La loi de Finances 2017 a suscité une grande controverse et de grands débats de la part des acteurs politiques, économiques et sociaux. En particulier, les décisions relatives au report des augmentations salariales qui ont suscité le refus de la Centrale syndicale qui s’en tient à l’application des accords signés avec l’ancien gouvernement et le respect des engagements pris. Par ailleurs, la Centrale patronale, même si elle a exprimé l’engagement des hommes d’affaires et des entreprises à effectuer des efforts supplémentaires lors de cette période de crise, a émis certaines réserves quant à la proposition gouvernementale d’une imposition exceptionnelle sur les entreprises de 7,5%. De même, les nouvelles mesures sur la fiscalité des professions libérales ont suscité de grandes controverses de la part des syndicats des médecins et des avocats.
Mais, au-delà des désaccords, ce projet de loi de Finances a montré la forte détérioration de la situation financière et économique de notre pays durant les deux dernières années. La croissance est tombée de 2,4% au cours de l’année 2014 à 0,8% au cours de l’année écoulée pour se poursuivre à un rythme faible au cours de l’année en cours qui devrait se situer autour de 1,5% à la fin de cette année. Ces deux dernières années ont connu une forte détérioration des grands équilibres macro-économiques avec une augmentation rapide du déficit public qui est passé de -4,2% en 2014 à -4,8% en 2015 avant de grimper à -5,7% selon les projections pour l’année en cours. Mais, l’indicateur le plus important de cette détérioration reste la réduction de la part des recettes propres par rapport aux dépenses qui se situent autour de 73%, soit nettement en dessous du seuil de soutenabilité qui est de 85%. Cette détérioration des grands équilibres des finances publiques a été à l’origine d’une explosion de la dette publique qui est passée de 54,9% à 63% entre 2015 et 2016.
Ainsi, notre économie a connu durant les deux dernières années un affaiblissement de l’activité économique et une augmentation des tensions déflationnistes provoquant une forte détérioration de nos grands équilibres macroéconomiques qui a mis notre pays au bord d’une crise financière sans précédent.
C’est dans ce contexte de forte crise économique que le gouvernement d’union nationale a établi la nouvelle loi de Finances 2017. Ce contexte explique la difficulté de cet exercice d’autant plus que les marges de liberté sur les plans économique et financier de l’Etat sont des plus réduites. Il est important de tenir compte de ce contexte dans la formulation des commentaires et des remarques sur de ce projet de loi.
La lecture et l’analyse d’une loi de Finances peuvent prendre plusieurs angles et privilégier plusieurs aspects. On peut s’intéresser aux grands équilibres comptables de cette loi, car comme toute comptabilité, celle des comptes publics doit obéir à une série de règles et de principes notamment de réalisme, de prudence et de transparence. On peut également procéder à une lecture de la loi de Finances en examinant les différentes mesures et articles pour étudier leur impact économique global et leur capacité à réaliser les objectifs financiers qui leur ont été fixés. La loi de Finances peut aussi être examinée du point de vue économique et l’impact qu’elle peut avoir sur la situation économique dans la mesure où elle constitue un outil essentiel de cette politique.
Dans nos commentaires, nous nous limiterons aux aspects liés aux grands équilibres macroéconomiques de la loi de Finances. Nous reviendrons dans d’autres contributions sur les autres aspects et d’autres lectures de ce projet de loi. L’analyse détaillée de ce projet me permet de dire que nous sommes en présence d’un projet marqué par une double caractéristique : le volontarisme exagéré et un optimisme excessif.
Le volontarisme exagéré concerne la volonté affichée clairement par les concepteurs de la loi d’en faire une loi de relance économique. Même si le Chef du gouvernement a indiqué dans son discours d’investiture que les contraintes économiques et la crise aiguë des finances publiques pourraient nous amener à mettre en place des politiques d’austérité, il est clair que cette loi de Finances est une loi de relance tous azimuts. Plusieurs indicateurs soulignent cette orientation. Ainsi, par exemple le budget de l’Etat va augmenter de 11,1% par rapport à l’année en cours et l’équilibre passera de 29,2 à 32,4 milliards de dinars. On peut également observer ce choix dans l’évolution du budget d’investissement qui connaîtra la plus forte progression avec un taux de croissance de 17,3% au cours de l’année à venir et passera par conséquent de 5,2 à 6,2 milliards de dinars entre 2016 et 2017. Cet effort de relance s’observe aussi au niveau des dépenses courantes dont le taux de croissance est de 9,5% pour l’année 2017. A ce niveau et si la croissance de la masse salariale dans la situation actuelle du projet de loi de Finances paraît maitrisée avec un taux de croissance de 4,2%, les subventions vont connaître une forte hausse du fait du retour des cours du pétrole à la hausse.
On peut multiplier les autres indicateurs qui montrent ce choix d’une relance forte pour sortir de la crise actuelle. Certes, il s’agit d’un choix que j’ai défendu et que j’ai mis en place du temps où j’étais aux affaires, car je reste persuadé que l’austérité, non seulement, ne règle pas les problèmes économiques, mais ferme l’horizon politique et le rêve et l’espérance pour les jeunes. Mais, ce volontarisme exprimé dans ce projet de loi de Finances me paraît exagéré et pourrait à terme contribuer à renforcer le mal qu’il cherche à combattre, à savoir relancer la croissance pour faire face aux grands déséquilibres macroéconomiques.
Le second aspect essentiel dans cette loi de Finances me parait l’excessif dans la formulation des hypothèses. Certes, une loi de Finances doit toujours comporter une part d’optimisme dont l’objectif est d’entraîner les différents acteurs économiques à aller de l’avant et de les sortir ainsi de leur attentisme et de relancer la croissance et la dynamique économique. Mais, il faut trouver un équilibre entre l’optimisme de la volonté et le pessimisme de l’intelligence. De ce point de vue, il me semble que ce projet de loi a mis l’accent sur l’optimisme. Quelques indicateurs sont significatifs de cet optimisme excessif notamment les hypothèses globales de croissance et de l’évolution du cours du pétrole et du taux de change. On peut également évoquer d’autres éléments et des estimations exagérées notamment sur l’évolution des recettes fiscales lors de l’année en cours estimée à 15,2% alors qu’elles n’ont été que de 1,9% au cours de cette année. Aussi, la capacité de l’Etat à mobiliser des recettes d’endettement est très optimiste et se situe à près de 8,5 milliards de dinars.
Ainsi, les choix méthodologiques qui ont guidé la préparation des grands équilibres comptables de cette loi de Finances expliquent la fragilité de ce projet et la grande part d’aventure qu’il comporte. Cette situation impose que l’on donne à ce projet une plus grande part de réalisme et de maitrise.