La nausée

Le titre ne doit pas prêter à équivoque: il ne s’agit pas de commenter le célèbre roman philosophique de Jean-Paul Sartre mais d’exprimer son dégoût du spectacle offert par une grande partie de la classe politique de notre pays.
Dès l’aube de la mascarade révolutionnaire, nous nous étions résignés à côtoyer quotidiennement la médiocrité et la bassesse de notre classe politique. Que ce soit au niveau de la représentation nationale, ou  à celui du gouvernement ou parmi les responsables de partis politiques, les nullards et les Bibi Fricotins sont largement majoritaires.
Mais ce que nous ne pouvions pas imaginer, c’est que l’Assemblée des représentants du peuple devienne le repaire de véritables brutes et qu’on puisse s’y livrer impunément à la violence verbale et physique extrême.
Je ne pense pas qu’il existe un citoyen tunisien qui n’ait pas été outré par l’agression ignominieuse dont a été victime la députée Abir Moussi. Que des élus du peuple s’en prennent sauvagement à leur collègue, qui plus est une femme, une mère, a de quoi susciter la nausée, préalable à tout rejet du bol alimentaire.
Pour ma part, je n’ai été capable de visionner la vidéo de cette odieuse agression qu’une seule fois : renouveler le malaise aurait été au-dessus de mes forces.
Les auteurs de cette abjection, dont le discrédit ne date pas d’hier, porteront à vie sur leurs fronts la marque du déshonneur : agresser une femme est le stade ultime de la lâcheté et une souillure qui ne s’efface jamais. Les millions de femmes que compte la Tunisie, auxquelles s’ajoutent des millions d’hommes n’oublieront pas ce déchaînement de brutalité aussi gratuite que bestiale.
Il faut croire que l’ascension de Moussi dans les sondages a un effet laxatif et inspire à ses adversaires une telle terreur qu’ils ne sont plus capables de contenir leurs instincts primaires. Il est vrai que la perspective d’être balayé, à moyen terme, de la scène politique n’a rien de très réjouissant et peut expliquer, sans pardonner, le passage à l’acte.
On peut ne pas porter Abir Moussi dans son cœur, être partagé sur ses méthodes, et même rejeter ses idées sans pour autant tolérer qu’elle devienne le punching-ball des grands malades et des complexés qui sévissent sous la coupole du Parlement. Les images révoltantes de son agression ont parcouru le monde et n’ont fait qu’accentuer la dégradation de notre image à l’international.
Comment faire comprendre à la planète que la femme que Bourguiba a libérée depuis plus de 60 ans se fasse rouer de coups au beau milieu du Parlement tunisien. Que vaut le Code du statut personnel si le procureur de la République ne bouge pas un doigt lorsqu’une femme est publiquement agressée ? A quoi sert un ministère de la Femme, si celle-ci est brutalisée sauvagement sans qu’aucune condamnation officielle digne de ce nom ne soit faite ?
Soyons clairs : la honte ne s’abat pas seulement sur les auteurs du crime, mais sur nous tous qui n’avons pas su barrer la voie à ces délinquants et leur avons ouvert les portes de notre Assemblée des représentants du peuple.
Si la condamnation populaire de ces agissements répugnants fut quasi unanime, celle de la classe politique et de certaines organisations fut timide, voire inexistante : les quelques paroles marmonnées  par le président de la République et le mutisme du Barreau tunisien ne sont pas très glorieux. Quelle aurait été la réaction du locataire de Carthage si son épouse, une honorable magistrate, avait été agressée dans l’exercice de ses fonctions ?
Quant à la prise de position tardive de la ministre de la Femme, de la famille et des personnes âgées, une certaine Mme Houimel, les mots me manquent pour exprimer ma consternation.
Comme si l’angoisse liée à la pandémie et à la dégradation de notre économie ne suffisait pas, il nous faut aussi supporter ce déferlement de violence et de lâcheté au point d’être pris de nausées ; je ne sais pas si ces dernières sont un des symptômes de la Covid mais à coup sûr, celles de notre inexorable déclin.

*Avocat et éditorialiste

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