La nouvelle carte géopolitique du monde arabe et les enjeux sécuritaires ont été les deux grands thèmes discutés lors de la première journée du XVIIIe forum international de « Réalités ».
Le premier thème qui a réuni des hommes politiques, un universitaire et un spécialiste des médias, a eu l’ambition d’analyser la nouvelle donne géopolitique du monde arabe et abouti après le passage en revue de certaines expériences à une conclusion à savoir, l’absence d’une nouvelle carte géographique précise dans le monde arabe et ce malgré les profondes mutations enregistrées au cours des quatre dernières années. En effet, la région arabe se trouve au cœur même des relations internationales. Pour M. Hatem Ben Salem, Président de cette séance, la Tunisie constitue la clef de voûte pour l’évolution de cette région. Cela tient à la spécificité de son expérience qui est en train d’enfanter dans la douleur un projet démocratique scrutée un peu partout dans le monde et suscitant à la fois des espoirs et des craintes.
Pour Sid Ahmed Ghozali, ancien Premier ministre de l’Algérie, « tout ce qui se passe en Tunisie est suivi en Algérie avec sympathie ». A cela, il y a une raison, pour lui « Bourguiba, était là, il a fondé un Etat moderne et favorisé l’émergence d’une classe moyenne, tandis qu’en Algérie, Boumediene a laissé le pays au milieu du gué ». Pour l’ancien Premier ministre algérien, la nouvelle carte géopolitique ressemble beaucoup à l’ancienne. Pour sortir de la situation économique difficile, estime-t-il, « la Tunisie ne peut compter que sur elle-même et ceux qui sont à même de lui apporter le plus, ce sont ses voisins ». Néanmoins, l’offre des voisins n’est pas évidente, la Tunisie est en effet flanquée au sud par la Libye, en plein chaos, et à l’ouest par un voisin en danger permanent. Pour Ghozali, la maîtrise de l’influence extérieure « dépendra de notre capacité à résister et à supporter notre propre turpitude ». En effet, l’ancien Premier ministre algérien n’y va pas par quatre chemins, considérant « que nous sommes entravés par les erreurs des Occidentaux de leurs évaluations », il ajoute « que nous ne sommes pas convaincus que les Européens regardent d’un bon œil la réussite de l’expérience démocratique tunisienne » Au sujet du péril terroriste, la réflexion de Sid Ahmed Ghozali est sans équivoque, en reconnaissant que l’Algérie a été l’un des pays qui a payé la première facture et que Daech n’est en fait qu’une coproduction des Etats locaux et des Occidentaux.
Parler de nouvelle carte géopolitique dans le monde arabe sans évoquer l’influence du chaos qui sévit en Libye sur la région, ne permet pas de cerner la nouvelle réalité dans toute sa complexité. Pour sa part, Aboubaker Kaddour, membre de l’ancienne Assemblée constituante libyenne, tout en précisant que la société libyenne n’est pas homogène et dominée par sa structure tribale, affirme que depuis 1969 le pays n’a pas réussi à bâtir un Etat, ni des institutions. Le chaos actuel, il l’impute à plusieurs facteurs dont l’absence de leaders nationaux et l’exacerbation des conflits entre groupes sur fond d’intérêts économiques factices. M. Ezzeddine Kerkeni, ancien diplomate, a développé toute une autre analyse en établissant un lien dialectique entre nouvelle carte géopolitique et la géopolitique du gaz et du pétrole qui est à l’origine de l’exacerbation des crises dans les pays arabes.
M. Kerkeni pense que le contrôle des ressources de pétrole et de gaz est à l’origine d’une compétition acharnée entre les puissances mondiales qui font tout pour reconfigurer la carte régionale pour préserver leurs intérêts.
La théorie du complot
L’expérience de la transition de l’Egypte présente parfois de grandes similitudes avec le processus amorcé en Tunisie depuis 2011. Il y a constamment entre les deux expériences des influences réciproques ce qui a permis, d’une part de tirer les enseignements qu’il faut et, d’autre part, d’éviter de tomber dans de graves erreurs. Le dialogue national, initié en Tunisie en 2013, qui a abouti au départ de la Troïka du pouvoir, a été rendu possible grâce aux leçons tirées de la grave crise survenue après que l’armée égyptienne ait mis un terme au pouvoir islamiste de Morsi. Samy Omar du groupe Al Ahram, a focalisé son intervention sur la théorie du complot. Ce qui est en train de se passer dans la région, explique-t-il, est une concrétisation de la stratégie américaine du Grand Moyen-Orient arabe qui, tout en suscitant des crises, vise à diviser le monde arabe en Etats minuscules, pour mieux étendre son influence et les mettre sous sa tutelle.
M. Mahdi Mozaffari, universitaire iranien, a parlé des enjeux régionaux et de l’ambition de l’Iran de se prévaloir en tant que gendarme dans la région. Face à un front sunnite désuni, pense M. Mozaffari, « Téhéran n’a eu de cesse d’œuvrer pour devenir une puissance atomique pour des raisons idéologiques ». Et d’ajouter « ce Pentagone chiite, qui a pour satellites la Syrie et le Yémen, cherche à déstabiliser la région par l’encouragement du terrorisme et par son ambition démesurée de s’approprier l’arme atomique pour s’imposer en tant que puissance régionale ».
D’une manière générale, à la faveur d’un échange d’idées sur des expériences qui se croisent mais ne se ressemblent pas, il est apparu qu’il est encore prématuré de parler d’une nouvelle carte géopolitique du monde arabe. Les processus enclenchés depuis 2011 connaissent des fortunes diverses et certains ont divergé de leur but initial. Ce qui se passe en Libye, en Egypte, en Syrie et au Yémen est loin de livrer tous ses secrets. La prolifération de groupes armés et la menace terroriste demeurent des inconnues, leur maitrise pose encore problème et suscite de grandes interrogations.