La déconnexion, le nouveau visage de la globalisation (1) : Nos priorités et nos politiques dans le monde d’après

Par Hakim Ben Hammouda

La globalisation connaît aujourd’hui une passe difficile avec la multiplication des crises au cours de la dernière décennie. La grande crise financière des années 2008 et 2009 a été la première grande crise de la globalisation après s’être imposée dès le début des années 1980 comme une alternative à la crise du projet de l’Etat-nation. Cette crise a permis de mettre en exergue les grands dangers d’un néolibéralisme effréné qui a ouvert la voie large à l’aventurisme et à la cupidité des grands traders qui ont failli conduire le système économique mondial à sa faillite sans l’intervention des Etats dans les grands pays développés qui sont allés jusqu’à nationaliser certaines banques importantes pour éviter le chemin de la Lehman Brother et sa faillite le 15 septembre 2008.
Ces crises ne se sont pas arrêtées au niveau économique et financier mais ont touché également le niveau social et plusieurs analyses et travaux ont démontré que la forte augmentation des inégalités est le résultat du développement rapide de la globalisation.
En effet, cette nouvelle phase du développement du capitalisme mondial a été à l’origine d’une forte augmentation des revenus des couches sociales qui lui sont liées, notamment les acteurs dans les domaines des nouvelles technologies et sur les marchés financiers et le déclassement des catégories sociales liées aux activités fordistes.
La question climatique a également connu une progression des grands dangers face à l’incapacité des Etats à mettre en place des stratégies capables de limiter le réchauffement climatique.
La pandémie de la Covid-19 est venue au début de 2020 donner le coup de grâce à la globalisation en remettant en cause la division globale du travail sur la base des chaînes de valeur globalisées avec l’arrêt de la circulation des marchandises suite aux différents confinements.
Ces crises sont venues rappeler la fragilité du projet de la globalisation et son incapacité d’assurer un développement stable de l’économie globale et de garantir son équilibre. Ces crises ont été à l’origine de la réflexion sur le monde post-global et ses principales caractéristiques. Cette réflexion ne s’est pas limitée aux experts, mais les gouvernements et les acteurs politiques ont également pris part dans l’analyse et la réflexion sur les grandes tendances du monde post-global. Ce débat sur l’avenir de la globalisation a ouvert une période d’une grande effervescence intellectuelle et politique pour déterminer les grandes tendances du monde à venir ainsi que les contours des politiques à mettre en place. Le concept de découplage ou de déconnexion ou decoupling en anglais a le mieux exprimé ce débat global dans l’espace public. Plusieurs experts et intellectuels ont cherché à définir ce nouveau concept et préciser ses grandes tendances. Cet intérêt au concept de la déconnexion ne s’est pas limité au niveau intellectuel et théorique, plusieurs gouvernements et des institutions internationales ont cherché à lui donner un contenu concret en le traduisant dans des politiques publiques.
Dans cette contribution, nous chercherons à mieux saisir les contours de ce concept et sa traduction dans des politiques publiques. Mais, le plus important pour nous, c’est de définir son acceptation pour notre pays ainsi que les politiques que nous devons mettre en place pour le monde d’après.

Aux origines du concept de découplage
Le concept de découplage n’est pas nouveau, il est apparu dans les sciences physiques depuis de longues décennies et a fait référence à la fin d’une relation entre des circuits intégrés. Comme beaucoup de concepts physiques, il a été importé par beaucoup de disciplines des sciences sociales et particulièrement dans les domaines des études politiques et des analyses stratégiques depuis le début des années 1970. On a fait également appel à ce concept dans l’analyse des conséquences de la guerre froide, particulièrement au moment de la détérioration des rapports entre les deux grandes puissances et les risques pour la paix globale.
Par ailleurs, l’économiste radical égyptien Samir Amin a utilisé le concept de déconnexion et lui a consacré un essai dans lequel il a soutenu l’hypothèse que le développement du Sud ne se fera qu’au prix d’un éloignement du marché mondial et la construction d’un modèle de développement indépendant. Cet essai a suscité beaucoup de critiques au niveau académique et dans les milieux universitaires, mais aussi au niveau politique.
En dépit de ces critiques, Samir Amin a défendu sa thèse et la déconnexion est devenue une alternative défendue par les mouvements altermondialistes pour permettre aux pays du Sud d’échapper à la dépendance du système global.
Au cours des dernières années, ce concept a été repris par les mouvements écologistes qui mettaient l’accent sur la nécessité de découpler la croissance et le réchauffement climatique. Les rapports des experts du GIEC ont mis l’accent sur la nécessité de focaliser sur ce concept dans la définition des nouvelles stratégies de lutte contre le réchauffement climatique.
Ce concept a connu un retour en force au cours des derniers mois dans le débat public pour constituer le nouveau visage ou la nouvelle expression la plus en vogue du monde post-global.
Plusieurs études et essais ont été publiés, ont mis l’accent sur cette évolution et cherché à en tracer les principaux contours. Les différentes analyses soulignent que ce concept cherche à réduire ou même à éliminer les relations de complémentarité et de coopération entre les grands pôles de l’économie globale et particulièrement les Etats-Unis, la Chine et l’Europe.
Parmi les nombreuses études qui se sont saisies de ce concept, on peut mentionner le rapport conjoint préparé par la Chambre de commerce américaine et l’IHEC à Paris et intitulé « Economic decoupling : our new reality ? » (« Le découplage économique : notre nouvelle réalité ? ») au mois de décembre 2021. Ce rapport a donné un contenu concret au scénario du découplage en soulignant qu’il signifie que les Etats-Unis et la Chine vont suivre des modèles d’organisation, des réseaux commerciaux et chaînes de valeur différentes, voire même contradictoires au cours des prochaines années.

Related posts

Requiem pour le palais Raffo à l’Ariana

Quand les vessies deviennent des lanternes

A quoi tient la vie d’un parti ?