La poissonnière et le marchand de légumes

Par Sami Mahbouli *

On vit une époque terrible: les poissonnières et les marchands de légumes ne se contentent plus de manquer de respect à leurs pauvres clients, même les ministres en exercice ne sont plus épargnés. L’agression odieuse dont a été victime le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, est symptomatique du recul du prestige de l’Etat et de l’affaissement moral du pays auxquels nous assistons, impuissants, depuis des années. Quand une personnalité publique d’un rang aussi élevé est violentée en public par un voyou analphabète c’est qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark …
Le respect des symboles de l’Etat est un pilier de toute démocratieË le respect de la dignité des dépositaires de la puissance publique une exigence juridique absolue. Ces règles, a priori, évidentes ne le sont plus dans un pays où l’on confond liberté d’expression et diffamation, où l’insulte, la calomnie et la violence règnent en maîtres, où le respect de la dignité de la fonction a disparu, et où le moindre saligaud peut s’en prendre aux plus hauts représentants de l’Etat sans craindre pour sa personne.
A croire que, chez nous, seule une dictature implacable peut assurer la crainte de l’Etat et le respect de ses représentants.
Dans le triomphe de la « voyoucratie », version tunisienne de la démocratie, chacun a une part de responsabilité: certains hauts commis de l’Etat, notamment sous la Troïka, n’ont pas forcé le respect par leur inconduite et leur incompétence; par ailleurs, les médias se sont départis du respect dû aux institutions et à leurs représentants par goût du buzz et par populisme de bas étage. Enfin, nombreux sont nos concitoyens qui, depuis un certain 14 janvier, se considèrent au-dessus des lois et rivalisent d’incivisme et d’agressivité.
Comment voulez-vous que le prestige de l’Etat soit sauvegardé dans un pays où des élus oeuvrent à son anéantissement : la vulgarité et l’insolence envers les ministres de la République dont font montre certains députés de l’ARPË n’ont plus de limites et alimentent l’irrespect et l’insubordination à l’égard de l’Etat et de ses symboles.
Comment imaginer qu’un quidam puisse respecter un ministre quand il assiste au déchaînement verbal et au déballage de grossièretés de certains élus envers le Chef du gouvernement ou ses ministres ?
Prenons l’élue du peuple, Samia Abbou, incontestablement figure de proue de ceux qui à l’ARP ont fait de la véhémence et de l’outrance une spécialité: à chacune des prises de parole de la «Passionaria» du Bardo et de ses environs , c’est un festival du mauvais goût et de l’impertinence rosse que son immunité parlementaire l’autorise à nous infliger; ces braillards professionnels contribuent, volens nolens, à promouvoir la culture de l’irrespect et de l’irrévérence qui mine notre Etat et démotive ses serviteurs. Pourquoi s’étonner qu’un marchand de légumes s’en prenne à un ministre quand dans l’hémicycle des députés tiennent un langage de poissonnière et abreuvent les ministres conviés de railleries et de calomnies. S’ils se sentent des prédispositions pour la vente à la criée, le marché central n’a jamais cessé d’embaucher.
Du reste, entre un marchand de légumes et une poissonnièreË la différence ne tient qu’à l’emplacement de leur étal dans un marché, pas dans le style ni dans le procédé. D’habitude, l’exemple vient d’en haut; chez nous, d’en bas et même de très bas, quelque part entre la sardine et le maquereau…
Le suffrage universel est une fichue trouvaille qui porte, parfois, au pouvoir des gens dénués de tout sens de l’Etat et qui, par une sorte de tropisme nihiliste ou par haine maladive, ne rêvent que de le détruire. Ces êtres nuisibles, à défaut d’être marginalisés, doivent être montrés du doigt pour le mal qu’ils occasionnent à notre nation chaque fois qu’ils l’ouvrent. Et dire que c’est avec l’argent de nos impôts, celui que nous gagnons à la sueur de notre front, que nous remplissons les frigos et les bedaines de ces fossoyeurs de l’autorité de l’Etat doublés de bons à rien.

*Avocat et éditorialiste

Related posts

Rapport du PNUD : Où se situe la Tunisie en matière de développement humain ?

La montée des eaux Nos îles en péril

Quand Gafsa célèbre ses trésors oubliés : tourisme, artisanat et espoirs partagés