dans la mise en place de ce modèle est au cœur de nos crises économiques et financières. Il est urgent d’entamer le travail de préparation de ce modèle et de mobiliser nos experts et notre intelligence pour le construire.
Ces propositions constituent des réflexions préliminaires pour l’établissement d’une feuille de route économique et financière qui nous permettra de sortir des crises actuelles et de mettre notre pays sur le chemin d’une croissance durable et juste. Ces idées peuvent être renforcées dans le cadre d’un débat ouvert et pluriel pour la définition d’une nouvelle vision économique.

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