La fin et les moyens

Après deux mois d’accalmie sur le front social, le mois de septembre marque un net regain de tensions, de contestations et de mouvements sociaux. Même si le pays est au bord du gouffre et qu’il ne lui reste plus qu’un pas pour tomber au fond du précipice, gouvernement, partis politiques et société civile ne semblent pas avoir pris la mesure de la catastrophe qui peut arriver à tout moment et retenir les leçons d’un passé tout à fait récent.

Toutes ces parties continuent, dans une insoutenable insouciance, d’agir comme si de ne rien n’était, comme si le pays affrontait sa première crise, comme s’il n y avait pas périls en la demeure !
La défiance de l’Etat et les appels à descendre dans la rue, comme moyen pour faire capoter  une initiative de réconciliation économique et financière dont devrait tirer profit une poignée d’hommes d’affaires, pourtant objet d’un racket organisé depuis plus de quatre ans, commencent à trouver un répondant. La rue commence à bouger, il va sans dire non spontanément, trouvant dans la campagne bien orchestrée par certains partis minoritaires un bon argument pour exprimer un refus et une colère contre un projet dont ils ignorent parfois l’essentiel de sa portée et de son contenu.
Ce qui surprend, c’est à l’évidence de voir certains partis et organisations de la société civile, que tout sépare sur le plan idéologique, se présenter en une sorte de front uni pour descendre en lambeau cette initiative, mal négociée, sommairement présentée, très peu défendue par la coalition au pouvoir. L’activisme des premiers, leur capacité de mobilisation de l’opinion publique et leur habileté en matière de communication a fini par produire l’effet contraire de ce que les initiateurs de ce projet de loi organique s’attendaient initialement.
Il en est de même pour les manifestations de colère des agriculteurs, fortement éprouvés par l’augmentation des coûts de production, la désorganisation du secteur, l’interventionnisme excessif de l’Administration et le poids des aléas climatiques, sévèrement arrêtées par les forces de sécurité.
Enfin, la preuve a été administrée par les menaces proférées par les deux syndicats de l’enseignement de base et du secondaire,à une semaine de la rentrée scolaire, à propos de revendications et d’application d’accords conclus. Un malaise et un cafouillage qui laissent profiler une nouvelle année scolaire agitée, au grand dam des parents et des élèves frustrés par des mouvements sociaux suscitant plus leur questionnement que leur offrant des alternatives réconfortantes.
Que fait le gouvernement pour arrêter cette spirale ? Sans nier le travail acharné qui est en train d’être déployé pour trouver des réponses à des problématiques complexes, des situations difficiles, redonner espoir à des jeunes de plus en plus gagnés par le doute et mettre en œuvre des réformes pour rompre avec un modèle de développement qui a atteint ses limites, ce qui dérange le plus, c’est que le message ne passe pas toujours bien, ni ne vient au bon moment.
C’est toujours en termes de communication que le gouvernement ne parvient pas à trouver la bonne recette qui lui permet de convaincre l’opinion publique et contenir son désenchantement.
Au moment où certains partis politiques, dont l’assise populaire est quasiment symbolique, ont réussi à affuter leurs armes pour faire une bonne communication, susciter un véritable débat public, influencer l’opinion et mobiliser les Tunisiens à leurs points de vue, la communication gouvernementale semble encore en net décalage. Son impact demeure limité, sinon insignifiant.
Ce qui lui manque cruellement, c’est le sens de l’anticipation, la qualité de l’information et de l’argument pour convaincre.
Au lieu de fournir des réponses exhaustives, pertinentes et de prendre l’initiative à son profit, l’attitude attentiste et trop réservée du gouvernement est devenue, tout simplement, pesante et contre-productive, ouvrant un champ vaste pour bloquer, sinon dénigrer, un processus, une réforme ou une action bien déterminée.
Que de quiproquos auraient pu être évités, de malentendus dissipés et d’incompréhensions épargnées si l’on a pris la mesure de la nécessité de changer de cap en matière de communication et de faire montre d’un plus grand professionnalisme et savoir-faire dans ce domaine.
Le dilemme dans lequel se trouve englué actuellement le gouvernement, par la multiplication des manifestations de colère et du recours parfois excessif des forces de sécurité à la violence pour disperser ces mouvements qui risquent d’aller crescendo, aurait pu être évitable. Il aurait pu agir autrement, plus intelligemment, pour s’éviter les critiques qui lui sont adressées en matière d’atteinte aux libertés, de recyclage de la corruption, de non-respect de la Constitution et de risque de retour à la dictature.

Réalités magazine 1550

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