Pour beaucoup d’analystes, la décision de la FED s’inscrit dans une dynamique de sortie des politiques monétaires accommodantes mises en place par les grandes banques centrales après la grande crise des années 2008-2009 qui a mis le système mondial au bord de la faillite. La plupart des banques centrales et particulièrement la FED, ont mis en place des politiques monétaires agressives en baissant de manière radicale les taux d’intérêt et en mettant en place d’importants programmes d’acquisition d’actifs et de quantitative easing, afin d’éviter la grande déflation qui s’annonçait aux lendemains de la crise, comme lors de la grande crise de 1929 et afin d’éviter la rupture des circuits de financement de l’économie et favoriser une reprise des activités des entreprises et surtout de leurs investissements.
La décision de la FED qui vient après une première hausse des taux en décembre 2015, constitue aujourd’hui une véritable rupture avec les politiques monétaires non traditionnelles et cherche à les mettre sur la voie de la normalité. Ceci est d’autant plus important que la Réserve fédérale avait prévu d’augmenter à trois reprises ses taux d’intérêt l’année prochaine. Ce qui constitue un retournement majeur des politiques monétaires mises en place par les autorités américaines au lendemain de la crise.
Ce changement de cap de la part des autorités américaines s’explique par deux raisons : une officielle et formelle et la seconde non dite. Pour la raison officielle, il faut mentionner la situation économique interne aux Etats-Unis et même si les prévisions de croissance restent modérées pour l’année à venir avec une croissance de 2,1% et une inflation encore faible avec des prévisions de 1,8%, le chômage est à son niveau le plus faible avec un taux estimé à 4,5% pour l’année 2017, ce qui est considéré comme le niveau de plein emploi au sein de l’économie américaine. C’est l’amélioration de la situation économique, particulièrement sur le front de l’emploi, et les craintes d’un réchauffement de l’économie et d’un retour de l’inflation qui expliquent le changement de cap des autorités fédérales américaines.
Cependant, on avance une autre raison moins officielle et qui explique cette rupture dans les politiques monétaires outre-Atlantique et qui concerne les choix économiques du Président élu Donald Trump. Faut-il le préciser, le futur président a attaqué de manière frontale lors de sa campagne électorale Janet Yellen, la présidente de la FED et il l’a soupçonnée de mener des politiques monétaires accommodantes pour favoriser Barack Obama et surtout la candidate démocrate Hillary Clinton. D’ailleurs, beaucoup de journalistes lui avaient posé la question de savoir si elle restait à son poste devant la férocité des attaques du candidat Donald Trump et elle avait répondu avec son calme légendaire qu’elle comptait aller au terme de son mandat.
Mais, ce ne sont pas vraiment les propos houleux que Donald Trump a tenus contre la Présidente de la FED qui pourraient expliquer ce changement de cap. Mais, c’est plutôt son programme économique et son engagement de faire une politique de relance budgétaire de près de 1000 milliards particulièrement dans les travaux d’infrastructure. Ce plan de relance budgétaire fait craindre à la Réserve fédérale une reprise forte de l’inflation. Ces craintes sont renforcées par les promesses d’une importante réduction des impôts sur les hauts salaires et qui pourraient encourager la consommation et par conséquent renforcer les tensions inflationnistes. C’est pour prévenir ces tensions que la FED a décidé d’augmenter ses taux et de rompre avec les politiques monétaires hétérodoxes. Un choix qui devrait se confirmer en 2017 avec trois hausses des taux directeurs prévues par la FED.
La décision de la FED et les priorités du nouveau Président Donald Trump annoncent la fin d’un policy mix et l’avènement d’une nouvelle combinaison des politiques économiques outre-Atlantique. Jusque-là, les choix de politique économique étaient marqués par des politiques monétaires expansionnistes d’un côté et de l’autre, une certaine rigueur des politiques budgétaires. Cette rigueur budgétaire est encore plus marquée en Europe. Or, les décisions américaines avec le retrait des politiques monétaires et le retour en force des politiques budgétaires vont se démarquer des policy mix européens où la BCE continue à mener une politique expansionniste agressive et les gouvernements font de la rigueur et de la stabilisation budgétaire leurs grandes priorités. Ce décalage et l’absence de convergence des politiques économiques au niveau global pèseront sur une croissance économique qui reste atone et peine à trouver ses dynamiques d’avant la grande crise.
Ces changements de politique monétaire vont avoir des effets sur l’économie mondiale et la Tunisie ne sera pas épargnée de son impact. Notre économie subira les effets de la fin des politiques monétaires expansionnistes aux Etats-Unis à trois niveaux. Le premier concerne la hausse du dollar vis-à-vis de toutes les monnaies et le dinar n’échappera pas à la détérioration de sa valeur par rapport au dollar. Le second effet est lié à la hausse de nos importations libellées en dollar et particulièrement nos importations de carburants. Ces deux évolutions sont essentielles et risquent de mettre en difficulté l’équilibre déjà fragile de la Loi de Finances 2017. Par ailleurs, cette hausse des taux d’intérêt pourrait renchérir les émissions à venir des titres tunisiens sur les marchés intérieurs.
Le changement de cap de la politique monétaire américaine constitue une rupture majeure dans les choix de politique économique mis en place depuis la grande crise des années 2008-09. Des changements qui répondent à des impératifs économiques internes, mais qui auront des effets importants sur une économie globale encore fragile.