La planche à billets… et le déficit des finances publiques !

Les déclarations à la presse la semaine dernière indiquant le recours du gouvernement à la planche à billets pour payer les salaires ont mis le feu aux poudres, provoquant d’importantes controverses et des débats publics. Ces controverses ont pris une telle ampleur que la Banque centrale et le ministre des Finances, dans une série d’interventions, ont jugé nécessaire d’intervenir pour faire retomber la polémique et surtout souligner que le gouvernement n’a jamais eu recours à la planche à billets.
Cette polémique a pris une grande ampleur et a eu des effets médiatiques au-delà de ce qu’on puisse l’imaginer, particulièrement chez les gens ordinaires. Combien de personnes ne m’ont pas arrêté dans la rue pour me demander si on n’imprimait pas la monnaie dans un des locaux de la Banque centrale. Ces inquiétudes sont venues alimenter les peurs et les craintes devant l’aggravation de la situation économique et l’incertitude politique.
L’ampleur de la polémique et la confusion qu’elle suscite justifient qu’on revienne sur cette question de la planche à billets de manière didactique. Il faut rappeler que ce mécanisme, depuis l’apparition de la monnaie, est l’outil par lequel on imprimait les billets et d’une manière générale la monnaie papier. Il s’agit du processus de création monétaire tel qu’il était pratiqué historiquement. Cependant, ce processus a connu d’importantes évolutions tout au long du processus de transformation des économies modernes et du capitalisme. Et, la création monétaire ne se limite plus à l’impression de la monnaie papier ou « la planche à billets » comme on l’appelait communément, mais à des formes virtuelles qui partent des comptes de la Banque centrale vers les comptes d’autres banques, de l’Etat ou d’autres organismes. Les contreparties de cette création, comme on l’explique aux étudiants dans les premières années des études d’économie, sont les crédits à l’économie, les avances à l’Etat ou les rentrées de devises. Oui, il faut le dire et avoir le courage de l’expliquer et ne pas s’en cacher comme certains responsables. En effet, la Banque centrale, comme toutes les banques centrales du monde, crée de la monnaie sous des formes plus évoluées que celles des temps de la planche à billets. Cette création de la monnaie est au cœur du fonctionnement de l’économie et assure le financement nécessaire à l’investissement et à la croissance.
Je souhaite également m’arrêter sur cette partie de la création monétaire consacrée à l’Etat. Et, là-dessus, il faut que nos responsables osent expliquer ce mécanisme et non pas chercher à « noyer le poisson » comme on le dit hâtivement. Car cette opération se passe dans notre pays, comme dans tous les pays du monde, de manière transparente et sous le contrôle du Parlement. Car non seulement le Parlement autorise mais également supervise et contrôle l’usage qui est fait par le gouvernement et la Banque centrale de ce droit.
Explicitons un peu plus notre propos. Tous les ans et dans le cadre du projet de loi de financement, le gouvernement propose au Parlement un schéma de financement et surtout les sources pour combler le gap entre les recettes fiscales et les ressources propres d’une manière générale et les dépenses. A ce niveau, le Parlement autorise le gouvernement à recourir à un certain niveau d’endettement dont une partie sur le marché interne et une autre sur les marchés internationaux et auprès des institutions multilatérales. Ainsi, le gouvernement organise avec la Banque centrale ses sorties sur les marchés pour financer le budget de l’Etat. Pour ce qui est de la dette interne, le gouvernement va opérer des émissions régulières de Bons du trésor auprès des institutions bancaires et financières. Mais, il cherche souvent à limiter ces sorties pour éviter ce que les économistes appellent l’effet d’éviction ou cette volonté des acteurs économiques de se procurer les titres publics jugés moins risqués que les titres privés.

Et, c’est là où le bât blesse dans notre pays, tellement nous sommes attachés à des dogmes totalement dépassés dans la réflexion économique et dans la pratique des politiques monétaires. Pour défendre la sacro-sainte indépendance de la Banque centrale, que je défends par ailleurs, nous avons jugé utile de lui adjoindre une aberration, qui ferait rire les grands chantres du néo-libéralisme tellement elle est anachronique, qui est d’interdire le financement direct du budget de l’Etat par la Banque centrale. Une disposition qui date de la montée de l’ultra-libéralisme du début des années 1980 dans ses attaques contre les Etats et qui a été mise en sourdine depuis. Et pour preuve, les grandes banques centrales, comme la FED ou la très orthodoxe BCE, ont non seulement financé directement les Etats mais aussi les banques et même les grandes entreprises au moment de la grande crise de 2008 et 2009 dans le cadre des politiques monétaires expansionnistes. Cette disposition a été confirmée dans la nouvelle loi de la Banque centrale. Du coup, ce sont les banques et les institutions financières qui se portent acquéreurs des titres de l’Etat et se les font refinancer auprès des Banques centrales à des taux moins importants leur permettant au passage de dégager un important bénéfice.
Par ailleurs, la polémique a permis de mettre en exergue la grande détresse de nos finances publiques. Une crise et de grandes difficultés qui datent de plusieurs années et qui proviennent de ce décalage monstrueux entre les recettes et les dépenses de l’Etat. Un déficit et un gap que les annonces récentes du gouvernement ne seront pas de nature à réduire. Plus fondamentalement, il semble que la politique actuelle se cantonne aux négociations avec les institutions multilatérales et particulièrement avec le FMI pour faire face aux difficultés et à la crise sans précédent de nos finances publiques sans une stratégie globale qui devrait chercher une plus grande diversification de nos sources de financement.
Le débat sur l’usage de « la planche à billets », en dépit parfois de sa dimension confuse, soulève un défi majeur pour notre économie, qui est celui de la détresse de nos finances publiques. Ce défi doit être relevé avec une stratégie globale de consolidation budgétaire qui, sans s’inscrire dans une politique d’austérité, peu pertinente pour régler nos problèmes économiques, doit gérer avec minutie les dépenses publiques et éviter les annonces populistes qui ne peuvent que renforcer les déficits et chercher une plus grande diversification de nos recettes afin de défendre notre souveraineté et l’indépendance de nos choix de politique économique.n

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