La pandémie de la Covid-19  et la crise des institutions tunisiennes 

La pandémie de la Covid-19 a constitué un des plus importants défis pour l’humanité depuis la Seconde Guerre mondiale. Les grandes puissances ainsi que les laboratoires dans le monde n’ont toujours pas trouvé de vaccin pour arrêter la progression rapide de cette pandémie. Parallèlement à ces conséquences sanitaires, cette pandémie va avoir des effets économiques sans précédent et le monde va vivre une de ses crises les plus difficiles.
La plupart des pays ont commencé à mettre en place des programmes de sauvetage d’une ampleur inouïe pour faire face à la dérive économique et empêcher sa transformation en une catastrophe majeure. Parallèlement au sauvetage, de nombreux pays ont également mis en place des programmes de relance économique pour mettre leur économie sur la voie de la croissance et amorcer ainsi un nouveau départ.
Trois évènements se sont succédé qui seront la base de notre réflexion sur la qualité de nos institutions et leur capacité à réfléchir et à faire de la prospective pour impulser les politiques publiques nécessaires pour faire face à cette crise. Il s’agit du lancement du plan de relance économique en France intitulé « France relance » par le Premier ministre français Jean Castex, de la publication d’un centre de recherche basé en Afrique du Sud, d’un rapport de prospective sur la Tunisie et le début des discussions au sein de l’ARP sur un projet intitulé « Projet de relance de l’économie, l’insertion du secteur informel et la lutte contre l’évasion fiscale ».
La lecture comparée de ces trois rapports confirme l’hypothèse de la faillite et du recul de la capacité des institutions tunisiennes dans la réflexion, et la prospective, non seulement en comparaison avec des pays comme la France, mais aussi avec des instituts de recherche dans des pays éloignés, comme l’Afrique du Sud, qui n’ont pas notre connaissance de l’économie tunisienne.
Commençons tout d’abord par le programme de relance français pour s’arrêter sur deux questions essentielles. La première concerne la forme et particulièrement la communication devenue dans nos sociétés une question de première importance. Le premier ministre français a annoncé les grandes lignes de ce projet dans une conférence de presse d’une grande envergure avec la presse nationale et internationale. Cette annonce s’est accompagnée par la publication d’un livre qui présente l’essentiel du contenu de ce programme de relance. Par ailleurs, les équipes de communication du premier ministère français ont effectué un important travail sur les réseaux sociaux pour faire connaître ce programme.
On peut avancer que du point de vue de la forme, le lancement a été une opération réussie dans la mesure où le programme a réussi à attirer l’attention des acteurs économiques et politiques ainsi que des institutions internationales. Ce succès a également une dimension politique dans la mesure où il construit la confiance de la société dans la capacité de l’Etat à le protéger devant les pandémies et les crises les plus importantes tant politiques qu’économiques et sociales.
Le second niveau dans l’appréciation de ce programme concerne son contenu. De mon point de vue, tout programme économique doit comprendre cinq points essentiels, à savoir le contexte global, la démarche, les grandes orientations stratégiques, les priorités concrètes et le coût et le financement.
Le programme de relance français a pris en compte l’ensemble de ces aspects. Pour ce qui est du contexte, le programme a mis l’accent sur le contexte économique difficile que traverse l’économie mondiale, et la crise profonde de l’économie française. Il a rappelé aussi l’ensemble des mesures que le gouvernement a mis en place depuis l’avènement de la pandémie pour sauver l’économie et venir en aide aux entreprises ainsi qu’aux couches sociales les plus touchées par la crise.
Le second volet de ce programme concerne la démarche de formulation et l’approche participative mise en place par le gouvernement avec des négociations complexes et difficiles avec l’ensemble des acteurs politiques et sociaux.
Ensuite, viennent dans une troisième partie, les objectifs stratégiques. Le plan de relance a mis l’accent sur trois dimensions essentielles : le climat, l’appui à la compétitivité de l’économie et la défense du lien social. Ces trois grands objectifs seront le fondement du programme économique et la base du nouveau projet social commun français.
Ces trois grands objectifs ont été par la suite traduits en priorités concrètes dans chacun des domaines de l’action gouvernementale et des politiques publiques pour construire la France des années 2030.
La cinquième dimension de ce programme concerne les coûts et les financements. Le gouvernement français a expliqué que le coût de ce programme sera de 100 milliards d’euros, ce qui correspond à peu près à 5% du PIB et 30% du budget initial de l’Etat pour l’année 2020. Le financement de ce projet sera assuré en partie par l’Union européenne à hauteur de 40 milliards d’euros.
L’annonce du programme a été marquée par certaines critiques. Ainsi des responsables politiques, dont l’ancien ministre Arnaud Montebourg, ont considéré qu’il était insuffisant pour absorber les effets de la crise de la Covid-19. Mais, en dépit de ces critiques, somme toute normales dans une société démocratique, le gouvernement français a réussi dans la définition d’un programme clair pour faire face aux effets immédiats de la Covid-19 et entamer la construction d’un nouveau programme économique et social.
Le second rapport auquel nous souhaitons faire référence a été publié il y a quelques jours par l’Institut des études de sécurité, un grand centre de recherche basé en Afrique du Sud et intitulé « La renaissance des trajectoires possibles du développement de la Tunisie à l’horizon 2040 ».
Ce rapport a été préparé par un groupe de chercheurs du centre qui ont effectué une visite de travail dans notre pays et ont rencontré un grand nombre de responsables lors de leur séjour. Par ailleurs, ils ont utilisé une méthodologie bien éprouvée dans un grand nombre de pays africains.
Bien évidemment, on pourrait formuler quelques critiques à ce Rapport si l’équipe avait intégré un chercheur tunisien. Mais, malgré tout, il faut souligner deux aspects importants qui ont constitué les points forts de ce rapport. Le premier concerne l’analyse précise et exhaustive de la situation politique, économique et sociale de notre pays depuis la Révolution. Et, en dépit de son éloignement et sa connaissance toute relative de notre pays, ce Rapport a effectué une analyse de la situation que nous ne retrouvons pas dans les rapports officiels de nos institutions.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir où nous en sommes par rapport à ces recherches et à cette effervescence intellectuelle que le monde est en train de connaître pour développer les grands projets et les grandes perceptions pour faire face à la crise de la Covid-19.
Le projet de relance économique que l’ARP est en train de discuter nous donne une partie de la réponse à ces questionnements.
Dans notre lecture de ce programme, nous mettrons l’accent sur les aspects importants : la forme et le fond. Au niveau de la forme, il aurait fallu donner une plus grande importance au lancement de ce projet afin que ce programme soit connu par tous les Tunisiens et afin de rétablir leur confiance dans la capacité de l’Etat à les protéger et à les sauver.
Au niveau du contenu, ce programme qui aurait pu être la pierre angulaire dans nos politiques économiques à venir, ne comprend qu’une série de mesures certes importantes, mais qui ne peuvent pas constituer l’ossature d’un grand programme de relance économique.
Ce projet est dépourvu d’une analyse du cadre global et de la situation économique que notre pays est en train de traverser. Pour saisir ce contexte, il faut revenir à des documents épars préparés par d’autres administrations.
Ce document n’indique pas la démarche suivie pour l’élaboration de ce rapport. De la même manière, ce projet ne définit pas les grands objectifs stratégiques pour l’avenir de notre développement, mais se limite aux grandes priorités, à savoir des mesures pour réduire la pression fiscale sur les entreprises et relancer l’investissement, des mesures pour intégrer l’économie informelle dans le circuit économique, des mesures pour limiter la fraude fiscale et renforcer la transparence, des mesures pour limiter les paiements en liquide et des mesures en faveur de la communauté nationale à l’étranger.
Certaines mesures sont importantes et j’ai eu à les défendre à différentes occasions. Mais, aussi importantes soient-elles, ces mesures ne peuvent pas former un programme de relance de l’économie dans le contexte de la Covid-19. La plupart d’entre-elles ont été au centre des priorités des différents gouvernements post-révolution. Ces mesures sont aussi éloignées des grandes transformations climatiques, économiques et énergétiques que nous sommes en train de vivre.
Il faut aussi mentionner l’absence d’un calcul du coût de ce programme ainsi que des moyens de son financement.
Ainsi, au moment où le monde vit une effervescence sans précédent pour accompagner les transformations et les transitions en cours, notre pays, faute de véritable plan de relance, se limite à une série de mesures pour faire face aux effets de la crise.
Et la question reste posée. Pourquoi autant de difficultés ? Pourquoi cette faillite des institutions de l’Etat à réfléchir le monde d’après ?

                                               A suivre

 

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