Faut-il, encore une fois, dévier le débat politique de l’urgent et du vital vers ce qui n’intéresse pas la majorité des Tunisiens, à savoir la légitimité ou non des décisions du 25 juillet et du décret 117 et de toutes les décisions qui en découleront, dont la nomination de Najla Bouden-Romdhane et de son équipe gouvernementale ? Les Tunisiens sortis par milliers dimanche 3 octobre exprimer leur soutien à toutes les décisions du président Kaïs Saïed ont tranché et ont orienté la boussole vers ce qu’ils considèrent comme essentiel, à savoir changer la donne politique, rétablir l’Etat de droit en mettant un terme à l’impunité de la caste des intouchables, améliorer les indicateurs économiques et réhabiliter les droits fondamentaux.
Le débat sur la légitimité ou non de l’Etat d’exception est nécessaire si l’on ne veut pas que ce boulet reste une épine dans le pied du futur gouvernement Bouden, même si ce gouvernement bénéficie déjà de la légitimité populaire avant même de voir le jour. Mais cette question ne doit pas non plus devenir l’unique sujet de débat et la seule préoccupation des principales forces nationales, comme cela a été le cas pour les précédentes crises politiques, tout au long des dix dernières années, et qui a abouti à la situation chaotique que nous vivons aujourd’hui. D’autant que les Tunisiens ont clairement exprimé leur détermination à soutenir tout ce qui a été décidé par le président Kaïs Saïed les 25 juillet et 22 septembre, ce qu’ils considèrent d’ailleurs comme le fruit de leurs propres revendications depuis de nombreux mois. Et ils en demandent encore. Beaucoup parmi eux ne cachent pas leur déception à l’égard de la lenteur du président Saïed et de son inertie en ce qui concerne la lutte contre la corruption et la reddition des comptes dans les graves affaires de terrorisme. Les milliers de manifestants qui sont descendus dans les rues de nombreuses villes, dimanche 3 octobre courant, ont particulièrement visé le président de l’ARP et d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qu’ils accusent d’être responsable, d’une manière ou d’une autre, des assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, dont les familles étaient présentes à l’avenue Bourguiba.
Les adversaires de Kaïs Saïed ont le droit de s’opposer à ses décisions et d’exercer toute sorte de pression pour lui faire faire marche arrière et rouvrir les portes enchaînées du Parlement. Ils sont descendus dans la rue et ont témoigné via les médias et les réseaux sociaux pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme un coup d’Etat. Mais, ils agissent en vaincus et leur entêtement à ignorer la légitimité de la rue et à choisir la fuite en avant laisse craindre une volonté en dernier recours d’aller à la confrontation, comme ce fut le cas vendredi 1er octobre devant l’ARP. Etait-ce judicieux de faire semblant d’ignorer l’Etat d’exception dans une tentative de défiance au président de la République en se pointant, le 1er octobre, devant le portail principal de l’ARP sous haute protection sécuritaire, sous prétexte que « les vacances parlementaires sont terminées et qu’il faut rejoindre l’hémicycle pour se remettre au travail » (Dixit Mohamed Goumani, Ennahdha) ? Cette action a été traduite par nombre d’observateurs comme une manipulation visant à transmettre aux partenaires étrangers d’Ennahdha des images de députés oppressés sous la dictature de Kaïs Saïed. Ce scénario peut, en effet, marquer les esprits qui ne connaissent pas la réalité locale, mais il ne peut convaincre ceux qui rejettent toute forme d’ingérence étrangère dans les affaires internes des pays. Ce qui laisse pantois, c’est l’aisance avec laquelle les gens d’Ennahdha particulièrement font appel à l’intervention étrangère pour faire contrebalancer les pouvoirs en leur faveur. Après quoi, ils s’indignent d’être traités de « vendus » par leurs compatriotes.
Le gel des activités de l’ARP est désormais un fait accompli et il n’y aura plus de retour en arrière. La grande question, aujourd’hui, est comment dépasser la crise « putsch VS rectification de cap » ? Scénario possible : le rapport de la Cour des comptes sur les crimes électoraux débouche sur des jugements effectifs prononcés par l’ordre judiciaire. Les listes d’Ennahdha, Qalb Tounes et 3ich Tounsi (plus de 90 députés) signalées comme ayant bénéficié de financements étrangers sont annulées. D’autres députés, une cinquantaine, font également l’objet de poursuites judiciaires et pourraient perdre leur députation par ordre judiciaire. Résultat : l’ARP assainie par les partis hors-la-loi pourra reprendre ses travaux et le dialogue national peut démarrer sur le projet de réformes politiques en vue d’élections anticipées si tout est prêt avant la fin du mandat en 2024. Un autre scénario n’est pas à écarter : la poursuite des manifestations de rue pourrait déboucher sur des confrontations entre les anti et les pro-Kaïs Saïed. Les risques de débordements ne sont pas alors à écarter.
Le président Kaïs Saïed a sommé, une nouvelle fois, lundi dernier, en recevant le président du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats à assumer leurs responsabilités dans le traitement urgent des dossiers brûlants de corruption et de terrorisme qui sont en souffrance depuis des années dans les tribunaux. Le dénouement de la crise politique actuelle dépend en effet largement de la promptitude de la justice à coopérer pour faire respecter l’Etat de droit dans le règlement des affaires de corruption et de terrorisme en instance liées à des politiques, des magistrats, des hommes d’affaires…
C’est là la responsabilité historique des juges vis-à-vis de leurs compatriotes et l’occasion, également, pour eux d’assainir la justice et de réhabiliter sa totale indépendance des influences politiques.
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