La dictature de la loi ou la débandade généralisée

Le nouveau Chef du gouvernement a révélé, lors de son examen de passage à l’ARP, un réel talent de communicateur ; il lui en faudra beaucoup d’autres pour faire face à une situation aussi grave. Le Président Caïd Essebsi a choisi, en son âme et conscience, celui qu’il considère comme l’homme de la situation. Nous n’aurons pas à attendre longtemps pour vérifier la pertinence du choix présidentiel. En effet, Youssef Chahed est conscient du fait qu’il bénéficiera d’un état de grâce assez limité : l’unité nationale n’existe nulle part et seuls les corporatismes, les égoïsmes, et les intérêts partisans animent ceux qu’il va devoir affronter. Au moindre signe de faiblesse, à la première reculade, la meute de ceux qui parient sur son échec se déchainera et le taillera en pièces. Le nombre ridicule de voix obtenus par Habib Essid lors du dernier vote de confiance donne une idée sur la fiabilité et la durabilité du soutien sur lequel peut compter tout Chef de gouvernement sous la seconde République.
La tâche est titanesque : des ennemis de l’intérieur prêts à tout instant à semer l’effroi, un parti islamiste ambigu, une Lybie au bord de l’implosion, une économie atone, des finances publiques en piteux état, une administration démotivée et corrompue, une centrale syndicale se contrefichant de l’intérêt national, et enfin un peuple désenchanté qui ne croit plus ni en ses potentialités ni dans son destin. Ce n’est pas avec un Ghedira au transport et un Briki à la fonction publique, pour ne citer que ceux là, que Youssef Chahed va réaliser des miracles et redresser une situation qui a toutes les apparences d’une mission impossible : Cinq longues années de démantèlement de l’Etat et de destruction des fondements de l’économie ne s’effacent pas en un clin d’œil et seuls des remèdes de cheval pourront secouer une nation qui a perdu le goût au labeur et qui ne veut plus se battre pour son bien être et pour la propreté de ses rues.
Il y a une voie que le gouvernement Chahed aurait tort de ne pas expérimenter : l’instauration d’une dictature. Pas celle que nous avons rejetée, faite de prévarication, de népotisme et de brutalité mais une dictature de la loi. Si notre pays s’enfonce dans la médiocrité et la saleté c’est précisément parce que les lois sont bafouées allégrement. Si la loi avait encore un sens, les fonctionnaires ne quitteraient pas leur travail à 15 heures, la corruption serait moins flagrante, le code de la route davantage respecté, l’occupation abusive de nos trottoirs et de nos rues circonscrite, bref le pays ne serait pas une jungle où la force prime le droit et où les voyous et le contrebandiers de la pire espèce s’enrichissent à vue d’œil.
Dans son discours Youssef Chahed a tenu des propos fermes montrant sa volonté de rompre avec la mollesse coupable de son prédécesseur. S’il veut sauver un Etat en décomposition et partant éviter au pays une catastrophe, il devra ne pas avoir froid aux yeux et exercer ses prérogatives avec dureté et sans états d’âme. D’un point de vue constitutionnel, les choses sont claires: l’article 92 de la Constitution lui confie l’exécution des lois, à lui, donc, de s’acquitter de cette mission de manière inflexible. Il n’y parviendra que si d’autres instruments sont mis à son service et, en particulier, sa pleine autorité sur le ministère public et par conséquent sur l’action de la police judiciaire. Il est inconcevable que l’on continue à laisser les importantes nominations du Parquet, maître de l’action publique en matière pénale et gardien de l’ordre public, entre les mains de l’Association des magistrats tunisiens et d’une instance provisoire de l’Ordre judiciaire. Au nom de quoi devrait-t-on se priver d’un tel outil alors que dans tous les pays avancés le gouvernement, à travers son ministre de la justice, désigne les représentants du Parquet. Une dictature de la loi qui n’a pas à sa disposition les instruments institutionnels et juridiques adéquats n’a aucune chance de réaliser les objectifs escomptés.
Pour les âmes sensibles et tous ceux que le mot de dictature horripile, une précision doit être faite : la dictature de la loi n’a pas vocation à durer éternellement. En aucun cas une telle dictature est antinomique avec la démocratie ; bien au contraire, en imposant avec fermeté le règne de la loi elle ne fait que la renforcer. Au surplus, la dictature de la loi ne doit durer que le temps nécessaire pour inculquer aux citoyens la notion de respect de la loi et mettre à l’abri le pays de la débandade générale. Quand se plier à la loi, pour une majorité de nos concitoyens, deviendra une évidence et un reflexe naturel, quand commettre une infraction ne restera pas impuni alors la dictature de loi s’estompera au profit d’un régime où prévaut une application spontanée et sereine de la règle de droit.
Le temps de demi-mesures, des timorés et des mains tremblantes est révolu. Youssef Chahed a l’opportunité historique unique d’inverser le cours du désordre qui se propage. Verdict : dans quelques mois, tout au plus….
S.M
*Avocat et éditorialiste

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