Pour célébrer son 30ème anniversaire, le groupe Assurances Hayett a organisé une conférence, vendredi 13 octobre 2017. Un rendez-vous festif, marqué par une série d’interventions autour d’une thématique d’actualité : la réforme des retraites. Un sujet brûlant, objet de toutes les polémiques, dans lequel le gouvernement lui-même a du mal à jouer les équilibristes pour satisfaire toutes les revendications. La conférence des Assurances Hayett était l’occasion de réunir les professionnels du métier afin de débattre de cette question. En plus du directeur général de la compagnie d’assurance, Lotfi Ben Haj Kacem, quatre invités de marque étaient présents : Hafedh Gharbi, président du comité général des Assurances (CGA), Kamel Madouri, directeur général de la sécurité sociale au sein du ministère des Affaires Sociales, Mehdi Ben Brahim, chercheur et docteur en sciences économiques, et Éric Martin, invité d’honneur et directeur actuaires au Crédit Agricole (France).
« Les réformes tardent à arriver »
« Nous célébrons le 30ème anniversaire des Assurances Hayett. Un groupe créé en 1987, autrement dit, à une époque où l’assurance vie était peu présente. C’était un pari ambitieux », commence Lotfi Ben Haj Kacem, directeur général des Assurances Hayett, qui souligne que la compagnie figure, en 2017, parmi les principaux opérateurs du marché : retraite complémentaire, épargne et prévoyance. « Nous comptons 50 000 clients et un large réseaux d’agences. Malgré le démarrage difficile de 1987, nous réalisons, 30 ans plus tard, des performances qui parlent d’elle-même : un chiffre d’affaires en 2016 de 51 millions de dinars, des placements financiers de 216 millions de dinars ou encore un résultat net de 3,1 millions de dinars », note-t-il.
Le directeur général assure que l’objectif, désormais, est d’améliorer la qualité des prestations du groupe : la décentralisation des opérations de souscription et de gestion des contrats et, notamment, la digitalisation des services. « La question qui se pose est relative à la retraite et l’assurance vie », déclare Lotfi Ben Haj Kacem, qui rappelle que cette même thématique a été débattue lors du 20ème anniversaire des Assurances Hayett. « La réforme des régimes de retraite tarde à arriver. On en parle il y a une quinzaine d’années, alors que l’urgence est là. Comment peut-on faire de l’assurance vie une composante de la réforme ? », poursuit-il pour conclure.
« Un cadre réglementaire insuffisant »
De son côté, Hafedh Gharbi, président du Comité Général des assurances (CGA), rappelle que le secteur des assurances, comme tous les autres, présente des risques et fait face aux menaces, sans oublier les opportunités. « L’assurance joue un rôle important dans le financement de l’économie. Il s’agit d’une épargne volontaire et stable. Elle appuie les caisses de sécurité sociale. De plus, on peut considérer l’assurance comme un investissement institutionnel de premier plan, qui participe au financement de la dette de l’État », explique-t-il devant l’assistance.
Le président du CGA poursuit en soulignant que le nombre de souscription aux contrats collectifs a augmenté de 11% au premier semestre de 2017 par rapport à la même période en 2016. « Le chiffre d’affaires des compagnies a bondi de 25% en 2016 par rapport à 2016 – premier semestre de l’année -« , ajoute-t-il déplorant, néanmoins, la « pauvreté » du cadre réglementaire régissant le secteur. « Sans un cadre précis et moderne, on ne pourra développer l’assurance », regrette-t-il. Le seul règlement de base, aujourd’hui, est celui du CGA, numéro 01-2016, datant du 13 juillet 2016 et qui est relatif à l’assurance vie et à la capitalisation.
Par ailleurs, Hafedh Gharbi met l’accent sur la robustesse du secteur des assurances, et ce malgré la conjoncture difficile. « L’instabilité du secteur est liée à l’insécurité fiscale et juridique. D’un autre côté, la dure conjoncture réduit la propension des ménages à épargner. La profession a besoin d’évoluer dans un cadre réglementaire clair pour qu’elle puisse toujours mieux répondre aux besoins des assurés », explique-t-il encore.
Cependant, le président du CGA préfère rester optimiste, compte tenu des opportunités offertes par le secteur. « C’est un marché porteur. Le recours à l’assurance est notamment stimulé par l’évolution démographique de la société. Le secteur a un rôle à jouer dans la solidarité nationale », dit-il mettant l’accent, par la suite, sur la nécessité de restructurer le régime de retraite légal, ainsi que sur l’adoption d’un pilier de retraite complémentaire géré par les compagnies d’assurance. Dans ce contexte, le président du CGA lance un appel à la refonte du code de l’assurance, à travers le renforcement du cadre juridique. « Nous travaillons, également, sur la mise à niveau des compétences actuarielles pour que nous puissions répondre aux normes de l’Association Internationale des actuaires, et ce en vue de l’intégrer », déclare-t-il encore, et d’enchaîner : « Nous avons aussi besoin d’un cadre fiscal plus incitatif pour les contrats collectifs de retraite complémentaire ».
« L’hémorragie des caisses sociales »
L’intervention de Kamel Madouri, directeur général de la sécurité sociale au sein du ministère des Affaires Sociales, était surtout l’occasion de rendre compte de la situation critique traversée par les caisses sociales en Tunisie. « Le déficit des caisses sociales est passé de 40 millions de dinars en 2010 à 772 millions de dinars en 2017. C’est la branche des retraites qui souffre de la plus grande hémorragie », déclare-t-il. Ce déséquilibre conséquent, poursuit-il, est la conséquence des résultats négatifs enregistrés par les caisses, pour les deux secteurs privé et public. L’un des facteurs pouvant expliquer ce grand déficit est, bien entendu, le vieillissement de la population. De fait, aujourd’hui et selon Kamel Madouri, on compte 2,5 actifs pour financer 1 retraité de l’année. Il évoque, également, la hausse de l’espérance de vie. « 43% des retraités touchent une pension de 80 à 90% de leurs salaires d’actifs », ajoute-t-il.
Face à cette situation délicate, le directeur général de la sécurité sociale rappelle que l’État a commencé à prendre des mesures depuis 1994. Dans ce cadre, de l’argent a été injecté directement du budget de l’État aux caisses sociales : 300 millions de dinars, à titre d’exemple, dans le cadre de la loi de finances complémentaire de 2016, et 500 millions de dinars dans le cadre de la loi de finances 2017. Kamel Madouri concède, d’autre part, l’existence d’un retard dans la réforme de la sécurité sociale. « Elle [la réforme] ne peut être que consensuelle. Aucune réforme n’est envisageable sans l’accord des signataires du Contrat social –dont l’UGTT -, ce qui risque de ralentir la mise en place des réformes », déclare-t-il. Parmi les autres mesures qui ont été prises par les pouvoirs publics, il rappelle l’augmentation de l’âge de départ à la retraite anticipée, la hausse de la part des participations, ou encore la hausse de la période de cotisation. « Nous visons également à diversifier les sources de contribution sociale. Dans ce cadre, nous comptons créer une contribution sociale de solidarité. Autre mesure au programme : la création du Haut conseil pour le financement de la protection sociale », conclut-il.
Hakim Ben Yedder:
« Les mesures des pouvoirs publics sont positives »

Hakim Ben Yeder, directeur général de la Comar et membre du conseil d’administration des Assurances Hayett
« Par ce rassemblement, nous souhaitons pousser à mener une réflexion sur la problématique des assurances et des retraites en Tunisie », déclare Hakim Ben Yedder, directeur général de la Comar et membre du conseil d’administration des Assurances Hayett. Le responsable considère que les autorités présentes à cette conférence « semblent sensibilisées à à la problématique des retraites ». Les agissements de ces autorités, estime-t-il, sont « positifs », puisqu’elles ont entamé la mise en oeuvre de plusieurs solutions : augmentation de l’âge de départ à la retraite ou encore la révision des modalités de calcul des cotisations.
Réagissant aux solutions citées par Kamel Madouri, directeur général de la sécurité sociale, Hakim Ben Yedder souligne qu’elles sont « positives ». « C’est le fruit d’un compromis nécessaires entre les partenaires sociaux. Nous sommes satisfaits de voir que nous avançons sur ce dossier, ce qui n’a pas été le cas depuis un bon bout de temps », explique-t-il, ajoutant qu’il est désormais temps d’avancer plus rapidement. Les solutions élaborées, poursuit le directeur général de la Comar, émanent de négociations difficiles. « Nous ne pouvons que féliciter la direction générale de la sécurité sociale et l’ensemble des partenaires sociaux pour ce qui semble être une solution de compromis », s’est-il félicité. Il ne cache pas, d’autre part, son souhait de voir d’autres « confrères » organiser des rendez-vous comparable à la conférence des Assurances Hayett. « Ceci permettra de mettre en place un échange d’idées constructif et une continuité dans le débat », note-t-il.
« Crise des caisses sociales : une question d’idéologie »
De son côté, Mehdi Ben Brahim, docteur en sciences économiques, n’a pas mâché ses mots pour aborder la faiblesse du système de retraite en Tunisie, dont l’une des causes est l’absence de vision globale, selon ses propos. « 60% des retraités en Tunisie touchent moins que le SMIG. L’emploi informel, d’autre part, pèse sur le secteur », déclare-t-il. Il n’y a que des « réformettes » qui ont été mises en place, selon Mehdi Ben Brahim. « Tant que l’UTICA, l’UGTT et le gouvernement ne se mettront pas d’accord, inutile de concevoir ces réformettes », souligne-t-il, mettant l’accent, par la suite, sur l’instabilité politique qui ralentit le secteur des assurances, notamment en raison des changements successifs de gouvernement. « Si l’on souhaite donner davantage en termes de pensions, il faudra aller chercher de l’argent ailleurs que sur le marché du travail. On peut taxer les boissons alcoolisées par exemple. Le problème n’est qu’idéologique », suggère-t-il.
D’autre part, Mehdi Ben Brahim estime que la Tunisie est tombée dans le piège des opérations de pompiers de service. « On gère l’urgence du jour », dit-il. L’important, poursuit-il, est d’élaborer une réforme pour équilibrer les caisses sociales et pour accroître la croissance. C’est cette croissance économique, d’après le docteur, qui sera capable de tout financer. « La véritable réforme risque d’être impopulaire. Or, dans ce cas, aucun politicien n’osera l’entamer. Nous avons, d’un côté, l’UTICA qui protège les intérêts des employeurs, et de l’autre, l’UGTT qui défend une idéologie. D’un autre côté, aucun parti politique ne s’est penché sur la question des caisses sociales. C’est un vide total ! Certains députés ne sont même pas capables de savoir si les solutions présentées sont bonnes ou non », s’indigne-t-il.
L’exemple français
L’autre intervenant de la conférence des Assurances Hayett est Éric Martin, directeur actuaires au Crédit Agricole. C’était l’occasion pour lui de revenir sur le système de retraite français. Ce dernier, selon le conférencier, est composé de 6 strates. Il y a, tout d’abord, la retraite générale. Celle-ci est gérée par les pouvoirs publics. Ensuite, Éric Martin évoque la retraite complémentaire AGIRC-ARCO. Toutes les deux sont gérées par les pouvoirs publics. Elles touchent, en France, 16 millions d’actifs selon Éric Martin, pour des prestations annuelles de 300 milliards d’euros. Il y a, par la suite, la retraite d’entreprise. « Dans ce cadre, c’est l’entreprise qui épargne pour le compte de ses salariés. Elles sont exonérées des charges sociales, patronales et salariales », explique-t-il. La strate suivante est, poursuit l’intervenant, la retraite individuelle aidée, qui cible les salariés aux revenus les plus élevés souhaitant optimiser leurs retraites. Arrive, ensuite, la retraite individuelle et, enfin, le contrat de prévoyance pur. Ce dernier élément, affirme Éric Martin, est très onéreux. De ce fait, les pouvoirs publics ont demandé aux assureurs de concevoir des contrats relatifs à la prévoyance, notamment en matière de dépendance.
M. F.K