La phobie des sondages

Fatalement, on se rend compte aujourd’hui à l’approche des élections,  que  les sondages politiques suscitent autant de méfiance que de ressentiment. Plus les enquêtes s’accumulent, se font de plus en plus nombreuses,  plus elles sont critiquées, dénoncées, et les instituts qui les produisent stigmatisés. Les  partis politiques  les jugent  peu fiables, le président de la République est allé plus loin, en appelant les acteurs politiques « à ne pas prendre au sérieux ces sondages. Travaillez et préparez-vous bien!» a été le  mot d’ordre dans son allocution à l’occasion de l’avènement du mois de Ramadan.   Quand bien  même ces enquêtes seraient pointées du doigt et susciteraient une certaine méfiance, elles restent très utiles à la sphère politique et révèlent le sentiment, quoique parcellaire, de l’opinion publique vis-à-vis de la classe politique dans la course au  pouvoir.
Comment expliquer  cette levée de boucliers soudaine  contre ces instituts de sondage dont le travail n’est pas toujours au-dessus de tout soupçon ? Cette peur inexpliquée,  dont la traduction la plus parfaite a été  la multiplication des appels pour barrer définitivement la route devant ces instituts gagne la sphère politique. Certains bureaux de sondage ont été  pourtant, au lendemain des élections de 2014 glorifiés et les résultats qu’ils ont diffusés, applaudis et considérés comme fiables.
Le paradoxe  dans le contexte préélectoral que vit la Tunisie, c’est que tout le monde parle de manipulation de l’opinion publique, appelle à l’extrême  urgence à instaurer un cadre réglementaire, une méthodologie claire et à limiter le champ d’action de ces instituts qui commencent à perturber les faux calculs d’une classe politique décalée, dont les résultats, quand ils ne  leur sont pas favorables ou  ne servent pas leurs intérêts, attirent leurs foudres et leur ressentiment.
Avec la faillite des partis politiques, leur manque d’influence et la désaffection du corps électoral de leur jeu qui a montré ses limites et son impertinence, l’irruption des instituts de sondage et leur occupation du vide laissé par des acteurs politiques, dont le discours convainc mal, commencent à devenir une source de gêne. Cela est d’autant plus vrai que le pays est  en train de vivre une précampagne présidentielle et législative totalement gouvernée par les enquêtes et sondages d’opinion.  Ces derniers  ont commencé à imposer une situation fort paradoxale, en  construisant des profils de candidats qui paraissent, à certains égards, irréalistes, ou en avançant des intentions de vote qui  annoncent  des scénarios capables de chambouler toute la donne.
Dans cette période cruciale, alors qu’on s’attendait à une bataille de programmes, de profils et d’actions sur le terrain, on s’aperçoit que la classe politique, à court d’arguments, d’idées et en perte de confiance, a opté pour les solutions de facilité. A qui peut profiter le fait d’interdire les enquêtes et les sondages politiques, auxquels de nombreuses parties appellent à tue-tête ? Certainement pas à la démocratie, ni à la liberté d’expression et encore moins  au corps électoral qui pourrait bouder en masse cette nouvelle échéance électorale.
En s’imposant en acteurs influents, en faiseurs d’opinion et en éclipsant le rôle traditionnel dévolu aux  partis politiques, les instituts de sondage dérangent en interférant dans un domaine qui était leur apanage exclusif.
Comment expliquer dès lors qu’aussi bien le président de la République, les partis politiques, la HAICA, l’ISIE et autres acteurs  impliqués dans la vie publique, sont gagnés par la phobie des sondages politiques ?  Le couac, c’est que pour certains  partis politiques, quand les résultats de ces sondages  leur sont favorables, ils les utilisent d’une manière parfois pompeuse pour témoigner de leur popularité et de la qualité de leur programme. A contrario, et quand la cote de popularité de certains décline ou que ces travaux font apparaître des tendances qui desservent leurs ambitions dévorantes, on jette l’anathème sur des  instituts de sondage qu’on taxe, avec une légèreté déconcertante,   de diffuseurs d’informations instrumentalisées, erronées et qui servent des agendas occultes.
Pourtant, dans toutes les démocraties, ces enquêtes, quoique critiquées, sont légion et donnent, malgré la marge d’erreur qu’elles comportent, une tendance, un éclairage sur les orientations lourdes de la vie politique, notamment en période préélectorale.
Chez nous, plus l’échéance approche, plus les résultats de ces enquêtes publiées soulèvent des vagues, notamment de la part des partis qui se sont mis prématurément dans la peau de vainqueurs incontestés et incontestables des prochaines élections.
Ce rejet  brutal renvoie un  mauvais reflet, celui du manque de tolérance des acteurs politiques  qui défendent la pluralité mais quand seulement cette dernière sert leurs intérêts.

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