On a assisté depuis quelques années au retour de la thématique de l’industrialisation dans le débat public sur le développement après au moins deux décennies de marginalisation. En effet, si la question du développement industriel était au centre des stratégies de développement au début des années 1960-70, elle a été nettement marginalisée dès le début des années 1980 avec les politiques d’ajustement et des réformes et a été considérée par certains à l’origine de la crise de la dette du début de la décennie. En effet, les nouveaux gourous du développement de l’ère du tout libéral ouverte par les élections de Margaret Thatcher en Grande Bretagne et de Ronald Reagan aux Etats-Unis, avaient considéré que les investissements publics dans le secteur industriel sous haute protection douanière n’avaient produit que rente, inefficacité et mauvaise allocation des ressources ce qui a pesé sur les grands équilibres macroéconomiques des pays et a été à l’origine de la crise de la dette à partir de la crise mexicaine de 1982. A partir de cette date, les politiques d’ajustement structurel et les réformes économiques vont renvoyer aux calendes grecques les politiques structurelles dont les politiques industrielles et faire de la gestion des grands équilibres macroéconomiques l’alpha et l’oméga des stratégies de développement industriel.
Or, les échecs successifs de ces politiques dans différents domaines ont remis à l’ordre du jour les stratégies de développement industriel comme un outil de diversification des tissus productifs des pays en développement et d’augmenter leur compétitivité dès le début du siècle. Plusieurs pays et institutions internationales se sont éloignés des schémas de l’orthodoxie financière pour se saisir des problématiques de développement industriel en mettant en place des stratégies d’émergence à long terme. Ce retour de l’industrie a suscité un grand intérêt et a été au cœur d’un engouement intellectuel digne des grandes modes théoriques dont seuls les économistes ont le secret. Et deux arguments ont contribué à ce retour en grâce de l’enfant prodigue du développement économique. Le premier concerne le succès des stratégies de développement industriel des pays émergents qui ont réussi à opérer une transformation profonde de leurs structures économiques et devenir de nouvelles puissances industrielles et commerciales qui sont parvenues à opérer une profonde transformation de l’économie globale.
Le second élément qui a favorisé ce retour du développement industriel concerne le phénomène de la globalisation qui a favorisé un important déploiement au niveau global, des activités industrielles. Certes, l’internationalisation des activités des grandes firmes et la division internationale du travail dès le début des années 1970 ont été à l’origine d’un déploiement des activités industrielles au niveau international avec la délocalisation des activités intensives en travail dans les pays à faible coût ou dans les pays disposant de marchés internes à grand potentiel. Cette délocalisation permettait d’améliorer la compétitivité des activités industrielles traditionnelles et d’éviter les barrières douanières relativement élevées durant cette période. Or, la globalisation à partir des années 1990 va ouvrir une étape nouvelle au déploiement des activités industrielles à travers le monde à travers la décomposition des chaînes de valeur et leur distribution. Cette nouvelle ère a contribué à l’engouement récent aux stratégies de développement industriel et aux thématiques de la diversification du tissu économique des pays en développement.
Or, le retrait de la globalisation et les blocages dans les négociations multilatérales sur la libre circulation des biens manufacturés dans le cadre du cycle de Doha, semblent avoir porté atteinte à l’engouement du début du siècle. Plusieurs éléments montrent ce recul et les changements d’optique dans les stratégies de développement industriel post-crise. D’abord, il faut souligner que la grande crise des années 2008-2009 a porté un coup majeur aux activités manufacturières qui n’ont jamais pu retrouver le rythme qui était le leur d’avant crise. En effet, si la production industrielle a bondi à un rythme élevé dans l’immédiat après crise avec des rythmes de croissance de 10%, cet effet de rattrapage a disparu et la production industrielle est revenu à un rythme de croissance annuelle qui se situe entre 1,5 et 2%, soit en dessous du PIB. Par ailleurs, cette croissance industrielle est marquée par une grande disparité entre les pays. En effet, si les pays émergents connaissent des rythmes de croissance élévés avec une moyenne de 4% qui est nettement en dessous de son rythme de progression durant les années 2000, le processus de désindustrialisation se poursuit dans les pays développés avec une croissance négative de -1% aux Etats-Unis et de -2% pour le Japon et une croissance faible en Europe (0,5%). Cette croissance faible s’explique par la morosité de demande globale et particulièrement de la consommation dans les pays développés.
La troisième caractéristique du développement récent des activités industrielles concerne la fin des relocalisations et du retour de certaines activités dans les pays développés. Pourtant on avait construit beaucoup d’espoirs sur ce phénomène qui pouvait réindustrialiser les pays développés en tirant profit de la hausse des coûts de main d’œuvre dans les pays émergents et la baisse des prix de l’énergie avec le développement de l’utilisation du gaz de schiste notamment aux Etats-Unis. Or, les relocalisations sont aujourd’hui en panne et la désindustrialisation se poursuit avec une perte des emplois industriels estimé à 33 900 postes en 2015 en France et 570 000 lors des dix dernières années.
La quatrième caractéristique concerne la nature du déploiement des activités industrielles et qui est marquée par un recul et pour certains la fin du mythe des chaînes de valeur et le retour des vieux schémas hérités de l’internationalisation. En effet, il semble que les grandes firmes délocalisent leurs activités dans des pays à faible coût de main d’œuvre situés à proximité des grands marchés. Ainsi, a-t-on assisté au développement des activités industrielles au Mexique pour le marché américain, en Malaisie, aux Philippines et au Vietnam pour l’Asie, et en Slovénie, en Roumanie, en Estonie, en Lituanie, en Pologne et en Hongrie pour le marché européen.
Après l’engouement du début du siècle, le développement des activités industrielles est à l’aube de grandes transformations et de grandes ruptures du fait d’un recul de la globalisation. Des transformations que nous devons prendre en considération dans l’élaboration de nos stratégies de développement industriel et d’émergence.
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