Dans un livre paru en France au mois de janvier 2018 “Vieux renards et jeunes loups” (l’Archipel ), l’auteur, Frédéric Métézeau, raconte qu’avant de quitter le Parti socialiste pour fonder un parti de gauche en 2008, Jean Luc Mélenchon a pris conseil auprès d’un leader de la droite, François Bayrou ! Et ce dernier de justifier cette complicité : “Je m’entends bien avec Mélenchon depuis longtemps, car nous appartenons à la même communauté culturelle. Celle des grands discours, des tribuns, de l’Histoire, des formules et des mots qui veulent dire quelque chose”. La comparaison est tentante : on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle cette scène un peu “surréaliste” avec la “liaison” entre les tartuffes de la gauche et les islamistes dans notre pays. C’est la honte et le déshonneur d’une gauche qui a enfoui sa passion de liberté et de modernité en déversant les tombereaux de brocards, d’outrages, de sottises sur tous ceux qui ont dénoncé ce mariage contre-nature. Quelle idiotie de réduire les valeurs de la gauche à un état morbide voyant ennemis et traîtres partout sauf chez les “nouveaux alliés” islamistes ! Comment mener le combat pour la liberté et la démocratie avec ceux qui ont intérêt à les diaboliser ? Cette mise à nu érigée en spectacle nauséabond reste cependant en arrière-plan du vrai problème. Ce qui m’intéresse ici est de comprendre ce que l’arrivisme éhonté qui précède cette “liaison dangereuse” révèle de la psyché de ces faux gauchistes. “Je ne sais pas ce que je veux, mais je sais comment l’obtenir”, chantait l’ex-leader du groupe punk Johnny Rotten. Qui de ma génération ne connaît pas ce tube de Sex Pistols “Anarchy”, sorti en 1977 ? Tenaillés par un obscur désir de trahir les idéaux de la gauche, ces “prophètes de l’anarchie”, forcément atteints d’une pathologie rare et atroce qui les pousse à composer avec des suceurs de sang voraces et immoraux, semblent aujourd’hui, ronronner cette chanson. Ce n’est pas encore l’anarchie totale dans la famille de la gauche, mais bel et bien le chaos. L’ironie, l’un des seuls luxes qui restent en abondance en Tunisie “révolutionnaire” et “démocratique”, que cette liaison “fatale”, vécue par la plupart des citoyens comme un désastre, un tsunami qui a aboli les valeurs de la gauche et emporté ses repères, n’était pas venue de ceux que le grand poète français René Char nommait les “désenchantés silencieux”, qui cherchent à fuir le guêpier idéologique, mais de la vieille garde qui aurait pourtant tout à gagner à se couler dans les habits des gardiens du temple. L’ironie est cinglante : par quelle mystérieuse alchimie des faits participent-ils? De quelle liberté s’autorisent-ils ? De quel engagement idéologique témoignent-ils ? Ils ne font qu’une chose : s’enfoncer ! Cette gauche est forcée de jouer dans une pièce qui n’est pas la sienne. Elle se veut vertueuse, mais sans les valeurs de la gauche qui lui permettraient de l’être. Quel choix, quelle visée politique et, au-delà, quelle idée de la démocratie peuvent conduire à une infamie de cette ampleur ? Que dire aux militants historiques de la gauche tunisienne qui se sont engagés, parfois au péril de leur vie, pour bâtir un Etat démocratique et éradiquer l’obscurantisme ? Cette carnavalisation de la démocratie révèle une névrose chez plusieurs gauchistes : “L’hystérique est un esclave qui cherche un maître sur qui régner”, disait le psychanalyste français Jaques Lacan. Nous le vérifions chaque jour depuis cette “liaison”. “Ça crée de l’ivresse”, écrivait le philosophe allemand Peter Sloterdijk citant les arrivistes. Ils ressemblent de plus en plus à leur caricature et la déraison semble plus que jamais gouverner leurs esprits. À force de semer des idioties à pleines mains, de prononcer des discours déroulés, où l’hypocrisie, allant de soi, y retourne aussitôt, comme celle du caméléon qui ne sort que pour faire mouche, nous voilà arrivés au bout du gouffre. À chacun des annonciateurs de cette flétrissure, de ce déshonneur, qui n’a pas ménagé ses efforts pour exhiber l’obscène “liaison” : “Te voilà chassé de l’imaginaire et des souhaits. Te voilà ébranlé. Te voilà en toi-même, réduit à toi-même, drapé dans ton impuissance” ( Mahmoud Messadi “Assod”, Le barrage ).
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