Dans le cadre de la création de l’Académie de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux – projet initié par le président du groupe Maghreb Média et président de la FTDJ Taïeb Zahar visant à organiser une série de débats -, une première rencontre avec la presse qui s’est tenue vendredi 28 février à l’hôtel Kyriad prestige à Tunis a été organisée. Portant sur le thème du secteur automobile, ce sujet a été choisi pour la grande importance que revêt ce secteur aussi bien pour l’économie du pays que pour le citoyen tunisien.
La Fédération, qui représente tout autant la presse imprimée que la presse électronique, et qui est soucieuse d’être une force active de proposition, s’est choisie, à côté de sa mission représentative de la presse écrite, d’être à l’écoute des différents premiers responsables des secteurs vitaux du pays. Et ce, afin de débattre des problématiques que confrontent ces secteurs déterminants pour l’avenir du pays et du citoyen.
Exerçant son rôle de transmetteur des différentes voix, celui d’éclairer l’opinion publique et les lecteurs quant aux dessous des problèmes profonds dont souffrent les différents secteurs, piliers de la Tunisie, et ce, afin de dresser un bilan juste et complet, et par ricochet, aboutir à des recommandations adéquates passibles d’y remédier de façon profonde et constructive, la Fédération, et de par son rôle d’agitateur d’idées et sa mission en tant que force de proposition, a choisi pour sa première rencontre de jeter la lumière sur un secteur clé de l’économie tunisienne, à savoir celui de l’automobile en particulier “les concessionnaires automobiles”.
Invité d’honneur à cette rencontre, Brahim Dabbech, président de la Chambre syndicale des concessionnaires et fabricants automobiles. Il a été convié pour enrichir le débat tant il maîtrise ce dossier. Le thème de la séance a porté dans ce sens sur les problématiques auxquelles est confronté le secteur de l’automobile, à un moment où la Tunisie souffre d’un déficit de la balance énergétique et fait face à un enjeu de taille qu’est le manque de devises.
Le débat a été ouvert par Taïeb Zahar, président de la FTDJ. Etaient, également, présents Hafedh Ghribi vice-président de la FTDJ et Hédi Hamdi, Chargé de la formation et de la restructuration à la FTDJ en présence de nombre de journalistes de la presse écrite. La parole a été donnée à Dabbech, pour faire un état des lieux, dresser le bilan et formuler des recommandations. Et d’emblée l’invité d’honneur a mis l’accent sur l’importance du secteur de l’automobile pour l’économie nationale.
Un secteur clé dans l’économie tunisienne
“Nous devons nous pencher sur ce secteur qui vivra dans un avenir proche de très grandes mutations et sur lesquelles je reste très positif”, a-t-il laissé entendre tout en soulignant la nécessité de s’y préparer pour que l’économie tunisienne en tire profit. “Une véritable opportunité s’offre à notre pays grâce au secteur. Mais il faudra mettre en avant l’innovation et le potentiel tunisien en termes de recherche et de développement. Il y a beaucoup de choses qui sont en train de se faire, mais il faut vraiment qu’on accélère le pas où on doit axer sur deux maillons importants : la production des composants automobiles et la distribution”.
Révision du Quota
Depuis la fin des années 80 jusqu’à 2011, on a mis en place le système du quota relatif à la coopération industrielle qui a permis à la Tunisie de se doter d’un véritable pilier dans l’économie nationale à travers les industries mécaniques et électriques. A l’époque la règle du quota de la coopération industrielle permettait de demander aux constructeurs et fabricants des composants d’importer un nombre précis de voitures pour équilibrer la balance des devises et générer des entrées de devises. A présent, et de par sa proximité des marchés importants, notamment le marché européen, le secteur a développé du savoir-faire en termes d’industrie des composants, nous avons créé des champions nationaux et internationaux, comme les groupes GoFab, Gofficab, One Tech et compagnie”, note-t-il. Et de préciser que ce savoir-faire devrait accorder au secteur davantage de marge de liberté indiquant qu’il avait demandé une audience avec le ministre actuel du Commerce et des Exportations pour discuter des enjeux du secteur, notamment du besoin de fournir ce marché et exposer les actions et les préconisations des professionnels.
Renouveler le parc !
Tout en notant que les professionnels du secteur bénéficient d’une crédibilité auprès des autorités, Dabbech a souligné que si ces derniers défendent les intérêts des entreprises et des employés qui y travaillent, et de tout l’environnement, ils sont tout autant impliqués dans la défense du secteur dans sa globalité. “Cela va des auto-écoles, au service des mines et des cartes grises et en passant par la fabrication des composantes et les gammes de voiture. Nous sommes en lien étroit avec tout ce qui touche le transport en Tunisie. Et comme il s’agit du secteur le plus taxé, nous contribuons à raison de 35% dans l’économie nationale. Et nous avons le droit de demander, aujourd’hui, le changement du quota imposé qui ne répond pas à la véritable demande! Car l’enjeux est dans l’importation des véhicules neufs et la sécurité des citoyens. En 2018, on parlait déjà du vieillissement de 50% du parc automobile qui, à l’époque, avait plus de 10 ans! En 2025 les choses se sont aggravées. où plus de 50% du parc a plus de 15 ans d’âge avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer en termes environnementaux, de consommation, tant des véhicules anciens consomment plus de carburant et génèrent plus de pollution. Nous sommes même devenus importateurs de pièces de rechange usées dont le poids est calculé à la tonne!” Malheureusement, nous sommes parmi les pays au monde par pourcentage de la population où il y a le plus de taux d’accidents et qui enregistre le plus de décès et de blessés sur les routes! Et l’état des véhicules anciens, notamment les camions et camionnettes et bus, y est pour grand-chose! Et puis, le déficit de la balance commerciale est essentiellement énergétique. Le transport est un facteur important dans la consommation d’énergie. Donc la solution est entre-autres dans le renouvellement du parc et pourquoi pas dans la direction vers l’hybride et l’électrique”, recommande-t-il.
Et de noter que l’approvisionnement du marché doit demeurer sous le contrôle des acteurs professionnels accrédités et crédibles qui investissent, créent des emplois, garantissent l’entretien et la maintenance du matériel urbain, paient des impôts et des taxes et contribuent au renforcement de l’activité de la Tunisie “ Nous représentons un site de production de composants automobiles et des exportations s’élevant à pas moins de 4,3 milliards d’euros en 2024. Et il y a une volonté de doubler ce volume. Et la mobilité ainsi que le transport en sécurité sont un droit citoyen. D’ailleurs, si il y a 40 ans, on a choisi d’opter pour des voitures privées plutôt que de miser sur le transport public, on en paye les conséquences aujourd’hui! Hélas, jusqu’à ce jour, on n’a pas pris les mesures nécessaires pour changer. La vétusté et le déficit du transport public s’aggravent et mettent encore plus la pression sur le véhicule privé qui demeure la seule alternative face au manque du transport public”. Aujourd’hui, poursuit Dabbech, nous comptons environ 187 véhicules, y compris les camionnettes et les fourgonnettes, pour 1 000 habitants! On ne compte que 550 à 600 camions pour un marché comme la Tunisie, alors qu’on comptait 3 000 à 4 000 camions par an !
Voiture populaire, les chiffres ne sont pas bons!
Censé être la voiture de la classe modeste, la voiture populaire se transforme aujourd’hui en un luxe, a laissé entendre le spécialiste. “L’objectif initial de la voiture populaire était un prix réduit pour permettre à certaines classes sociales d’accéder à l’achat d’un véhicule. Aujourd’hui, la majeure partie de la population veut acheter une voiture dite populaire! A un moment, le fonctionnaire avait la possibilité d’accéder à l’achat d’une voiture populaire, avec un simple prêt CNSS ou CNRPS. Aujourd’hui, 100.000 citoyens sont sur la liste d’attente alors que le quota des voitures populaires est plafonné à 10.000 véhicules par an. C’est-à-dire qu’il faut 10 ans pour satisfaire cette seule liste d’attente! Or, on estime qu’il y a une demande de véhicules utilitaires d’environ 15.000 à 20.000 par an. Et on estime que les besoins annuels pour satisfaire le marché est d’importer 80.000 véhicules par an. Et pour y remédier, nous devons, à mon sens, intégrer les petits véhicules utilitaires dans cette catégorie, notamment les fourgonnettes ou les pick-up. Il serait utile aussi d’accentuer la commercialisation des véhicules qu’on appelle d’occasion réimmatriculées, puisqu’en fait la majorité des véhicules nous parviennent déjà avec une première immatriculation!
Et dois-je noter que sur le marché parallèle, c’est-à-dire à travers l’origine du FCR, on fait le cumul des 75 000 à 80 000 voitures par an! Sachant qu’aujourd’hui, notre quota est d’environ 50 000 voitures! En 2024, avec les derniers ajustements qui ont eu lieu pour le régime FCR, ça représente 30% de la totalité du marché. Les réglementations de 2012, à travers la loi des 5 ans d’ancienneté, ont permis ce rebond. Alors que la voiture ne devait pas avoir plus de 3 ans. Ce régime est de nouveau de mise depuis quelques mois et on estime que cette année, on va enregistrer un flux important des véhicules immatriculés FCR. Et compte tenu du manque de véhicules sur le marché, le citoyen est à la demande. Et pour récapituler, le manque de véhicules sur le marché et le pouvoir d’achat détérioré créent de très fortes pressions. Et il serait urgent alors de réviser le régime de quotas qui est contraire à la réglementation internationale en vigueur”.
Corrigeons les idées reçues
Dabbech a relevé que le secteur automobile est souvent accusé d’être un secteur consommateur de devises dont et de secteur qui investit dans les voitures de luxe dont on peut se passer. Or, les voitures de luxe, note-t-il, ne représentent que 2 à 3% de la totalité du marché. “Les importations automobiles ne représentent que 1,5% à 2% de l’ensemble des importations du pays. Il y a peut-être eu des années où on est passé à 2,5 ou à 3%, mais on n’a jamais dépassé 3% des importations en Tunisie. Et souvent le citoyen qui s’adresse à nous autres concessionnaires ne trouve pas la voiture disponible et doit attendre 5 mois. Et c’est paradoxal car nous avons 60 marques représentées alors qu’en réalité, seulement quinze à vingt marques assurent 65% du marché avec 25 marques très actives ».
Recommandations
L’intervenant a indiqué que le besoin du programme d’importation devrait être à 60 000 véhicules par an minimum , “cela permettrait aux concitoyens d’approvisionner le marché de manière plus fluide et diversifiée et avec des véhicules à des prix plus compétitifs, parce qu’on pourrait être de nouveau en position de force de négociation avec nos constructeurs. Nous avons par ailleurs proposé d’élargir la palette des voitures économiques pour afin d’offrir plus de choix au consommateur. Car on a besoin d’une véritable voiture familiale avec un coffre arrière où on va pouvoir mettre les bagages, etc. Et donc, le besoin est sur ce segment des voitures un peu plus grandes, tout en respectant les contraintes techniques. Et malheureusement, pour ces modèles-là que je viens de citer, la porte nous est fermée à cause de la contrainte de prix. Donc nous avons proposé au ministère de créer deux segments. Un segment pour les toutes petites voitures comme la Cherry QQ qu’on pourrait fixer au maximum la barre à 35 000 où même peut-être moins. Et un second segment pour les autres voitures qui représentent 70 ou 80 % des demandes, où il s’agit de voitures un peu plus grandes”.
Abir CHEMLI