La gestion durable des déchets dans l’industrie pharmaceutique et médicale

Par Dr Samah Chemli Horchani*

La gestion des déchets est devenue l’un des défis les plus pressants de notre ère moderne, avec des implications majeures pour la santé publique, l’environnement et l’économie. Une gestion inadéquate des déchets constitue une menace pour le développement durable avec ses trois piliers, environnemental, économique et social. À mesure que la population mondiale continue de croître et que les modes de vie deviennent de plus en plus consuméristes, la quantité des déchets générée atteint des niveaux sans précédent. Cette croissance exponentielle pose des questions cruciales sur la manière dont nous collectons, traitons et éliminons nos déchets, ainsi que sur les solutions durables que nous devons développer pour atténuer les impacts négatifs sur notre planète et ses habitants. La problématique principale serait de savoir « comment optimiser la gestion des dÈchets dans líindustrie pharmaceutique et mÈdicale afin de rÈduire leurs impacts nocifs ? »
L’intérêt et l’importance de ce sujet sont justifiés, d’une part, par la gravité des risques associés à la production de déchets médicaux et, d’autre part, par les dangers pour la santé humaine et l’environnement résultant de l’absence d’un système de gestion adéquat et efficace de ces déchets. L’industrie pharmaceutique et médicale appartient au secteur clé de la santé. La Tunisie a donné la priorité à ce secteur caractérisé par un important potentiel de croissance. Le marché des produits et services de santé est en expansion en raison de l’accroissement de la population, l’amélioration de l’accès aux soins, des nouvelles thérapies et des vaccins, l’augmentation des maladies liées au mode de vie, telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires, les maladies chroniques des voies respiratoires, le diabète ou encore les accidents vasculaires cérébraux.
L’accroissement de l’espérance de vie fait apparaître de nouvelles utilités médicales pour une catégorie de population de plus en plus importante. Cependant, en raison de sa consommation énergétique constante et de la quantité considérable des déchets qu’il génère, le secteur de la santé est également l’un des principaux pollueurs. Bien qu’il soit considéré comme étant plus respectueux de l’environnement que d’autres industries, son empreinte carbone mondiale représente entre 1% et 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre pour ces dernières années. Selon les projections, la population mondiale devrait atteindre 8,6 milliards d’ici 2030 et 9,8 milliards d’ici 2050, ce qui continuera à engendrer une augmentation des interventions et des traitements médicaux. Inopportunément, ces chiffres annoncent identiquement un accroissement de la quantité de déchets engendrés par les établissements de santé. Il est à noter que la majorité des déchets générés par les établissements de santé, soit environ 85 %, est assimilable aux déchets ménagers et est donc d’un niveau supérieur de danger partiellement faible. Cependant, les 15 % restants sollicitent une attention particulière en raison de leur potentiel de dangerosité, étant éventuellement infectieux, toxiques ou radioactifs. En outre, les contacts entre les déchets infectieux et non infectieux peuvent entraîner une contamination de tous les déchets. Des recherches récentes montrent que la fréquence des déchets infectieux augmente de 15,1 % en raison de leur contact avec des déchets non infectieux. Il est donc primordial d’accorder une gestion adéquate aux déchets en fin de vie, afin de prévenir des conséquences graves pour l’environnement et la santé humaine.
La pandémie mondiale de la Covid-19 en 2020 a entraîné une augmentation significative de l’utilisation de dispositifs à usage unique et/ou en plastique, tels que les masques, les blouses, des gants et des visières de protection dans les hôpitaux, ce qui a exacerbé la gestion déjà non durable des déchets hospitaliers. Cet alourdissement du volume de déchets hospitaliers notifie un accroissement de l’utilisation des pratiques d’élimination des déchets qui ne sont pas sûres et rationnelles pour l’environnement telles que l’enfouissement et l’incinération qui sont des sources d’émission atmosphériques toxiques telles que les dioxines et furannes. Pour les médicaments, les études ont montré que le cycle de vie d’un médicament ne se termine pas à la consommation mais dans les décharges sauvages. Les déchets médicamenteux peuvent finir dans les eaux usées tout en atteignant les stations d’épuration. De plus, la décomposition des médicaments n’est pas fiable à 100% ; par conséquent, ils finissent dans les écosystèmes aquatiques, ce qui affecte plusieurs organismes qui seront exposés à la toxicité, à la bioaccumulation et autres effets dangereux.
La gestion des déchets s’avère une nécessité. Elle se manifeste à travers un ensemble de processus et de pratiques mises en œuvre pour éliminer les résidus. Le processus de gestion des déchets inclut la collecte, le tri, le stockage, le transport, le recyclage, la valorisation et l’élimination des déchets. Il englobe aussi toute activité participant à la prise en charge des déchets depuis leur production jusqu’à leur traitement final, y compris les activités de négoce ou de courtage et la supervision de l’ensemble de ces opérations. L’objectif de la gestion des déchets est de réduire l’empreinte écologique et individuelle tout en respectant les cadres réglementaires. D’après la loi n° 75-16 du 14 avril 1975 relative à la lutte contre la pollution, les déchets sont définis comme toute matière, substance, objet ou bien abandonné, rejeté ou destiné à l’abandon ou au rejet. Cette définition englobe les déchets solides, liquides et gazeux. Plusieurs traités internationaux ont été signés pour établir des principes fondamentaux concernant la santé publique, la protection de l’environnement et la gestion sécurisée des déchets dangereux. Ils fixent des règles pour l’organisation, la préservation, la collecte, le déplacement et le traitement des déchets médicaux. Le suivi de ces règles est garant d’une gestion efficace et durable qui réduit les risques pour la santé et l’environnement.
En Tunisie, plusieurs lois ont été émises pour réglementer la gestion des déchets dans le secteur de la santé tels que la loi n°96-41 du 10 juin 1996 concernant la gestion et l’élimination des déchets et remplacée par la loi n° 14-2001 du 30 janvier 2001. Cette loi traite de la gestion de divers types de déchets. Elle a catégorisé les déchets des activités de la santé comme des déchets spéciaux et a introduit deux principes clés, celui du « pollueur-payeur “et celui du « producteur-rÈcupÈrateur« . Certains décrets, tels que le décret du 28 juillet 2008, numéro 2008-2745, recommandent la création d’une unité de gestion des déchets dans chaque établissement de soins, alors que d’autres arrêtés, tels que celui du 4 septembre 2002, numéro 2002-2015, établissent les normes techniques pour l’équipement et l’agencement des véhicules transportant des matières dangereuses par voie terrestre. Des efforts ministériels sont faits pour l’aménagement du territoire et du développement durable de la santé. Plusieurs comités techniques nationaux sont également créés afin de suivre le projet de promotion des bonnes pratiques de gestion.
Les études de terrain montrent une diversité d’opinions et d’approches concernant les plans futurs pour améliorer la gestion et la valorisation des déchets de l’industrie pharmaceutique et médicale. Ainsi, le point de départ serait la réduction de la quantité de déchets produits et la transformation des déchets en nouveaux produits. Des programmes de recyclage pour réutiliser les déchets générés sont à mettre en place. Une bonne gestion nécessite un plan managérial dirigé par un responsable qui organise et harmonise les tâches, le choix du personnel doit être basé sur les connaissances des normes, des étapes et des changements de lois. L’engagement de la direction envers la gestion des déchets s’avère une source de motivation et d’engagement pour le personnel. Les formations continues prouvent l’engagement des établissements de santé et des entreprises pharmaco-médicales envers le développement professionnel de leurs employés. Ces formations offrent au personnel l’opportunité de renforcer ses compétences et d’acquérir de nouvelles connaissances. Il est important aussi de mettre en œuvre d’autres incentives comme des primes ou des avantages sociaux, dans le but de motiver le personnel, le fédérer autour des objectifs de la durabilité et de gagner sa fidélisation, ce qui permettra de réduire les coûts de recrutement externe de spécialistes en gestion des déchets.
La mise en place d’un système de management des risques global, qui tient compte des modes de défaillance et des attentes des parties intéressées, est un enjeu majeur pour le secteur sanitaire. Dans ce sens, la possibilité d’intégrer une démarche de management des risques, selon la norme ISO 31000 version 2018 par exemple, s’offre.
Différents outils favorisent l’anticipation et la maîtrise efficace des différents risques. La méthode AMDEC (Analyse des modes de défaillance, leurs effets et leur criticité), permet d’identifier les différents modes de défaillance et de déterminer la probabilité, la gravité et la criticité de chaque risque afin de voir lesquels sont les plus critiques. De même, elle permet de faire un suivi afin de vérifier l’efficacité des plans d’action mis en place. La cartographie des risques est également un outil puissant et crucial qui aide à hiérarchiser les défaillances pour déterminer les risques à traiter en priorité. Après l’analyse et la classification des risques, des actions correctives et préventives sont prises dans le but de diminuer la probabilité des modes de défaillance identifiés. Il est à noter que le contrôle sous ses différentes formes, telles que l’audit interne et les visites imprévues sur le lieu de travail, sécurise le processus et garde le personnel en vigilance continue.
Toutefois, afin de parvenir à un développement durable réel, il est essentiel d’adopter une approche globale qui englobe la réduction à la source, le recyclage, la valorisation des déchets et une sensibilisation plus importante du public. Également, il est primordial que les gouvernements, les établissements de santé, les entreprises et les individus s’impliquent afin de mettre en place des systèmes de gestion des déchets efficaces et durables. La future gestion des déchets sera conditionnée par notre aptitude à innover, à travailler ensemble et à mettre en place des solutions qui réduisent non seulement l’impact environnemental, mais aussi encouragent la croissance économique et améliorent la qualité de vie.

*Habilitated Assistant Professor Management Department, Tunis El-Manar University, Faculty of Economic Sciences and Management of Tunis FSEGT, Tunis, Tunisia.
Laboratory of Innovation Strategy Entrepreneurship Finance and Economics LISEFE, Farhat Hached University Campus, B.P. 248 – El Manar II, 2092, Tunis, Tunisia.
Professional University Trainer in Entrepreneurship Innovation and Agile Management

 

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