La fin de l’histoire en économie ?

La thématique de la fin de l’histoire n’est pas nouvelle. Elle remonte à la philosophie allemande et à Hegel qui a été un des premiers à l’aborder dans sa « Phénoménologie de l’esprit ». Et depuis, elle est devenue une thématique récurrente dans la philosophie et plus particulièrement dans la philosophie politique. Plus proche de nous, c’est Francis Fukuyama qui a utilisé cette problématique dans les années 1980 pour parler de la fin du communisme et souligner que la démocratie et le libéralisme deviennent l’horizon indépassable de l’humanité dans un essai intitulé « La fin de l’histoire et le dernier homme » publié en 1992 en France et devenu un best-seller mondial. La réflexion de Fukuyama avait à l’époque accompagné la chute de l’ex-URSS qui s’est longtemps présentée comme une alternative à la démocratie libérale. Mais cet essai a été à l’origine d’une importante controverse dans les milieux de la philosophie politique et beaucoup avaient prédit que la disparition des philosophies du monde meilleur serait à l’origine de l’émergence de nouvelles idéologies. Ce sont les idéologies du nationalisme radical et de l’islamisme radical qui vont se substituer à celle du socialisme pour en cristalliser les craintes et les peurs et remettre en cause l’hypothèse de la fin de l’histoire.

Même si l’économie n’est pas fermée aux idées de la philosophie politique, la thématique de la fin de l’histoire lui est restée étrangère pendant de longues années. Ce n’est que récemment que des responsables de grandes institutions internationales, notamment Madame Christine Lagarde, la Directrice générale du FMI, ou d’autres experts et économistes y ont fait référence.

Mais avant d’y revenir, rappelons que l’histoire économique a été marquée par deux éléments essentiels à savoir la croissance forte et les niveaux élevés de productivité. Ces deux éléments ont été au cœur du développement du capitalisme «dans le court vingtième siècle» pour reprendre l’intitulé de l’essai de l’historien anglais Eric Hobsbawm. Mais, c’est surtout après la Seconde guerre mondiale que ce couple productivité et croissance sera au centre de ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses. C’est aussi ce couple qui favorisera la grande révolution de la répartition du fordisme après la Seconde guerre mondiale et le développement du modèle de consommation qui a fait le bonheur des baby-booms des Etats-Unis et dans la plupart des pays développés.

Cette association entre gains de productivité et forte croissance ne s’est pas seulement limitée aux pays développés; elle était au centre des projets de développement et de modernisation économique dans les pays en développement. Elle sera au centre des projets des pays émergents de l’Asie à l’Amérique latine et du modèle de rattrapage économique. Par ailleurs, les pays qui seront marginalisés dans le monde en développement seront ceux qui n’auront pas réussi à favoriser cette association. 

Ainsi, c’est sous l’aile protectrice et bienveillante de cette association entre les gains de productivité et la croissance que l’histoire économique du monde a été écrite tout au long du vingtième siècle. Mais depuis quelques années, cette histoire d’amour a commencé à avoir du plomb dans l’aile. Et la première remise en cause est venue de la critique écologique du début des années 1970 au modèle productiviste qui fait de la croissance, le fondement du développement économique. Ainsi, a-t-on assisté à l’émergence des thèses de la décroissance ou de la croissance zéro qui ont appelé à une remise en cause fondamentale des modèles fordistes et à favoriser l’émergence de nouveaux modèles non polluants. Cette critique n’est pas restée dans le domaine de la réflexion théorique mais a été au centre des projets politiques de l’écologisme dans un grand nombre de pays.

La seconde critique importante adressée à ce modèle, est plutôt de nature sociale. Certes, les mécanismes de répartition mis en place dans ce modèle et cette seconde association entre gains de productivité et hausse salariale a été au cœur de l’émergence des classes moyennes et d’une tendance à une plus grande égalité dans les sociétés développées; mais ce modèle s’est essoufflé et on a assisté à une montée importante des inégalités depuis trois décennies qui ont été à l’origine d’une grande marginalité sociale. Ce sont ces inégalités et cette marginalité qui étaient au cœur de notre Révolution et du développement de la problématique de l’inclusion.

Enfin, il faut également mentionner que ce modèle de développement peine à retrouver une croissance forte et à sortir le monde de la grande dépression dans laquelle il s’est enfermé depuis quelques années. Cette dépression s’est renforcée après la grande crise des années 2008 et 2009 et même les réponses de relance keynésiennes n’ont que faiblement porté leurs fruits et ont montré que les moteurs classiques de la croissance ne répondent plus. Les pays émergents et leur forte croissance ont maintenu l’illusion pendant quelques années. Mais, le fléau de la dépression s’est également propagé à ces pays depuis deux ans et si la Chine échappe à cette tendance son niveau de croissance de 7% durant les deux dernières années est nettement en dessous de ce qu’il lui faut pour maintenir un niveau important d’emploi.    

Aujourd’hui, les débats sur la fin de l’histoire en économie sont significatifs de la fin d’une ère et de la crise des modèles de l’économie classique. De nouveaux modèles et une nouvelle croissance sont à inventer. La fin de l’économie devient alors un appel pour construire de nouveaux projets inclusifs, égalitaires et respectueux de l’environnement.

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