Par Alix Martin
Au moment où l’on parle beaucoup d’« authenticité », de « naturel », de « racines », de « bénévolat » et d’« aide aux démunis », pouvons-nous reparler d’une réalité, très menacée, située à l’ouest de Ghardimaou, au ras de la frontière algérienne ?
La ferme baraket
Déjà, le nom de la ferme rappelle le sacrifice dédié à la nation d’un jeune homme appelé Baraket qui est mort à Bizerte en luttant contre les troupes coloniales !
Les « habitants » de la ferme s’inscrivent dans cette tradition de sacrifice. Madame Bergmann s’est installée ici avec son mari, jeune coopérant agricole contractuel. Mais, comme elle estimait que le salaire de son époux suffisait à leur entretien, elle s’est occupée des dames du voisinage en leur donnant des conseils et en organisant de menus « travaux pratiques » en matière de puériculture, d’hygiène infantile, de couture, de tricot, etc. sans penser à son avenir … De ce fait, elle n’a que la maigre retraite « tunisienne » de son mari comme revenu. Ses gains sont d’autant plus maigres qu’elle les partage avec ses nombreux « protégés ».
Lors d’un voyage à Meknassy, un vieil éleveur, lui a offert un pur-sang arabe descendant d’animaux amenés en Tunisie par les Berbères Zénètes au VIIe siècle ! Ces chevaux légers, robustes, très dociles, ont des sabots tellement durs qu’ils ne nécessitent pas d’être ferrés : ils ont toujours vécu à « l’extérieur » avec leurs maîtres éleveurs-nomades. Ils se sont multipliés, paissent en toute liberté, dans les collines proches de leur écurie.
Par ailleurs, on a aussi offert, à la dame, un couple de sloughi dont elle a pris le plus grand soin et qui a proliféré. A l’heure actuelle, la plupart des sloughis tunisiens sont « apparentés » à ceux de Baraket.
En plus de l’aide apportée à ses voisines, Madame Bergmann a étudié l’hyppo-thérapie et a éduqué ses chevaux en vue de mettre gratuitement cette science au service des enfants handicapés de la région, au moins. Ses compétences sont telles aujourd’hui, qu’elle exporte de temps en temps un de ses « enfants » en Allemagne et qu’elle a de nombreux contacts avec les spécialistes européens.
L’hyppothérapie
Est-ce que vous croirez qu’un cheval, en liberté, vienne à l’appel de son nom – tout près de sa maîtresse et que, tenu seulement par le toupet de crins qui tombe sur son front, se mette à promener un garçonnet, aux jambes atrophiées, « posé » sur son dos ? Il va, à pas lents, en faisant bien attention, apparemment, de ne pas déséquilibrer l’enfant qu’il porte. Ce dernier, tout heureux, oublie son handicap, rit et crie sa joie au point d’oublier de se tenir à la crinière de sa monture.
Croirez-vous qu’un jeune autiste étreigne le cou du cheval, après une promenade au pas puis se précipite vers sa mère et manifeste son envie de s’exprimer en émettant des sons inarticulés ? Et si on vous disait qu’un cheval, prié de venir jusqu’à l’ombre d’un olivier – le soleil était très chaud ! – a été tenu uniquement par une ficelle, pas aussi grosse qu’un lacet de soulier, mais caressé par sa « maîtresse » qui avait pris sa tête contre sa poitrine, pendant qu’un vétérinaire pressait une blessure purulente à l’épaule et posait dessus des compresses très chaudes. Il a souvent tressailli mais il n’a pas bougé parce que la dame lui murmurait des encouragements en lui caressant les joues !
L’imprégnation, dès la naissance, par la dame qui est présente à la « mise bas » de la jument, assise sur la paille, parlant à l’animal, associée à une éducation douce mais complète, font de véritables « miracles » ! N’importe qui, enfant ou vieillard, peut monter ces chevaux, même s’il n’a jamais fait d’équitation.
Reverrons-nous la joie des parents et des jeunes handicapés, arrivant à la ferme, dans le véhicule de la dame qui allait les chercher gratuitement ?
Les orages
Mais, le ciel s’est assombri depuis quelques années. Les bâtiments de la ferme – mis gracieusement à sa disposition par les autorités tunisiennes en remerciements à son œuvre et à celle de son mari ! – faute d’un entretien coûteux, trop onéreux pour des revenus très modestes, se sont gravement dégradés. Une intervention urgente sur ces constructions « coloniales », faisant partie aujourd’hui du patrimoine, à notre avis, s’impose.
La nourriture animale ayant beaucoup augmenté, ces dernières années – les éleveurs tunisiens s’en plaignent amèrement ! – les chevaux et les sloughis ne sont pas actuellement au mieux de leur « forme ». D’autant plus que, dernièrement, une maladie, pratiquement incurable, la leishmaniose, peut-être doublée par la parvovirose, tout aussi grave, a décimé la meute de sloughis.
Les chevaux eux-mêmes ont été atteint par des « maux » mal soignés par les vétérinaires venant très rarement dans cette région qui a « mauvaise réputation » depuis plus de cinquante ans. Le troupeau a été réduit !
Un arc en ciel
Une aide modeste – même pas le prix d’une auto d’occasion ! – privée ou publique, pourrait facilement faire « refleurir » Baraket qui dispose de nombreux atouts.
Les chevaux, d’une douceur exceptionnelle, pourraient, en plus des soins gratuits apportés aux enfants handicapés, qui en sont privés actuellement, servir de montures agréables à tous les curieux qui viendraient connaître le site prestigieux de Chemtou / Simithus antique.
Le grand parc national d’El Feija, abritant les derniers cerfs de berbérie endémiques, n’est qu’à quelques kilomètres de Baraket.
La flore et la faune sauvage y sont riches et variées. Le myrte, la bruyère arborescente – dont la racine fournit le bois des pipes – l’arbousier aux fruits écarlates délicieux, la clématite grimpante parfumée protègent des champignons comestibles savoureux : cèpes, girolles, oronges, et autres ainsi que de splendides orchidées telles que le limodorum abortivum aux fleurs mauves. Le chat sauvage, le porc-épic, la mangouste hantent les sous-bois en compagnie de très nombreux sangliers qui pourraient tenter les chasseurs. Dans les cieux, l’aigle botté sédentaire, voisine avec les pigeons ramiers et les bécasses mordorées qui arrivent à l’automne. Le magnifique Grand-duc, presque grand qu’aigle, chasse toutes les nuits dans les majestueuses forêts de chênes.
Les alentours de Baraket pourraient être appelés « le pays des géants » parce que des oliviers gigantesques : plus de vingt mètres de haut et « d’envergure » ainsi que de très vieux eucalyptus et de colossaux « pistachiers », érigent leur frondaison à plus de trente mètres.
A quelques pas de Baraket, un flanc de colline est couvert de monuments mégalithiques et de tombeaux souterrains qui semblent être d’époque romaine. Ils n’ont jamais été étudiés. Parmi eux, se dresse, un magnifique « olivier sacré », couvert de chiffons en guise d’ex-voto. Il est entouré d’une murette en pierres sèches dont le bon état prouve que le lieu est fréquenté. Et « last but not least », au creux de la vallée voisine, autour d’une source chaude, un petit « hammam » rural, où il fait très bon se prélasser durant des heures, a été bâti.
Ne croyez-vous pas qu’une petite aide permettant de « relancer » Baraket, offrirait, d’abord, aux handicapés, les soins dont ils ont besoin, ensuite, aux curieux, de multiples centres d’intérêt justifiant largement une rétribution aux services fournis par Madame Bergmann qui de ce fait deviendrait financièrement autonome ?