La question sociale et les politiques publiques (1)

L’analyse de la question sociale dans notre pays nous met devant un important paradoxe. D’un côté, l’Etat, avec les différents gouvernements, a affirmé depuis l’indépendance la priorité accordée à la question sociale et à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations mais de l’autre côté, les résultats ont toujours été en dessous des attentes et des promesses. Toute la question qui se pose est de savoir comment expliquer ce paradoxe et comment analyser cet écart important entre les grands engagements de l’Etat d’un côté, et les résultats concrets des politiques publiques, particulièrement dans le domaine social, de l’autre.
Cet écart est au cœur de la crise sociale que nous traversons depuis quelques années et d’une grande détresse sociale qui a commencé avec l’éclatement du contrat social de l’Etat post colonial et l’effritement de ses principales composantes. La montée du chômage, l’accroissement des inégalités et la plus grande marginalisation sociale sont les principaux indicateurs de cette crise sociale sans précédent.
Cette crise et la détresse sociale sont à l’origine de l’accroissement des mouvements sociaux et la multiplication de leurs luttes au cours des dernières années. Ces luttes sociales ont été marquées par l’apparition de formes nouvelles de protestation au cours des dernières années. En effet, parallèlement aux luttes classiques menées par les syndicats ouvriers pour l’amélioration des conditions de vie de leurs adhérents, la scène sociale a été marquée au cours des dernières années par l’apparition de nouvelles formes de luttes et particulièrement des mouvements sociaux qui ont exprimé le désespoir des laissés-pour-compte et des oubliés des politiques publiques.
Le paradoxe concerne l’ensemble des politiques publiques et particulièrement dans leurs philosophies. Les politiques publiques post-indépendance ont été marquées par deux caractéristiques essentielles : la modernisation et l’hégémonie de l’Etat.
La modernisation est l’héritage du réformisme tunisien de la seconde moitié du 19e siècle et du mouvement national dans le 20e siècle. Elle est le résultat de la rencontre des nouvelles élites réformistes dans notre pays avec le mouvement des Lumières et les révolutions politiques et économiques en Europe qui ont fait de la modernité le nouvel univers non seulement philosophique et politique du monde mais également, le nouveau cadre de l’action publique. Ces idées ont eu une large influence sur les nouvelles élites tunisiennes parties étudier en France, au point qu’elles deviendront la matrice de référence et le fondement de leurs grands choix de politique.
Au moment de leur arrivée au pouvoir, la référence de la modernisation va devenir le fondement de l’action de l’Etat et des politiques publiques dans tous les domaines. Parallèlement à l’influence des idées des Lumières, la problématique de la modernisation a puisé également ses racines dans la profonde conviction des élites tunisiennes quant au fait que le sous-développement, la marginalisation et l’autoritarisme trouvent leurs origines profondes dans les sociétés traditionnelles et dans les structures sociales patriarcales. La sortie de la crise arabe passe alors par une révolution contre ces régimes dépassés et la construction de nouveaux régimes modernes et rationnels qui sont basés sur la science et les nouvelles technologies.
La modernisation sera la principale préoccupation des politiques publiques de l’Etat indépendant dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale. Au niveau politique, l’Etat va chercher à construire les institutions de l’Etat moderne et à l’inscrire dans les principes de la modernisation politique. Au niveau économique, l’Etat va construire des alternatives pour sortir du modèle de développement colonial et construire une économie moderne et indépendante.

La problématique de la modernisation sera également au centre des politiques sociales et l’Etat indépendant va chercher à sortir des principes de solidarité et de leur cadre traditionnel de la famille et du clan pour les inscrire dans les institutions modernes. Ainsi, l’Etat va-t-il créer les institutions modernes de solidarité comme les caisses sociales et définir des politiques publiques ambitieuses dans les domaines de la santé et de l’éducation.
La seconde caractéristique des politiques publiques concerne l’hégémonie de l’Etat moderne et de ses institutions dans la formulation des politiques publiques et dans leur mise en œuvre. Cette caractéristique est basée sur la conviction des élites que l’Etat et ses institutions sont porteurs des principes de la modernité et du progrès devant l’hégémonie des idées rétrogrades des sociétés sous-développées héritées de la colonisation et de siècles de marginalisation.
Les politiques publiques de l’Etat indépendant ont été basées sur deux principes majeurs, à savoir la modernisation pour sortir des siècles de sous-développement et de marginalisation et l’hégémonie de l’Etat dans la formulation et l’exécution des politiques publiques. Cette philosophie et cette démarche n’appelleront pas à une grande participation du mouvement social et de ses différentes expressions dans la construction du nouveau contrat social.
Comment vont se comporter alors ces politiques publiques et quels seront leurs résultats ? n
A suivre…

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