La démocratie des «Ùdrites»

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Il faut avoir une imagination débordante et un optimisme surélevé ou faire preuve d’une overdose de mauvaise foi, ou les trois en même temps, pour continuer à affirmer que le mouvement contestataire du 14 janvier 2011 a créé une nouvelle donne pour notre pays, celle de la démocratie ! On était en droit de s’attendre à une délivrance «démocratique». Après tout, au milieu des réalisations sociales de Bourguiba et des bâtisseurs de l’État moderne existait un chemin salutaire, dont notre peuple pouvait devenir l’éclaireur sur la scène arabe. Mais cet espoir a été pris, dès les premiers jours, sous le feu croisé des menaces émanant des islamistes, des anarchistes, ainsi que des populistes qui l’ont détruit dans le berceau.
Devant cette frustration, l’histoire de cette «démocratie» étouffée nous rappelle le fameux récit des poètes amoureux de l’ère préislamique, appelés les «Ùdrites». Ce récit raconte la passion de plusieurs poètes pour des filles qu’ils ne connaissent pas et dont on leur refuse la main. Éperdus de douleur, ils se mettent à chanter des poèmes du chagrin. Mais lorsque les aimées viennent un jour s’offrir à leurs portes, les «Ùdrites» s’enfuient et gagnent le désert. Car vivre avec leurs bien-aimées, disent-ils, les empêcheraient de penser à l’amour qu’ils ont pour elles !
«Le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête», soulignait Pascal.
Étrange «démocratie fantasmagorique» où tout semble reposer sur les illusions et où le sort s’ingénie à démontrer leur absurdité.
Dans cette Tunisie qui a vécu pendant une décennie de braise dans le traumatisme d’un espoir démocratique kidnappé, on n’a pas encore compris que la transition démocratique ne pourra se poursuivre que si l’économie se remet en marche et que la raison l’emporte sur la dynamique des espoirs aux ailes rognées. Il faut, tout d’abord, casser le cercle vicieux de la peur, en donnant stabilité et confiance aux «Tunisiens d’en bas», les «désenchantés silencieux», selon la belle formule de René Char, et en formant un nouveau pacte économique et social autour d’une croissance inclusive garantissant l’accès de tous les citoyens à l’éducation, à la santé et à la culture. Ce pacte contribue à rétablir la paix civile et la sécurité dans le respect de l’État de droit.
Ce qu’il nous faudrait, n’en doutons pas, c’est une boussole qui indiquerait un Nord plus clair, plus salutaire aussi. Un Nord qui exige de nous des programmes qui donnent un coup de pouce aux gens dans une direction dont ils rêvaient et qu’ils ne pouvaient prendre, compte tenu des vicissitudes de la vie.
L’heure n’est donc plus aux rafistolages, aux petits ravalements de façade. Nous devons nous dépasser, redéfinir l’architecture de nos plans économiques et sociaux, construire une société qui fabrique moins de pauvres. C’est le social dans l’économie, c’est-à-dire des politiques sociales dont la mise en œuvre contribue à la croissance économique.
Notre pays, certes, a besoin d’une opposition vigoureuse, mais aussi constructive, qui propose, contribue, innove. Car la route sera longue. Pour résister à tous les défis, nous avons besoin de toutes les idées. C’est pour moi une condition obligatoire pour instaurer une vraie démocratie. En ignorant certains principes de base. Nos «démocrates udrites» s’obstinent dans une escalade qui ne réglera aucun des problèmes du pays.
Il faut assumer un cap et une vision. Sinon, paradoxalement, les promesses, dont celles d’une démocratie participative, deviennent folles et ne servent qu’à gérer l’impuissance et l’échec.
Pour instaurer une véritable démocratie, il faut garantir, tout d’abord, trois choses nécessaires : la liberté, la sécurité et une politique économique et sociale équitable. Sans ces piliers, il n’y aura jamais de démocratie.

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