A la fin de mai, après une sécheresse prolongée tout au long de quatre années, voici la pluie. Malgré les dégâts provoqués, ici ou là, l’univers agraire la bénit et l’olivier, revivifié, lui sourit. Cependant, rabat-joie, l’hydraulicien modère l’enthousiasme du sens commun. Il fonde sa douche froide car les barrages pleurent leur chétif remplissage et la pénurie sévit. Pendant ce temps, le curseur ne cesse de glisser, dans les deux sens, tout au long d’une glissière graduée. A une extrémité, la manne céleste, si modique soit elle, amplifie la voix du Carthaginois, l’amoureux fou du compter-sur-soi. A l’autre bout, et selon la ministre des Finances, pour bouder le FMI, il faut être fou à lier. D’apparence antagonique, ce partage des rôles n’a rien de paradoxal et provient d’une dialectique fondamentale.
Nos savants, trop intelligents, évoqueraient une surdétermination.
En effet, le prêt cligne vers l’urgence budgétaire, elle, fort actuelle, et la reprise économique, bien plus problématique, prend son temps. De l’une et de l’autre orientation proviennent, sur les hauteurs de l’État, les deux prises de position. L’une répond à l’incontournable intégration au sein du système capitaliste mondial et l’autre cligne vers l’optique autarcique. L’une et l’autre opèrent et, pour cette raison structurelle, nos deux locuteurs coopèrent. Car ni l’interdépendance des sociétés, ni leur existence en tant que telles ne seraient à occulter sans vouer l’investigation et l’analyse à une jolie méprise. Ainsi donc, les processus profonds, mondialisation internationale et souveraineté nationale précèdent la prise de conscience et anticipent l’énonciation des prises de position vis-à-vis du FMI. L’accord subsume le désaccord car nous avons à voir avec un ensemble de déterminations quand nous parlons et agissons. Pour théoriser pareille antécédence des procès eu égard aux mots formulés pour les dire, Hegel invente une belle métaphore : « L’oiseau de Minerve ». La chouette, volatile des nuits, prend son envol une fois le jour fini. Brillant, mais plagiaire, Sartre capture l’image extraordinaire et dit : « Quand on délibère, les jeux sont faits ».
La philosophie, la grande, fut gréco-romaine, arabo-persique, tout comme le golfe, puis allemande. Mais revenons à nos moutons.
Articulées, indissociables, autonomisation sociale et mondialisation générale expliquent pourquoi la ministre des Finances et le Carthaginois marchent main dans la main.
Supputer l’incompatibilité sans l’étayer limite la procédure à une première lecture et saute, à pieds joints, par-dessus le doute cartésien. Les deux responsables balaient le même dédale avec ses deux aspects liés. Le va-et-vient établi entre « les mots et les choses » de Foucault inspire à Bourdieu cette formulation : « Les choses sont dites pour être faites et faites pour être dites ». Dans la Tunisie actuelle, ces deux propos, ceux de la ministre des Finances et du Carthaginois, ne pouvaient pas ne pas être dits par eux ou tout autre engagé dans la mêlée.
Car tout discours a partie liée avec le lieu d’où il est parlé. Le magma en fusion rugit au cœur des profondeurs avant d’affleurer au niveau du langage articulé.
Nous voulons le prêt et nous voulons nous en passer. Pour Marivaux et son « jeu de l’amour et du hasard », « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ».
Pour nos deux locuteurs associés, il faut qu’une porte soit ouverte et fermée.
Ouverte pour le prêt, fermée pour la suppression des compensations. Salah Garmadi, à peine remanié, dirait : avec ou sans FMI, on vit. Le 3 juin, le directeur de magasin à une grande surface, auquel j’évoquais ce dilemme le résume : « Et n’avons-nous pas vécu bien avant la création du FMI ? »
En raison de l’ainsi nommée « surdétermination », les attitudes adoptées au sommet de l’Etat et par un peu tout le monde se répondent. La pluie ajoute son grain de sel à ce carroucel. Pour les croyants, réduire l’eau à trois malheureuses molécules dénote une jugeote ridicule. Car exhiber le profane et oublier le sacré limite la représentation au superficiel et rate l’essentiel. En effet, le sperme tombé du ciel féconde la terre nourricière et, ainsi, le Dieu miséricordieux convie le compter-sur-soi et congédie le FMI.