Après la Révolution du 17 décembre-14 janvier 2011, les élections organisées le 23 octobre 2011, ont débouché sur une majorité que l’opposition et la société civile n’ont pu convaincre qu’après une résistance héroïque et de grands sacrifices, que la légitimité électorale ne peut s’exonérer de la légitimité consensuelle obtenue par le dialogue national. La transition démocratique a pu ainsi réaliser une avancée significative avec l’accord sur une feuille de route sur la transition politique et l’approbation à la quasi majorité de l’Assemblée nationale de la nouvelle constitution.
La voie ainsi ouverte doit déboucher dans le cadre du dialogue national à un consensus entre les partenaires politiques, économiques et sociaux, sur les conditions de la transition économique et sociale. Parallèlement, il importe d’engager la préparation et la mise en œuvre des réformes des secteurs d’activité mis à mal par les longues années de corruption et de malversation. La préparation et la mise en œuvre de ces réformes certes indispensables, nécessitent des délais plus ou moins longs et leur effet sur le développement n’est significatif qu’à moyen et long termes. Ces réformes concernent la fiscalité, l’éducation, la formation, la recherche ainsi que les secteurs de production.
Redresser l’administration fiscale
La fiscalité occupe une place stratégique car elle constitue la source principale du financement de l’État dans l’exercice de ses multiples fonctions en vue d’orienter, d’accompagner et de soutenir le développement économique et social du pays. Ces fonctions concernent notamment l’accomplissement des responsabilités régaliennes, la réalisation des infrastructures et la redistribution des revenus en vue d’une plus grande solidarité nationale. La réforme fiscale engagée en 1988 a doté le pays d’une fiscalité moderne, juste et efficace en remplacement d’un système complexe, usurpateur, injuste et antiéconomique. Cependant les années de corruption ont entraîné la détérioration de la situation fiscale. Cette détérioration concerne l’administration fiscale, le système fiscal n’est pas en cause même s’il nécessite une certaine actualisation.
La fiscalité doit évoluer et suivre son temps. Avec la prolifération des hauts revenus, inconnus du temps de la réforme fiscale, le niveau de leur taxation parait aujourd’hui dérisoire. De plus l’émergence de ces hauts revenus a introduit une grave distorsion dans le régime fiscal, de sorte que les revenus modestes et moyens se trouvent soumis à des taux d’imposition effectifs globaux, tous impôts confondus – impôts sur la consommation et impôts sur le revenu – supérieurs aux taux appliqués aux hauts revenus. L’imposition effective globale est donc devenue régressive au lieu d’être progressive. Il convient donc d’ajouter au barème de l’impôt, des tranches supplémentaires de revenu soumises à des taux de taxation plus élevés. Les titulaires de hauts revenus doivent accepter une contribution fiscale plus élevée dans l’intérêt de la justice et de la cohésion sociale. Il convient aussi de supprimer toute exonération des revenus et des dividendes et de fixer l’impôt sur les sociétés à 10%.
Le redressement de la situation fiscale concerne principalement l’administration fiscale qui ne peut retrouver son efficacité que si une réforme profonde est opérée. Celle-ci doit porter sur la multiplication des circonscriptions fiscales pour rapprocher l’administration du contribuable. L’implantation peut être même par quartier suivant la densité des contribuables. A chaque circonscription fiscale doivent être rattachés un bureau de Contrôle des Impôts et une Recette des Finances de plein exercice, situés dans le même bâtiment. Des Directions régionales des impôts, une par gouvernorat, doivent superviser l’activité et les résultats des bureaux de Contrôle. Enfin une inspection générale des services fiscaux doit contrôler l’activité et les résultats de l’ensemble des services fiscaux.
Un meilleur rendement de la fiscalité doit aussi être recherché à partir de différentes sources dont la suppression des niches fiscales. Il peut être envisagé l’imposition des revenus en nature en incluant dans l’assiette de l’impôt sur les revenus, la valeur locative des biens immobiliers non exploités autres que le logement principal. La valeur locative est un revenu en nature, il doit donc être soumis à l’impôt. Une telle mesure outre les recettes qu’elles procurent à l’État, permet de lutter contre les logements vacants et d’exercer une pression pour la baisse des loyers.
L’éducation et la formation sont des points forts a consolider
Le domaine de l’éducation et de la formation a bénéficié de moyens importants depuis l’Indépendance. Il a brillé par ses résultats quantitatifs face à des résultats qualitatifs plutôt ternes. Il faut dire que la corruption par la généralisation des pratiques des heures supplémentaires et de l’achat des diplômes, garantissait le succès sans le recours à l’effort. Cette évolution s’est toutefois accompagnée par l’émergence d’une élite nombreuse et efficace, mais aussi par un nombre élevé de diplômés n’ayant pas le niveau requis. Cependant, ces inconvénients seront progressivement atténués par des efforts d’amélioration de la qualité de l’enseignement et de mise en place de programmes d’adaptation de la formation à l’emploi.
De toute façon, il faut finir par admettre qu’un diplôme de l’enseignement général n’est en aucun cas un titre d’accès automatique à l’emploi. L’accès à l’emploi exige d’autres qualités d’adaptation, d’efficacité et d’audace. En revanche, la formation professionnelle doit nécessairement déboucher sur l’emploi. Ainsi les bénéficiaires d’une formation professionnelle doivent correspondre soit à des besoins effectifs des entreprises existantes, soit concerner des promoteurs de petites, moyennes ou micro entreprises. La formation professionnelle doit coller obligatoirement au marché de l’emploi.
La recherche doit être au service de la production et de la croissance
La recherche doit réintégrer les universités pour utiliser le maximum de compétences, s’orienter résolument vers la recherche appliquée et associer les professionnels dans la définition et la réalisation des programmes de recherche. Cette intégration doit permettre d’éviter la bureaucratisation et la sclérose en organisant la recherche en unités de projets qui s’éteignent à la fin de chaque projet et non en structures administratives permanentes. L’enseignant qui participe à un projet de recherche doit bénéficier d’une réduction des horaires d’enseignement et d’une indemnité de projet. Par ailleurs chaque université doit se doter d’une structure de vulgarisation des résultats de la recherche dont la diffusion sera acheminée par les centres techniques industriels et les groupements interprofessionnels agricoles qui doivent assurer ainsi le lien entre la recherche et les entreprises.
Débrider l’agriculture
L’agriculture est sacrifiée au nom de la défense des consommateurs. Le recours à la fixation administrative des prix des produits agricoles est un acte antiéconomique, un geste antidémocratique et un aveu d’impuissance des pouvoirs publics dans l’identification de l’origine du dysfonctionnement des prix. Les préjudices causés à l’agriculture par l’incertitude sur les prix, sont sans commune mesure avec le soulagement apporté aux consommateurs par la réduction de quelques millimes sur quelques produits sans effet significatif sur l’indice général des prix. Le vrai problème est la contrebande à l’exportation qu’il importe de maîtriser.
L’agriculture libérée présente de grandes possibilités de développement notamment par l’extension de l’exploitation privée des terres domaniales conformément aux cahiers des charges prévus à cet effet.
Sauver l’industrie
Des usines ont fermé. La création d’une industrie exportatrice grâce à la loi d’avril 1972 qui a permis après de longues années d’efforts, d’élever l’industrie mécanique, électrique et électronique au rang de première industrie exportatrice, est menacée. Les risques de voir l’industrie quitter le pays n’échappent à personne. A l’ère de la révolution numérique, le secteur présente de nombreuses opportunités à l’exportation qui dépendent de la confirmation de la stabilité et de la visibilité dans le pays. Un programme de remise à niveau basé sur la modernisation, l’intégration, la formation professionnelle et la disponibilité des zones industrielles, est de toute urgence.
Le tourisme doit repartir
Le tourisme s’enlise saison après saison. Profondément secoué depuis de longues années par l’apparition du terrorisme international, le tourisme a reçu le coup de grâce par la montée de l’intolérance, de l’intégrisme et de l’insécurité dans le pays. Ainsi pour la troisième année consécutive, le secteur est sinistré. Les unités hôtelières avec leurs 240.000 lits sont désespérément sous occupées, les plages devant les hôtels sont quasiment désertes, les personnels désœuvrés, l’artisanat et les activités connexes aux abois. Les 6,9 millions d’entrées de visiteurs, les 32 millions de nuitées des non résidents dans les hôtels et les 3,5 milliards de dinars de recettes touristiques enregistrées en 2010 ont fondu comme neige et paraissent aujourd’hui comme un passé lointain. La timide poussée du tourisme intérieur, indispensable à l’équilibre du secteur, reste limitée aux jours fériés et se trouve contrariée par l’érosion du pouvoir d’achat.
Bien que représentant seulement quelques 5% du PIB en régime normal, le tourisme est une activité économique stratégique en raison de son statut de pourvoyeur de devises et surtout en raison de sa position de plus grand secteur entraînant pour l’ensemble des autres activités. Il est par ailleurs caractéristique de la diversité de l’économie, diversité qui permet à chaque secteur d’amortir l’effet d’un autre secteur qui passe par une mauvaise conjoncture. Le tourisme exclusivement balnéaire à l’origine, constitue un atout majeur grâce à la qualité du climat, des plages et de la mer d’une part et la proximité des principaux marchés émetteurs de touristes d’autre part. Le secteur a amorcé une diversification progressive vers le tourisme saharien, le tourisme de thalassothérapie, le tourisme médical, le tourisme sportif avec le golf et le nautisme. Toutes les régions sont concernées par le développement du tourisme qui permet de faire valoir les spécificités régionales. Le maillon faible du secteur est et demeure la qualité de service qui l’a cantonné dans un tourisme de masse peu exigeant mais peu valorisant.
Le secteur touristique peut et doit rebondir. Il en a les moyens. Il peut progresser et fournir plus d’emplois, plus de ressources en devises et plus d’opportunités de développement aux différentes régions et aux différents secteurs de l’activité économique et sociale. L’État doit assumer ses responsabilités dans la nécessaire libéralisation du transport aérien et dans l’intensification de la formation professionnelle qui doit permettre de disposer de ressources humaines de qualité afin d’élever le niveau du produit touristique. L’assainissement de la situation financière des unités hôtelières en difficulté, nécessite le cantonnement de leurs dettes dans des structures de défaisance afin de libérer leur gestion.
Quand aux problèmes spécifiques au secteur, il faut faire confiance aux professionnels et aux promoteurs qui, une fois libérés du diktat de l’administration, prendront les initiatives nécessaires pour régler progressivement les questions liées à la diversification du produit touristique par la promotion de nouveaux produits tels que le tourisme culturel et l’écotourisme, à la restructuration de la capacité d’hébergement en l’adaptant à la clientèle potentielle ainsi qu’à la libre détermination des actions de marketing une fois remises entre les mains des intéressés.
( A suivre )
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