La crise globale, dix ans après !

Il y a des anniversaires dont on pourrait très bien se passer. Particulièrement celui du dixième anniversaire de la grande crise financière de 2008 qui a failli emporter avec elle le système économique global. Cette crise avait commencé un certain 9 août 2007 avec le gel de BNP Paribas des retraits de ses clients dans trois de ses fonds monétaires. Quelques jours avant ce gel, certains développements avaient annoncé que les marchés financiers avaient atteint le point de retournement. Ainsi, les agences de notation commençaient à être plus regardantes sur certains produits financiers alors que jusque-là elles se montraient relativement bienveillantes au point où certains les accusaient de complicité. Ainsi, dès le mois de juillet 2007 l’agence Moody’s a abaissé la note de centaines de titres liés aux subprimes, crédits hypothécaires, accordés par des banques américaines. Quelques jours plus tard, la banque Bear Stearns aux Etats-Unis annonce que ses fonds ont fondu du fait des subprimes annonçant le début des difficultés des grandes banques internationales. Avant la fin du même mois de juillet 2007, les autorités allemandes vont courir au secours d’une banque régionale, IKB, montrant par la même que la crise à venir sera de dimension globale.
Quelques évènements annonciateurs de la crise financière qui se profilait à l’horizon. Mais, personne ne mesurait encore l’ampleur de la débâcle qui se préparait. Pour beaucoup il s’agissait d’une de ses crises financières régulières que l’économie mondiale connaissait tous les sept à huit ans et qu’on était en mesure de gérer sans grandes difficultés. Or, ce raisonnement s’est avéré inexact tellement la dérive sur les marchés étaient fortes et le risque diffus. Beaucoup de choses ont été écrites depuis sur les subprimes où ces montages de produits financiers à partir de prêts hypothécaires qui infestaient les bilans des grandes banques. Mais, peu de gens et parmi ceux qui géraient les institutions financières internationales savaient que le bateau était à ce point en déperdition. Ainsi, combien de présidents de ces banques internationales refusaient la recapitalisation des gouvernements car ils ne voulaient pas voir l’Etat rentrer dans le capital de leurs institutions mais étaient persuadés qu’ils pouvaient s’en sortir tout seul. Dick Fuld le patron de la défunte Lehman Brothers était parmi eux et jurait par tous les cieux que sa banque pouvait s’en sortir. Le Président de la FED de l’époque, Ben Bernanke, expliquait dans ses mémoires sur cette période que peu de responsables mesuraient la complexité de ces produits toxiques et rares sont les responsables qui mesuraient l’ampleur des risques pris par une finance à la dérive.
Le monde et les institutions financières continuaient à gérer ces signes annonciateurs comme si de rien n’était et la politique du « business as usual » prévalait. Et, ce n’est que le 15 septembre 2008 avec la faillite de l’un des plus importants joyaux de Wall Street, la Lehman Brothers, que nous nous sommes rendus à l’évidence de l’ampleur de la crise qui nous attend. Une crise de la taille de la grande dépression de 1929 et qui pourrait emporter avec elle l’économie mondiale. Dans ce contexte d’une grande peur et d’une inquiétude sans précédent va se mettre en place la stratégie de gestion de cette crise sans précédent. Mais, plus qu’une stratégie de gestion ce sont les contours d’un nouveau monde qui vont se dessiner en rupture avec le monde d’avant et qui a prévalu depuis la vague néo-libérale du début des années 1908.
Ce nouveau monde s’articule autour de quatre grands axes stratégiques : la régulation, la croissance, une nouvelle économie et la gouvernance. Le premier axe du monde à venir concerne la régulation financière et la fin de la libéralisation à outrance des années 1990. Dans l’analyse des origines de la crise financière et de cette dérive beaucoup avaient mis l’accent sur la fin des régulations et des contrôles et cette grande liberté accordée aux traders et aux financiers qui a ouvert la porte devant la finance casino. Cette crise a montré la nécessité de sortir du monde débridé de la financiarisation et au retour à une certaine régulation des activités financières. Les débats et les propositions de cette nouvelle régulation seront reprises dans le cadre ce qu’on appelle Bale III, qui réduit la marge de liberté des acteurs financiers.
Le second pilier de ce nouveau monde est relatif à la croissance et aux inquiétudes que la crise financière ne se transforme en une déflation sans précédent à l’image de la grande dépression de 1929. Pour cela, il fallait sortir du paradigme de la neutralité des politiques économiques et opter pour des politiques économiques actives avec un mix entre des politiques monétaires expansionnistes et des politiques de relance budgétaire. La plupart des grandes économies comme des économies émergentes se sont lancées dans cette nouvelle voie avec plus ou moins de détermination. Ces choix ont permis de rétablir la croissance même si elle reste faible et fragile.
Le troisième pilier est lié à l’évolution de la pensée économique et à cette rupture profonde avec les thèses de Friedman, le maître de Chicago, qui dominaient la réflexion économique depuis les années 1980 et au retour au-devant de la scène du maître de Cambridge, John Maynard Keynes et des thèses des imperfections du marché et son incapacité à réguler l’ordre marchand. Il s’agit d’une rupture forte qui a justifié les programmes de relance budgétaire afin de sortir l’économie de sa timidité.
Le dernier pilier de ce nouveau monde est le changement de la gouvernance globale. Jusque-là et en dépit de la réduction de leur rôle dans la globalisation, les puissances économiques traditionnelles avaient refusé d’ouvrir les institutions de gouvernance aux pays émergents et autres pays en développement. Cette crise va les convaincre de la difficulté de la gestion d’une globalisation devenue trop complexe et la nécessité d’associer ces nouvelles puissances dans la construction d’un nouvel ordre global.
C’est au tour de ces piliers que s’est faite la reconstruction de l’ordre global post-crise. Une reconstruction qui a évité une déroute que l’ampleur de la crise laissait présager. Mais, les dogmes et l’orthodoxie ont la peau dure et on assiste depuis quelques mois à des tentatives pour sortir de ce nouvel ordre et renouer avec celui qui a dominé le monde du temps de la globalisation triomphante au risque de nouvelles crises et d’une plus grande instabilité.

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