La première mesure que le nouveau chef du gouvernement Mehdi Jomâa prendra, sera probablement la révision de la loi de finances 2014. Cette révision prendra la forme d’une loi de finances complémentaire. Des mouvements de protestations organisés dans plusieurs gouvernorats contestant certaines dispositions de cette loi, étaient à l’origine de cette évolution.
L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche, la société civile et même la Commission des finances, de planification et de développement, chargée d’analyser le budget de l’État, au sein de l’ANC, ont contesté la loi de finances 2014. Malgré cela celle-ci a été finalement adoptée par l’ANC. Mais ce n’est pas encore fini. La pression de la rue caractérisée par des mouvements de contestations sur tout le territoire ont obligé le gouvernement à suspendre certaines mesures. Même Ennahdha, le parti a publié un communiqué recommandant au gouvernement dont il fait partie, de revoir les articles relatifs aux nouvelles taxes. Ce qui a exaspéré le ministre des Fiances qui a qualifié le comportement du parti islamiste de populiste.
Au niveau de l’ANC :
La Commission des finances, de planification et de développement a organisé 12 séances (soit 60 heures) pour débattre les articles de la loi des finances 2014. Elle a entendu deux ministres et trois secrétaires d’État concernés par cette loi. Dans un rapport, cette commission a publié les articles qui ont été sujets de débat et dont la commission a présenté des propositions de changement. La plupart de ces propositions n’ont pas été acceptées. Par contre la commission a rejeté totalement les articles 55 et 76 qui préconisent respectivement une taxe sur le deuxième immobilier et une taxe parafiscale pour les véhicules. Selon M. Moncef Chikhrouhou, vice président de la commission des finances de planification et de développement, il y a eu un débat houleux sur cette loi de finances : « La loi nous a été présentée très tard et elle a été étudiée à la va vite » Ali Laarayedh a accepté de revoir certains articles notamment les 55 et 76 mais le ministre des Finances Elyes Fakhfakh a refusé toute modification. Par contre il a proposé de baisser les taxes parafiscales pour les véhicules. Selon le ministre cette taxe d’une valeur de 136 Millions de dinars se versera dans la caisse de compensation des hydrocarbures. Quand les députés ont demandé d’épargner les voitures à 4 et 5 ch, le ministre a répondu que la moitié du parc automobile en Tunisie de ces mêmes catégories de voitures, donc impossible de les épargner. Selon M. Moncef Chihkrouhou, l’argent récupéré de cette taxe parafiscale ne représente qu’une goutte d’eau de la compensation aux hydrocarbures qui est de 3.500 millions de dinars. Il faut rappeler aussi que la compensation des hydrocarbures va plus vers l’industrie notamment les industries énergivores. Il existe des sociétés qui consomment sans même payer. 500 millions de dinars est la valeur d’impayés dans l’énergie. Il faudrait peut être creuser par là. Au niveau des dépenses de l’État, la loi de finances a alloué 900 millions de dinars pour le recrutement de nouveaux membres de l’administration alors que nos entreprises publiques souffrent de sureffectif. Il faut plutôt relancer la restructuration des entreprises publiques avec ces 900 millions de dinars. Celles-ci devraient représenter 15% des recettes de l’État. Pour 2012 nous avons enregistré uniquement 7% à cause des problèmes financiers au niveau des entreprises publiques notamment Tunisair, la STEG et la CPG (compagnie des phosphates de Gafsa). Quant à l’article 17 en rapport avec les trois banques publiques qui recommande la consolidation de l’assise financière de ces trois banques dans une première étape de 500 millions de dinars. Le total de consolidation atteindra les 1700 millions de dinars. Malgré que les députés aient demandé de voir le rapport d’audit sur les banques publiques avant de décider d’injecter de l’argent, l’article a été adopté. En effet le ministre des Finances a répondu que l’audit effectué sur la STB et la BH s’achèvera fin décembre soit après l’adoption de la loi de finances 2014. Quand à l’audit de la BNA, il n’a pas encore commencé. Puisque ces Banques et selon M. Fakhfakh contribuent fortement sur le marché financier notamment des secteurs tourisme, agriculture et immobilier, la consolidation financière des ces banques est indispensable. Il faut rappeler que ces trois banques publiques, en crise à cause des prêts irrécupérables octroyés à des entreprises non solvables, coûteront au contribuable 1700 millions de dinars.
Au niveau du cercle des économistes tunisiens
Selon le cercle des économistes tunisiens au niveau de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, dans la politique GO and Stop, le gouvernement doit s’assurer de la soutenabilité de la dette à moyen terme quand il décide une augmentation du budget. Mais notre gouvernement a fait un « GO » vers les salaires et les compensations aux dépens du développement créateur de richesses et d’emplois. Ainsi selon le cercle des économistes tunisiens « les perspectives du budget 2014 et l’exécution de 2013 montrent que le taux d’endettement va atteindre 47,2% en 2013 et 49,1% en 2014, ce qui met en péril la soutenabilité de la dette à moyen terme ». L’exécution du budget à bon escient permettant d’honorer tous les engagements dépendra de la réalisation de trois hypothèses de base, à savoir réaliser un taux de croissance satisfaisant, la mobilisation des ressources et la compression des dépenses de compensation, a –t-il ajouté.
Au niveau des organisations professionnelles
Plusieurs dispositions de la loi de finances 2014 attirent les foudres des organisations professionnelles en l’occurrence la Compagnie des comptables de Tunisie (CCT). M. Lassaâd Walha, vice-président de la CCT « la loi de finances 2014 ne répond pas aux attentes du peuple, d’autant plus qu’elle englobe plusieurs mesures excessives, à savoir celles relatives à la mise en place de nouvelles impositions. Les mesures relatives à la taxation des sociétés offshore, du secteur de bâtiment et des véhicules devraient être reportées en attendant que la situation politique et sociale se stabilise » L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) revient à la charge et publie un communiqué appelant le gouvernement « à réviser, dans les plus brefs délais, les dispositions prévues dans le cadre de la loi de finances 2014, de manière à tenir compte des besoins de tous les secteurs sans exception » La centrale patronale exhorte également le gouvernement à prendre en considération les propositions avancées par ses membres, de manière à contribuer à identifier des solutions urgentes à même de limiter les répercussions négatives des mesures prévues dans le cadre de cette loi. L’UTICA a fait part de sa « compréhension de la réaction de plusieurs secteurs ayant refusé l’application de certaines dispositions de la loi de finances rappelant qu’elle avait déjà mis en garde contre l’impact négatif probable de ces mesures sur plusieurs secteurs et catégories »
Le patronat a multiplié les réactions et les critiques de la loi de finances de l’exercice 2014 depuis la publication des premières versions du projet en automne dernier. Le 30 décembre dernier, l’UTICA avait exprimé sa déception suite à l’adoption de cette loi par l’Assemblée nationale constituante (ANC)» appelant à bien préparer le projet de la loi de finances complémentaire, lequel devra être adopté le plus rapidement possible. Tarek Chérif, président de la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT), pour sa part a déclaré qu’il faut réviser plusieurs points concernant la loi de finances 2014 et a déploré que les propositions de révisions sur certaines dispositions présentées par la CONECT n’ont pas été prises en compte. Il faut rappeler que Tarek Chérif a appelé à une consultation nationale sur la loi de finances de 2014. Selon Tarek Chérif « Le projet de loi de finances 2014, est totalement inadapté et engendrerait un accroissement de la pression fiscale pour les citoyens et les entreprises organisées. Certaines de ses dispositions, notamment celles relatives à l’imposition des sociétés exportatrices et des dividendes, risquent d’affecter davantage l’investissement »
L’annonce de la suspension des nouvelles redevances a réussi à calmer partiellement la situation, mais tout le monde attend plus qu’une simple suspension. Une révision totale de la loi des finances 2014 est nécessaire. C’est le gouvernement Mehdi Jomâa qui aura la lourde tâche de revoir cette loi. Une difficile équation : une loi de finances qui répondra aux besoins du budget de l’État sans atteinte au pouvoir d’achat du citoyen.
Najeh Jaouadi