La loi des intérêts occultes

Englués dans le  maelström  d’une vie politique en perpétuel mouvement, les Tunisiens se trouvent dans l’impossibilité de distinguer l’essentiel de l’accessoire, de prendre le recul nécessaire pour déchiffrer  les codes d’un jeu politique de plus en plus perverti  et de saisir les  véritables enjeux de certains  changements qui ont tendance à s’accélérer anarchiquement.
Résultat : un épais nuage continue à se répandre un peu partout, empêchant toute visibilité, rendant caduc tout processus pouvant restaurer la confiance des Tunisiens et susciter leur espoir et annihilant ainsi la conduite de tout changement. Pour cette raison évidente,  le blocage de la vie politique, l’exacerbation des difficultés économiques et financières et l’accentuation des tensions sociales sont le reflet réel d’un pays en panne. En panne de dirigeants, de dialogue sérieux, de projet et d’acteurs politiques mus par le sens de l’Etat et que l’avenir du pays et sa stabilité interpellent.
Alors que le pays est au milieu du gué,  éprouvant un besoin urgent d’apaisement, de travail, de mobilisation et de dialogue serein pour espérer limiter,  autant que faire se peut,  les  dégâts, c’est le contraire qui est en train de se produire.  Une guerre de tous contre tous est en train de battre son plein entre adversaires politiques, frères  devenus ennemis, acteurs sociaux et économiques,  dont les effets collatéraux se font sentir partout. Une guerre de positionnement en prévision des prochaines échéances électorales  qui risque de provoquer plus de casse que d’apporter des réponses mettant,  de surcroît, du plomb dans le processus de transition démocratique, actuellement  à la croisée des chemins et faisant face à des vents contraires de plus en plus menaçants.
La discorde qui secoue Nidaa Tounes,  qui s’est muée en crise politique aussi complexe qu’impossible à résoudre,  a été l’accélérateur de la perversion de la vie politique, de l’installation  du doute et de la perte de confiance des Tunisiens dans leurs dirigeants et partis. Plus ce parti, qui a perdu en influence, en notoriété et en crédit, verse dans des guéguerres interminables, où se poursuit l’exode de ses militants et accumule les raclées, plus sa nuisance sur la vie politique nationale s’accroît.
Les évolutions récentes le prouvent amplement. Au moment où il n’en finit pas de descendre dans les  travers de ses propres contradictions, malgré les appuis dont il dispose au plus haut sommet de l’Etat, de voir son influence sur la vie publique  se rétrécir,  d’afficher  une sorte de résignation  face à la désertion de ses figures les plus illustres  et  d’hypothéquer son avenir,  ce parti ne recule pas à jouer à fond la carte du pourrissement. En se nourrissant de faux espoirs et en occultant une réalité bien tenace,  ses dirigeants se montrent  prêts à aller jusqu’au bout de leur logique. Verser le pays dans l’instabilité dans cette période cruciale et annonciatrice de toutes les incertitudes, ne les dérange pas outre mesure, y compris à faire toutes les compromissions et à user de tous les moyens pour assouvir leur soif de vengeance.
La fusion surprise,  annoncée la semaine dernière,  entre Nidaa Tounes de Hafedh Caïd Essebsi et l’Union patriotique libre, de Slim Riahi, qui vient de marquer son retour à la vie politique,  après une longue éclipse forcée, est un aboutissement normal d’un parcours peu  exemplaire de deux dirigeants  qui ont tout construit sur l’intrigue et les mauvais calculs. Deux partis totalement dissemblables au niveau du programme, du discours et du poids, mais qui se rejoignent au niveau du profil  de leurs dirigeants qui ont en partage la culture du clanisme et l’option pour des choix douteux.  Pour corroborer  ce jugement, qui est  loin d’être hâtif, il n’y a qu’à voir l’empressement des deux personnes ( Hafedh Caïd Essebsi et Slim Riahi) à fusionner leurs partis, le partage  inégal  des responsabilités,  qui cache mal le deal qu’ils ont conclu,  et la non consultation de leurs structures, notamment dans les régions. Ce marché,  scellé à la va-vite, révèle  manifestement   leur enthousiasme  à clore le plus tôt possible le dossier du gouvernement Chahed. Pour le reste, cette union,  qui ne résistera certainement pas à l’épreuve du temps, fonctionnera au coup  par coup en fonction des gains engrangés par les uns et l’influence conquise  par les autres.
Ce qui paraît  invraisemblable dans tout cela, c’est le fait d’imaginer un parti,  censé être dépositaire du pouvoir et grand vainqueur des élections de 2014, se dessaisir de tout, au profit d’un président d’une petite formation qui aurait pu se contenter de miettes dans cette fusion en trompe-l’œil. Le poids de l’UPL, confère-t-il à Slim Riahi la légitimité de contrôler le nouveau Nidaa Tounes, qui ne sortira ni renforcé ni grandi de ce processus contre-nature ?
Il va sans dire que tout  ce charivari  a été provoqué par le Directeur exécutif de Nidaa Tounes et  le président revenant de l’UPL,  pour  faire croire qu’il est possible de conclure un mariage d’intérêt à l’effet de brouiller davantage les cartes politiques et d’achever un pays gravement affaibli par les intrigues et les mauvais calculs d’une classe politique décalée et incapable de tirer les vrais enseignements de ses échecs répétés.

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