La culture des cérémonieux !

Les crises de marginalisation qui ont fait souffrir la scène culturelle et ses usagers pendant la décennie de braise, ont fini par perpétuer un grand nombre de mauvaises traditions qui constituent l’un des obstacles majeurs à l’essor culturel dans le pays. Parmi ces traditions, on note la fâcheuse tendance à vouloir tout accaparer sans aucun mérite. Cette attitude s’explique en fait par une nouvelle mentalité selon laquelle les fantasmes se vendent et peuvent trouver des adeptes pour leur réalisation. Ce surréalisme idéologique et théocratique a dupé certains en leur faisant croire à l’efficacité d’une mécanique prédatrice qui, au nom de la rupture avec l’ancien «ordre culturel», a engendré un clientélisme d’un autre âge et une corruption d’autant plus intolérable que la scène se clochardise dramatiquement ! Quand on ne sait plus très bien distinguer le réel du fantasme, le souhaité du réalisable. C’est dans cet entre-deux que se déroulent les tentatives absurdes et finissent par se perdre dans le flou ou l’arbitraire.
Afin d’éviter tout contre-sens, je veux revenir sur cette gangrène qui mine les milieux culturels. N’importe qui, à présent, affiche son droit à l’obtention d’une subvention à la «création». Comme si celle-ci était un gâteau auquel chacun aurait droit. Tous croient qu’ils sont prioritaires quant à l’obtention d’un prix. Dans les manifestations culturelles, chacun cherche à traquer l’abjection jusqu’au ridicule. Aujourd’hui, toutes ces perversions s’accélèrent rapidement. Plus ou moins cachées. Plus ou moins latentes. Plus ou moins mêlées. Elles montrent la prégnance de cette pratique, façon pour ces intrus de regagner un peu du terrain perdu avant le soulèvement populaire !
Les festivals ont tant souffert des basses combines des cérémonieux, de l’invasion des «égalitaristes» et des esprits totalitaires qui exigent trop de ces manifestations et les prennent en otage. Pour eux, elles ne sont qu’un moyen de marquer leur présence et gagner de l’argent. Leurs réactions procédaient d’un type de «délire» dont avaient longuement souffert les vrais créateurs ces dernières années. Ce «délire» avait enfanté des voix tonnantes mais ignorantes, des intrus sans gêne, des experts dans l’art» de mentir, notamment à eux-mêmes afin d’atteindre leurs buts sous les euphémismes qui pullulent à l’envi dans un univers de mensonges, sans oublier ces vigiles improductifs tel «un rocher à l’embouchure d’un fleuve qui ne se désaltère guère ni laisse le cours d’eau parvenir aux herbes» , selon la très belle formule du grand poète Jaâfar Majed.
Dans leur désir passionné de faire advenir une «autre culture», les idéologues de la juxtaposition des appartenances politiques foulent, depuis le 14 janvier 2011,  aux pieds les normes culturelles et attirent sans cesse l’attention des Tunisiens sur de nouveaux faux problèmes, sans se rendre compte qu’ils accélèrent la descente de la culture tunisienne dans une grave crise de régression.
Manifestes contre manifestes, meetings contre meetings, propagandes contre propagandes, la ligne de front s’est stabilisée autour des «docteurs en insurrection», militants «révolutionnaires» de la vingt-cinquième heure. Partout où s’est développé cet angélisme qui confine à l’aveuglement, le mécontentement dans la scène culturelle s’est trouvé capté par les arrivistes et les ennemis de la culture. Le résultat est à la fois cinglant et irrésistible, tant les nouveaux «entrepreneurs» de la culture du profit, ainsi campés par ailleurs, d’une pingrerie obsessionnelle, semblent avoir réduit les vrais créateurs au statut de simples marginaux. Tout a déraillé, et nous voilà face à une machinerie, au pays de la culture «victimaire » et «culpabilisatrice» et son redoutable camouflage à motivations fumeuses.
Les plus à plaindre, dans cette confusion, sont les lanceurs d’alerte, les vrais créateurs, qui ont été systématiquement bâillonnés, ostracisés, calomniés. 

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