La réforme des banques publiques attendra la prochaine législature

En attendant le résultat de l’audit de la STB, la BNA et la BH, qui tarde à venir, la recapitalisation et la création de société de gestion d’actifs, sont les mesures prises par le gouvernement pour  réformer ces trois banques publiques.  Pourtant le processus initial était d’auditer, de restructurer, d’assainir puis de recapitaliser.

Par malheur ou non, ces deux projets de lois n’ont pas été adoptés par l’Assemblée nationale constituante (ANC). L’adoption a été reportée à prochaine législature. Pour le projet de loi sur la recapitalisation des banques publiques, selon Lobna Jribi, rapporteuse de la Commission des Finances au sein de l’ANC, les députés ne peuvent pas examiner une loi relative à la restructuration de 50% du système bancaire d’une manière précipitée.  Quant au projet de loi relatif à la création de société de gestion d’actifs, malgré que celui –ci a été retiré de la loi des Finances 2014 et a été également  revu après protestation des hôteliers, les députés ont préféré attendre. Le sort de ces deux projets de lois n’est pas encore ficelé. On ne sait pas encore qui, de l’actuelle ANC ou du prochain parlement qui sera élu aux législatives 2014  débattra ces deux lois.

La recapitalisation des banques, n’est pas la priorité des réformes

La première réaction est venue de Chadli Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. «La situation des banques publiques sera plus délicate qu’auparavant» a-t-il imploré. Le gouverneur de la BCT a insisté sur le caractère «urgent des financements qui devraient être accordés notamment à la Société tunisienne de banque (STB) et à la Banque de l’habitat (BH). Ces financements sont aujourd’hui indispensables à ces institutions afin de leur permettre de poursuivre leur fonctionnement» Chadly Ayari s’inquiète également de la réaction que peuvent avoir les bailleurs de fonds internationaux, à savoir la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) face au report de l’examen de ces deux projets de lois qui constituent, selon lui pour eux (bailleurs de fonds), «une garantie fondamentale pour l’avancement du processus de réformes en Tunisie». Ce report aura aussi des retombées sur le décaissement de la dernière tranche du prêt de garantie du FMI et l’obtention de financements auprès de la BM. Pourtant la BM à travers son économiste-chef en Tunisie, Jean Luc Bernasconi, dira le contraire. « Par rapport à ce point, il y a une convergence de points de vue entre le gouvernement et la Banque mondiale » La recapitalisation en elle-même n’est pas une réforme. « Vous avez un secteur bancaire ou des banques publiques qui sont dans un mauvais état. Elles ont beaucoup de casseroles qu’elles trainent derrière elles. Restructurer ces banques c’est changer fondamentalement la gouvernance. Réformer la gouvernance c’est reformer la manière dont les conseils d’administration et dont l’État gère sa tutelle. Cela fait deux fois qu’on recapitalise on ne peut pas dire que c’est un succès. Avec une recapitalisation sans restructuration, il est fort probable de se retrouver avec la même problématique d’ici trois ans » a-t-il ajouté. Rappelons qu’en 2013, les banques publiques ont bénéficié d’un financement de 500 millions de dinars puisé dans le budget de l’État dans le cadre de la loi des finances 2013. La loi a été adoptée à la va vite. Mais cette année la commission des Finances a envoyé une demande au ministère des Finances et à la BCT leur incitant à leur fournir le résultat de l’audit des trois banques publiques et un bilan de ce qui a été fait des 500 millions de dinars.  rien n’a été fait et la commission s’est trouvée obligée de reporter l’adoption de ce projet de loi dont l’enveloppe allouée aux banques publiques est deux fois plus important que celui de 2013. En effet, Mme Jribi  a signalé «  qu’il n’est pas, convenable de consacrer une enveloppe d’un milliard de dinars (80% destinés à la Société tunisienne de banque) sans disposer d’un ensemble d’éléments suffisant permettant “un contrôle ultérieur”de l’allocation de ces fonds » il faut rappeler que selon une étude menée par le centre tunisien de veille et d’indulgence économique (CTVIE) sur le secteur bancaire que la situation des banques publiques semble empirer et la facture de leur recapitalisation estimé, initialement à 5% du PIB, risque de s’alourdir. D’un autre coté l’agence de notation internationale, Standard&Poors, a maintenu le classement du secteur bancaire  tunisien dans le groupe «8» (sur une échelle de 1 à 10), celui des hauts risques. La réglementation et la supervision bancaire restent plus faibles que les normes internationales, selon l’agence. 

La société de gestion d’actifs (AMC), un mal nécessaire

Dans le même cadre de la restructuration du secteur bancaire, est né le projet de loi pour la création de société de gestion d’actifs principalement des hôtels. En effet, les dettes accrochées du secteur de l’hôtellerie sont générées en grande partie par les banques publiques notamment la STB (à laquelle 80% des fonds de recapitalisation sont destinés). La société de gestion d’actifs aura pour mission de  nettoyer les banques publiques de leurs créances classées. Ce projet de loi demeure un sujet de polémique entre le gouvernement et les hôteliers. Selon ces derniers, cette loi serait anticonstitutionnelle et au-dessus de la loi. Contrairement à ce que dit le gouvernement, l’intérêt de l’AMC ne serait pas de revaloriser les actifs des hôtels mais en vérité  de spolier les biens des hôteliers. L’AMC pourrait ne pas en tenir compte et prendre le contrôle de ces hôtels et les liquider aux meilleurs des cas à 30 ou 50% de leur valeur initiale, même pas leur valeur commerciale. Un intérêt occulte que les hôteliers dénoncent. Mais d’autres pensent le contraire et acclament le lobbying qui continue à contrôler l’économie tunisienne trois ans après la Révolution.  Radhi Meddeb PDG du groupe Comete Engineering, dans une interview accordée à un site électronique dira que «  les hôtels vont mal, mais les hôteliers vont généralement bien ou encore l’intérêt de l’hôtelier en Tunisie s’arrête souvent avec la fin de la construction de son unité et son entrée en exploitation. Beaucoup d’hôtels sont structurellement non rentables. Ils vivent aux dépens de la collectivité, plombent les banques, ne paient pas leurs factures d’électricité ou d’eau et font un chantage permanent à l’emploi. De telles situations sont intenables. Elles font courir au secteur financier un risque systémique. Elles créent un biais dans l’affectation des ressources rares du pays ».

Laurent Gonnet, Senior Financial Sector Specialist à la Banque mondiale, à l’origine de cette loi, nous dira que la vocation de l’AMC est de valoriser le plus grand nombre possible d‘actifs et de permettre à la profession de renouer avec des niveaux de rentabilité permettant aux promoteurs d’investir dans ce secteur porteur (la liquidation ne devra concerner que quelques hôtels dont la plupart n’aurait pas dû être financée). Il faut savoir  que c’est en raison des insuffisances de l’actuelle loi sur le redressement des entreprises en difficulté économique qu’un hôtelier débiteur, mal intentionné ou non, peut continuer à exploiter son hôtel jusqu’à 15 ans sans craindre de saisie. Si l’AMC est mise en place, elle devrait être dotée peu ou prou des mêmes pouvoirs que les tribunaux de commerce, à la différence que les solutions de restructuration viables seront trouvées beaucoup plus rapidement (6 mois) que dans le cadre des procédures amiables et de redressement judiciaire décidées par les tribunaux. Il ajoutera que toutes les recommandations de la BM n’ont pas été prises en considération par le gouvernement. Par exemple, la BM aurait préféré une loi plus complète pour éviter tout risque d’imprécision, ce qui est le cas actuel. 

En termes de chiffres, plus de 100 hôteliers sont dans l’incapacité actuellement de rembourser leurs dettes. Les créances impayées et contentieuses du secteur arrêtées à fin 2012 avoisinent les  1.044 millions de dinars. La Révolution n’a fait qu’alourdir ces dettes et entraîner la fermeture de 24 établissements hôteliers et la perte de 1 500 emplois. Ces mêmes dettes  représentent une bonne partie des créances accrochées des banques tunisiennes. 

Quant à la thèse avancée par Chadly Ayari, que la Tunisie pourrait ne pas bénéficier d’un prêt de 500 millions de dollars de la Banque mondiale, si le projet de loi sur la création de la société de gestion d’actifs (AMC) n’est pas adopté par  l’Assemblée nationale constituante, Laurent Gonnet répondra que la Banque mondiale prendra acte.

N.J

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