La face noire de la « Révolution » ukrainienne

Par Peter Cross (de Londres pour Réalités)

A bien regarder du côté de l’Ukraine, il semblerait que Russes et Américains n’ont rien de mieux à faire que de nous entraîner dans une nouvelle guerre froide. Si la politique de la corde raide et de la surenchère, typique de l’époque, est bien au rendez-vous, il faut dire que, niveau injures, il manque pour l’instant la créativité de naguère. Tout juste, les médias russes ont-ils traité les nouveaux maîtres de Kiev de fascistes et de néo-nazis. Avouez que cela manque un peu d’imagination.

Cependant, nul besoin de se baser sur les médias russes, pour porter un regard sceptique sur la sincérité de l’engagement démocratique d’une partie importante des forces qui ont fait le nouveau pouvoir ukrainien. Selon Conn M. Hallinan dans International Policy Digest :

Les manifestations énormes des trois derniers mois sont le reflet de l’indignation suscitée par la corruption du régime d’Ianoukovitch, mais elles ont en même temps ravivé le côté sombre de l’histoire de l’Ukraine. […]

Le chef du parti Svoboda, Oleh Tyahnybok […] est un antisémite qui affirme que « la juiverie organisée » contrôle les médias et le gouvernement de l’Ukraine et prévoit un « génocide » des chrétiens.

[…] Svoboda veut interdire toute immigration et réserver les emplois dans la fonction publique aux Ukrainiens « de souche ». Le parti prône l’interdiction de l’avortement, la fin de tout encadrement de la possession d’armes à feu, « la prohibition de l’idéologie communiste », et l’inscription obligatoire de l’appartenance religieuse et ethnique sur les documents d’identité. […] Une proposition du parti selon laquelle toutes les affaires officielles doivent être traitées exclusivement en ukrainien, vient d’être votée par le Parlement, privant ainsi de leurs droits les quelques 30 pour cent de russophones que compte le pays.

A Salon.com, Max Blumenthal enchaîne :

L’adjoint de Tyahnybok, Yuriy Mykhalchyshyn, aime citer Joseph Goebbels, dont il a même donné le nom à un think-tank qu’il a créé […]. Selon Per Anders Rudling, un universitaire européen spécialiste du néo-fascisme, Mykhalchyshyn, qui se dit « nationaliste socialiste », est le principal lien entre l’aile officielle de Svoboda et des milices néo-nazies telles que Pravyi Sektor (« Secteur Droit »).

Ce dernier est une alliance de « nationalistes autonomes », facilement identifiables par leur style skinhead et leur fascination pour la violence de rue. […] Alors que Svoboda est lié à une constellation de partis néo-fascistes dans d’autres pays par le biais de l’Alliance des mouvements nationaux européens, “Secteur Droit” promet de mener son armée de jeunes hommes désabusés vers « une grande Reconquête européenne. »

Et dans The Daily Beast, le journaliste ukrainien Oleg Shynkarenko observe depuis Kiev :

Il ne faut pas sous-estimer le rôle qu’a joué le “Secteur Droit” dans le mouvement Euromaidan. Après deux mois de manifestations qui avaient, à peine, fait réagir le gouvernement de M. Ianoukovitch (si ce n’était que pour faire encore un tour de vis sécuritaire, avec le vote par le Parlement de nouvelles lois draconiennes réprimant les manifestations de rue et l’apparition d’escadrons de voyous pro-gouvernementaux qui enlevaient et tuaient des activistes), c’était l’extrême droite qui, la première, a répondu à M. Ianoukovitch dans sa propre langue. Ses militants ont été les premiers à jeter des cocktails Molotov et des pierres sur la police et à monter de vraies barricades fortifiées. Ils étaient parmi ceux qui ont brûlé deux véhicules de transport de troupes qui avaient donné l’assaut contre les barricades le 18 février. Euromaidan a gagné grâce à la fermeté des gens qui étaient prêts à se battre plutôt que de négocier au parlement, voyant que toute négociation est devenue inutile. Mais aujourd’hui, la situation sur le terrain a changé et la question du rôle que jouera l’extrême droite dans l’avenir du pays reste en suspens.

Mais regardons déjà le présent. Comme le fait remarquer Volodymyr Ishchenko, sociologue ukrainien basé, lui aussi, à Kiev, dans The Guardian :

L’extrême droite a réalisé une percée majeure au niveau du gouvernement. Leur niveau de représentation dans le nouveau gouvernement ukrainien est unique en Europe. Le parti xénophobe Svoboda détient le poste de vice-Premier ministre et les ministères de la défense, de l’écologie et de l’agriculture, et un de ses membres a été nommé procureur général. Andriy Parubiy, l’un des fondateurs du Parti Social-National de l’Ukraine [l’ancien nom de Svoboda] et un ex-dirigeant de son organisation de jeunesse paramilitaire, qui a, par la suite, rejoint un parti plus modéré, Batkivshchyna, a assuré de manière très efficace le commandement des forces d’auto-défense à Maidan ; il se trouve désormais à la tête du Conseil de la sécurité nationale et de la défense [et Dmitro Yarosh, le leader d Secteur Droit, est son adjoint].

[ … ]

Le plus inquiétant, c’est que le nouveau gouvernement ne pourra maîtriser Secteur Droit. Ses membres sont maintenant des héros populaires, l’avant-garde de la « révolution » victorieuse. Ils ont des armes, prises des services de police dans l’Ouest du pays, et désormais ils exigent que la révolution, ayant renversé M. Ianoukovitch, se poursuit contre la « démocratie corrompue » et le libéralisme. Les libéraux qui fêtent encore l’élan et le rôle crucial de “Secteur Droit” dans le mouvement Maidan sont en train de découvrir les idées réactionnaires de la droite. Dans une interview récente, le responsable médias de “Secteur Droit” s’est vanté qu’il était « à nous de dire à l’Europe quelle voie suivre » pour la sauver de sa « situation terrible » de « libéralisme total », où les gens ne vont plus à l’église et se montrent tolérants envers les droits des homosexuels, bisexuels et transgenres.

Il est trop tôt pour “Secteur Droit” de s’en prendre au nouveau gouvernement – il ne dispose pas encore d’un soutien assez large. Mais ce groupe risque de se trouver à la tête d’une nouvelle insurrection dans le cas d’une crise économique abrupte et sévère. Étant donné qu’il n’existe pas de gauche forte en Ukraine, ce sont les populistes de droite qui exploiteront les tensions sociales.

Rien n’est plus explicite pour décrire ces adeptes du Wolfsangel (le crochet du loup), que ce symbole héraldique utilisé par plusieurs divisions SS, devenu premier emblème de Svoboda. Ainsi, non seulement le loup est dans la bergerie, il en est le co-gérant.

 

P.C.

 

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