La loi électorale dans tous ses débats

Le 30 avril, la polémique a gagné l’Assemblée nationale constituante (ANC) et l’opinion publique autour de l’article 167 de la loi électorale. Malgré la non adoption du texte, le débat continue. Certains voient dans le refus de voter l’article, interdisant aux responsables du RCD dissous de se présenter aux prochaines élections, une trahison de la Révolution et des aspirations au changement, voire un retour de l’ancien régime, quand d’autres considèrent que c’est là un triomphe de la démocratie. La loi électorale a été finalement adoptée dans sa totalité avec 132 voix pour, 11 voix contre, 9 abstentions et 85 boycotts.

 

Le texte de l’article 167  stipule «ne pourra se porter candidat aux élections de l’Assemblée des représentants du peuple quiconque avait assumé des responsabilités au sein du gouvernement à l’époque du président déchu, hormis celui parmi ses membres qui n’avait pas appartenu au Rassemblement constitutionnel démocratique dissous.

Ne pourra non plus se présenter aux élections quiconque a exercé une responsabilité dans les structures du Rassemblement démocratique dissous, conformément aux dispositions du décret 1089 du 3 août 2011.

Les présentes dispositions demeureront en vigueur jusqu’à l’avènement du système de la justice transitionnelle, en vertu de l’alinéa 9 de l’article 148 de la Constitution ».

Selon le site Marsad, 2 élus seulement du bloc démocratique ont voté pour l’adoption de l’article 167, 39 d’Ennahdha, 21 voix du CPR et Wafa et 7 de l’alliance démocratique. Au total, 108 élus ont voté pour son adoption, mais le nombre était insuffisant et l’article à été revoté ! Mais à la lecture des votes, et si l’on comprend tout à fait le choix de Wafa et du CPR qui ont toujours fait de l’exclusion des RCDistes leur cheval de bataille, on remarque un revirement de la part d’Ennahdha dont le chef de file, Rached Ghannouchi, a assuré à maintes reprises et à coups de déclarations médiatiques que son parti refusait l’exclusion. Notons que l’article a été doublement refusé et n’a pas été adopté lors de la seconde séance de vote.

On relève aussi l’absence de nombreux élus ayant pour la plupart déclaré une position claire, opposée ou favorable à l’exclusion, de la séance du vote du 30 avril tels Fadhel Moussa, Ahmed Néjib Chebbi, Maya Jeribi, Mahmoud Baroudi, Samir Taïeb et Issam Chebbi.

Avant l’article 167, un autre article, toujours se rapportant à l’exclusion ou encore à l’immunisation de la Révolution, avait suscité un vif débat, à savoir l’article 15. Le 7 mars 2014, la séance plénière s’engageait en effet dans la controverse autour de l’article 15 stipulant l’exclusion des membres du RCD ayant eu des responsabilités politiques avant le 14 janvier 2011.

Le texte promulgué en 2011 stipule que «ne peut être candidat toute personne ayant assumé une responsabilité au sein du gouvernement à l’ère du président déchu excepté les membres qui n’ont pas appartenu au RCD et toute personne ayant assumé une responsabilité au sein des structures du RCD à l’ère du président déchu». Il contient aussi une clause concernant la liste des personnes ayant appelé Ben Ali à se briguer un autre mandat avant le 14 janvier 2011 et leur interdisant de se porter candidats aux élections. Or, la clause pose problème dans le sens où plusieurs personnes n’ayant pas lancé l’appel se retrouvent sur ladite liste et d’autres, qui ont été contraintes d’une façon ou d’une autre à lancer l’appel. L’article 15 a, lui aussi, fini par être rejeté…

 

Reconfigurations politiques

La loi électorale passée sans texte interdisant aux responsables de l’ancien régime et du RCD dissous de se présenter aux échéances, de nombreuses alliances sont désormais possibles aux prochaines élections. Hormis les personnalités du RCD pouvant se présenter sur des listes indépendantes ou en constituant des partis et pouvant compter sur la machine électorale RCDiste performante et expérimentée, une recomposition des forces politiques dans le pays est désormais posssible.

Malgré le vote de 39 élus Ennahdha pour l’adoption de l’article 167, 48 élus du mouvement n’ont pas suivi le même choix. Ainsi, la promesse faite par le chef de file, Rached Ghannouchi, de ne pas exclure les RCDistes a bien été tenue et ouvre la voie à une alliance avec ces partis.

 

Une loi électorale contestée

Le débat public s’est concentré sur les lois relatives à l’immunisation de la Révolution qui ne sont pourtant pas passées. Mais après l’adoption de la totalité de la loi électorale, quelques partis ont rapidement exposé leur mécontentement. Afek Tounes décrit la loi électorale de 2014 comme «une copie de celle de l’année 2011, ayant donné naissance à un paysage politique disparate qui a entravé le travail de la classe politique et a donné une mauvaise impression de son rendement.»

Elle permettrait, selon Afek Tounes, de commettre des infractions sans sanctions sérieuses lors des élections. Ce parti précise que les sanctions prévues dans la loi électorale ne protègent pas les élections de l’influence de l’argent politique d’origine illicite et contiendrait des erreurs constitutionnelles, comme l’interdiction aux militaires et à aux membres de la police de voter.

Aussi, il estime que le Code électoral «ne donnera pas naissance à une majorité parlementaire confortable, capable de garantir une stabilité gouvernementale qui permettrait d’entamer des réformes institutionnelles, économiques et sociales pour  réaliser les objectifs de la révolution.»

Notons par ailleurs que la loi électorale adoptée ne respecte pas la parité puisqu’une proposition d’imposer un quota de femmes têtes de liste a elle aussi été rejetée par l’ANC.

 

… Et si les élections n’avaient pas lieu ?

Il y a quelques jours, le président de l’ISIE 2, Chafik Sarsar, déclarait qu’il serait possible de reporter les élections prévues en octobre 2014. Depuis, les appels à la nécessité de les organiser à temps comme le stipule la feuille de route, ne cessent de se multiplier. Pression, mise en garde contre les conséquences d’un éventuel report et parfois surenchère politique, l’éventualité de repousser les élections alimente déjà la polémique.

Quelles pourraient-être les raisons empêchant le respect des échéances électorales et quels peuvent en être les enjeux ?

Avant même l’établissement de la feuille de route par le Quartet, les membres de la commission des consensus à l’Assemblée nationale constituante (ANC) sont parvenus à un accord depuis le mois de décembre 2013 fixant la date des prochaines élections, législative et  présidentielle, dans un délai ne dépassant pas six mois après la constitution de l’Instance supérieure des élections, ce qui mène donc à décembre 2014.

Par ailleurs, l’organisation des élections pendant l’année 2014 s’impose par les dispositions de la Constitution tunisienne.

Selon les déclarations du président de l’ISIE 2, Chafik Sarsar, l’organisation des élections requiert entre cinq et huit mois et ne peut débuter qu’après l’adoption d’une loi électorale qui est toujours en cours de discussion. Il s’agit là d’une cause juridique pouvant retarder les élections. Sur le plan logistique, Chafik Sarsar a précisé que l’Instance électorale pourrait faire face à des obstacles se rapportant aux sièges, aux marchés publics et aux ressources humaines. Il a aussi incité l’ANC à voter la loi électorale, à assurer sept sièges régionaux et un siège central.

Dans une première déclaration faite au mois de janvier 2014, Chafik Sarsar a tout d’abord annoncé que les élections ne pouvaient avoir lieu avant le mois d’octobre 2014. Cette date a été ensuite remise en question lors de la conférence de presse organisée deux mois plus tard. Le président de l’ISIE a tout de même souligné la nécessité de maintenir les échéances, en dépit des difficultés rencontrées courant 2014, le report étant selon lui une violation des dispositions de la Constitution.

Toujours selon son président  et malgré la bonne volonté, l’ISIE 2 n’est toujours pas opérationnelle, ne disposant que de deux locaux. «Une promesse solennelle» a été faite de mettre le siège du RCD à la disposition de l’Instance, mais aucune disposition juridique n’a été prise en ce sens.

Ainsi, le retard de l’adoption de la loi électorale, la méconnaissance de l’instance de ses propres moyens logistiques et humains ainsi que l’organisation des élections elles-mêmes qui nécessiteraient plusieurs mois, laissent penser qu’il est difficile, voire impossible de tenir les élections fin 2014. Aujourd’hui, la loi électorale a bel et bien été adoptée. Malgré le retard enregistré quant à son adoption, les délais peuvent encore être respectés si tous les moyens sont déployés.

D’ailleurs, la Constitution stipulant clairement la tenue des élections avant l’achèvement de l’année, la longévité de la période de transition et le flou politique imposent la tenue d’élections législative et présidentielle afin de faire sortir la Tunisie de l’invisibilité et pour assurer la reprise économique. La précarité de la situation sécuritaire s’est aggravée et elle est due à l’invisibilité politique, aidant à la propagation du terrorisme. Les facteurs socioéconomiques difficiles militent aussi en faveur du respect des échéances. Les zones marginalisées, qui se sont soulevées depuis 2010, sont restées toujours dans la précarité et continuent à se révolter et la paix sociale ne peut être instaurée sans des projets d’investissement et de développement réels et rentables.

Or ces projets nécessitent une vision à long terme, une infrastructure et des dispositions que seul un mandat de cinq ans pourraient rendre possibles. Les urnes sont aujourd’hui la seule chance pour retrouver une stabilité politique, économique, sociale et sécuritaire et pour instaurer la démocratie.

La possibilité d’un vide politique plane aussi sur la Tunisie. L’ANC, qui s’était engagée à terminer ses travaux depuis octobre 2013, s’étant engagée pour un an, risque désormais de voir sa légitimité déjà très entamée s’effondrer complètement. La transition ne peut souffrir d’un quatrième gouvernement provisoire et certains spécialistes parlent d’un possible vide politique et de la crise pouvant en résulter. D’autres tempèrent tout en mettant en avant la difficulté de la période de transition et restent optimistes quant aux solutions à envisager.

Le premier mai, fête du travail, mais aussi de l’adoption de la loi électorale tunisienne, les syndicalistes, composantes du Quartet ayant mené le dialogue national et œuvré pour la fin de la crise, ont justement protesté, exigeant la fin de la période de transition. Dans une allocution faite par le Secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abassi a critiqué la non finalisation du processus démocratique.

 

Hajer  Ajroudi

 

 

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