Sami Mahbouli*
En arpentant la rue de « La Grande Truanderie » située dans le 1er arrondissement de Paris, je n’ai pu m’empêcher de penser à notre triste actualité locale : la commémoration du huitième anniversaire de notre prétendue révolution.
Après l’euphorie du rassemblement sur l’artère principale de Tunis et le départ précipité de Ben Ali, on a rapidement compris à travers l’auto-désignation à la tête de l’Etat de ses principaux collaborateurs, Ghannouchi et Mbazaâ, que l’on nous réservait une arnaque géante, une truanderie de haut vol qui ne semble pas près de cesser.
En dépit de la sincérité de ceux qui espéraient un changement et de ceux qui s’y sont attelés, le bilan de cette transition révolutionnaire est affligeant : une Constitution destinée à rendre le pays ingouvernable, un Etat dépossédé de son autorité au profit de partis aux allégeances douteuses et d’une Centrale syndicale au-dessus des lois, une montée de l’incivisme et de l’insécurité qui dépasse l’entendement et une menace terroriste permanente qui détériore l’image de la Tunisie et des Tunisiens à travers le monde. Même le prix Nobel attribué au Quartet est une maigre consolation au regard de l’ampleur du désastre.
La « Tachlikation de l’Etat » et l’effritement de son autorité perceptibles à l’œil nu ne font qu’accentuer la dégradation de la situation économique et sociale ainsi que la chute vertigineuse de la monnaie locale.
Quand un Etat est incapable de sévir contre une poignée de voyous qui bloquent la production de phosphates et d’hydrocarbures et obèrent notre balance commerciale, on se surprend à ressentir de la nostalgie pour un régime despotique. Quand l’économie d’un pays est l’otage de bandits et de brigands, la violence légale de l’Etat devient une nécessité absolue, voire une vertu.
Pouvions-nous imaginer, ne serait-ce qu’un seul instant, qu’après s’être extirpé de l’ère de la peur, nous allions inaugurer le cycle de la lâcheté généralisée.
Ne pas affronter ceux qui sapent les fondamentaux de l’Etat, tolérer que les taxis collectifs fassent régner la terreur sur nos routes, fermer les yeux sur l’absentéisme des fonctionnaires, laisser la corruption gangréner l’Administration publique, mettre sous le boisseau le dossier de ceux qui ont envoyé nos enfants à une mort certaine en Syrie ou ailleurs, et j’en passe, constituent les preuves d’une vérité incontestable, à savoir que la lâcheté règne sans partage dans notre pays.
Si l’absence de courage et de patriotisme devait perdurer, j’ai bien peur que nous ayons à affronter des perspectives sombres où rien n’est à exclure, y compris le pire.
A l’avenir, de grâce, songeons sérieusement à nous abstenir de fêter cette grande truanderie qu’on désigne pompeusement de « Révolution de la liberté et de la dignité » et dont nous n’avons récolté que les déficits abyssaux, un dinar en lambeaux, un pouvoir d’achat en deuil, sans oublier quelques caches d’armes bien dissimulées.
Ma grande crainte est qu’il faudra bien plus que des élections transparentes pour inverser la courbe d’un déclin voulu par des vendus et des mercenaires qui ont juré de ravaler notre Tunisie au stade d’une pétaudière ingérable où la misère fait bon ménage avec l’obscurantisme.
Nous n’avons pas besoin de Révolution, surtout de pacotille comme celle que nous expérimentons depuis 8 ans, mais d’un sursaut d’orgueil et de courage pour que nos enfants n’héritent pas d’un « bateau ivre » et ne nous toisent pas demain avec mépris.
*Avocat et éditorialiste