La mort d’une nation !

En ces temps de trouble et de désordre dans le monde arabe, à un moment où tous les pouvoirs politiques de la nation sont contestés, attaqués, vilipendés, il est légitime de dresser un réquisitoire contre la «politique arabe» telle qu’elle est pratiquée. La notion de temps, dans cette politique, semble mise en suspens depuis des siècles, comme l’illustrent les tendances défaitistes qui brouillent l’ordre chronologique de l’histoire, explorent les multiples formes de la décadence dont la trahison n’apparaît que comme une inévitable incarnation. Une porte s’est refermée, donc, sur «la meilleure nation que Dieu ait fait surgir pour l’humanité»(Coran), mais à travers cette porte, on veut regarder, puisque c’est un tabou. C’est ce point de vue, le nôtre d’ailleurs, celui du « trou de la serrure», qui met à bas le corps de cette «nation arabe» tant adulée. Il est très utile parfois, que notre «arabité» héritée vacille, qu’elle hésite, qu’elle s’interroge, qu’elle se découvre vulnérable. C’est bien cette idée que plusieurs penseurs arabes «iconoclastes» ont essayé d’exposer en fouillant dans les soubassements conceptuels et les règles chronologiques qui fondent la pratique historique. Il faut renouer, souvent, la chaîne brisée des temps, réactualiser, parachever le passé par un retour aux sources, surtout que l’une des grandes richesses d’une civilisation est en effet de fournir un socle, la conviction que l’on est situé dans une communauté où une foule de nos ancêtres continuent de nous parler, pour autant qu’on veuille les écouter. Cette perspective dynamique de L’Histoire est indispensable, impossible à dompter, elle dévale comme un torrent. Son cours est encore plus implacable dans une planète monde devenue «un petit village uni», comme l’avait prédit Khéreddine Pacha dans son livre «Les voies les plus justes pour réaliser les meilleures réformes», un siècle et demi avant l’avènement de la mondialisation. Je ne suis pas en train de mêler ma voix au chœur pleurnicheur de «c’était mieux avant», c’est au contraire un gigantesque et dramatique retour en arrière que nous vivons aujourd’hui. Malheureusement, plusieurs de nos penseurs se sont arrêtés à mi-chemin de leurs ambitions, freinés par la complexité du chantier. Chaque fois qu’ils croyaient que la décadence de la nation est une phase transitoire vers la reconstruction d’un nouvel «ordre arabe», les évènements confirmaient qu’elle était porteuse d’un chaos encore plus majeur. Voilà d’ailleurs l’une des caractéristiques les plus affligeantes de l’intellectuel arabe : le fait que, pour faire passer la pilule de ses désirs de voir la nation surgir de l’abîme, rien ne vaille leur enrobage dans un dessein identitaire chauvin. Une pratique qui condense toute la précarité, toute l’angoisse et toute l’impuissance d’une intelligentsia si profondément déstabilisée.
La crise de la nation arabe est désormais insidieuse. Elle est opérationnelle, ce dernier temps, avec le génocide à Gaza et son lot de trahisons arabes et le face-à-face entre la résistance palestinienne et la traîtrise des pouvoirs «frères». Elle est stratégique avec la dislocation du «système de sécurité arabe» et la perte de crédibilité de ses institutions. Elle est politique avec ce soupçon contre tout ce qui se réfère aux civilisations occidentales. On n’hésite pas à parler de perte de contrôle, d’emballement, d’affolement, de désastre, voire d’engloutissement. Le modèle arabe est épuisé, son bateau ivre. Le naufrage n’est pas encore annoncé mais il se dessine partout autour de nous.

«Au crépuscule, le feu finit par mourir complètement», avertissait Ibn Khaldoun dans son célèbre «Kiteb-al-ibar».
Pour comprendre exactement ce qui se passe, aujourd’hui, dans le monde arabe, il faudrait relire cette oeuvre vieille de six siècles et demi. Elle nous donne des armes pour comprendre plus finement ce que l’on désigne quand on parle de la mort d’une nation.

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