La Movida à Tunis

La Movida, c’est l’effervescence artistique et culturelle qui a emporté la capitale espagnole, Madrid, durant la période de transition démocratique au début des années 1980. Une explosion de création et d’activités culturelles sorties de l’underground pour échapper à la dictature de Franco et venues s’exprimer au grand jour. Cette effervescence a bénéficié de l’appui du maire de Madrid de l’époque Enrique Tierno Galvan. Mais, cette explosion artistique et culturelle ne s’est pas limitée à la ville de Madrid et s’est étendue à d’autres grandes villes comme Barcelone, Valence et Bilbao. Cette vague a touché tous les grands domaines de la création comme la peinture, le cinéma, la peinture, la photographie, la bande dessinée et la littérature. Cette Movida a eu de nombreuses figures de proue dont les plus connues restent certainement le cinéaste Pedro Almodovar et l’actrice Victoria Abril.

Ce mouvement a contribué au renouveau que l’Espagne avait connu après la disparition de Franco et l’avènement de la démocratie. On a assisté avec ce mouvement à la disparition des valeurs traditionnelles et conservatrices avec l’émergence de nouvelles valeurs plus modernes, ouvertes et démocratiques. Par ailleurs, cette effervescence culturelle a contribué au renforcement des valeurs démocratiques. Elle a aussi été à l’origine de la création de nouveaux lieux culturels dans toutes villes espagnoles et a favorisé par conséquent le développement de nouvelles socialisations ouvertes et libres. La Movida a également permis à la jeunesse espagnole de s’ouvrir sur le monde et l’a inscrite dans une dynamique d’intégration européenne. Ainsi, la Movida a été un des éléments de succès de la transition démocratique en Espagne et de la fondation d’une nouvelle identité ouverte, démocratique et européenne.

Notre pays connaît également la même effervescence et la même explosion de la création culturelle dans tous les domaines. Certes, la scène culturelle a connu un développement rapide depuis des années et la culture s’est érigée en un important espace de dissidence au cours des années de braise. La création et les artistes se sont érigés en une force de résistance à la médiocrité culturelle ambiante et ont cherché à développer les valeurs de l’intelligence, de la sensibilité et de la beauté. Mais, la Révolution va donner les moyens à cette création de sortir de l’underground pour s’exprimer en plein jour et devenir un acteur essentiel de la transition démocratique en cours.    

Ainsi, assiste-t-on à une effervescence sans précédent de la scène artistique et culturelle depuis quelques années. La production cinématographique a atteint aujourd’hui des niveaux qu’elle n’a jamais connus depuis l’indépendance avec une moyenne de 60 films produits par an. Cette explosion de la production a été à l’origine de l’éclosion d’une nouvelle vague de jeunes cinéastes, et surtout de femmes, qui ont largement renouvelé l’écriture intimiste qui a toujours été au centre de la spécificité du cinéma tunisien. Cette production et l’intérêt croissant pour le septième art ont nourri les JCC et de nombreux festivals de cinéma qui ont vu le jour dans notre pays. Par ailleurs, cette production a été à l’origine d’une présence forte de nos cinéastes dans les festivals internationaux ce qui leur a permis de récolter plusieurs prix et distinctions.

Cette effervescence a touché le milieu de la peinture avec la multiplication des expositions et l’apparition d’une nouvelle génération de peintres tunisiens tels que Atef Maatallah, Nidhal Chamekh ou Ymen Berhouma. Les lieux traditionnels d’exposition comme de nouveaux espaces, la Galerie A.Gorgi, le Centre national des arts vivants, la galerie Ghaya, ou plus récemment le 32bis ont beaucoup contribué au dynamisme de la scène artistique tunisienne. Des événements comme Dream City ou de Colline en colline ont permis aux artistes de s’exposer dans l’espace public.

La scène théâtrale n’a pas été en reste. En effet, le théâtre national joue un rôle de plus en plus dynamique dans la création mais également dans la diffusion de nouvelles créations théâtrales. Ainsi, la salle du Quatrième art est devenue un haut lieu de la vie théâtrale et culturelle en général de la ville. Parallèlement à la présence des institutions officielles, il faut noter le rôle dynamique joué par les théâtres privés dont celui d’El Hamra de feu Ezzeddine Gannoun animé aujourd’hui avec beaucoup de passion par sa fille Cyrine. Le phénomène Leila Toubel avec Solwen montre l’intérêt pour un théâtre moderne et engagé en lien avec les questions de société.

On peut aussi parler de la musique avec une effervescence de tous les genres. Parallèlement à l’installation du rap et des nouvelles formes d’expression musicale dans la scène artistique, il faut souligner le renouvellement des musiques rationnelles et la sortie dans l’espace publique de formes musicales jusque-là marginalisées dont la musique soufie ou les différentes formes de la chanson engagée.

Cette Movida s’accompagne par l’apparition de nouveaux lieux d’exposition et de nouveaux espaces culturels qui attirent les foules comme l’Agora de Mohamed Ali Okbi à la Marsa ou le Cinévog de Moncef Dhouib au Kram. Ces nouveaux hauts lieux de la culture suscitent un engouement sans précédent de la part du grand public. D’ailleurs, on peut citer la forte mobilisation que suscite la transformation de vieux silos dans la ville de Sfax en espace culturel.        

On peut multiplier les exemples et les expériences qui sont l’expression de cette Movida et de cette effervescence sans précédent que la scène artistique est en train de connaître. Une Movida qui ne peut que renforcer la transition démocratique en reconstruisant le lien social et en l’ouvrant sur les principes de l’ouverture, du respect de l’autre, de la diversité et de la démocratie. Mais, une Movida qui a besoin de l’appui public mais aussi des investisseurs privés afin de donner aux artistes les moyens pour continuer à porter notre rêve d’une Tunisie démocratique et d’un monde meilleur.

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