Le constat des experts de la Banque mondiale concernant la situation économique de notre pays est décevant et les critiques sont plutôt acerbes quant à toutes les perspectives de changement. Cependant, les responsables du FMI sont plutôt favorables lorsqu’il s’agit d’évaluer les réformes engagées par les autorités tunisiennes et ne manquent pas d’attester leur soutien futur pour la relance économique de notre pays.
Régime déchu : un héritage très lourd
L’héritage économique du régime déchu est jugé par la Banque mondiale comme un lourd passif, sur plusieurs plans et à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, celui des entreprises sur lesquelles la famille déchue a mis la main et qui ont été confisquées au lendemain du déclenchement de la Révolution, le 14 janvier 2011.
Il s’agit de pas moins de 220 entreprises réparties dans les secteurs les plus juteux de l’économie : concessions autos, télécoms, matériaux de construction, exploitations agricoles intensives… ces entreprises concentrent 21% des bénéfices du secteur privé, mais ne représentent que 1% de l’emploi procuré par le secteur privé.
Le régime déchu a instauré une administration omnipotente qui détient un pouvoir discrétionnaire sous forme d’agréments et d’autorisations à accorder ou à rejeter, de quotas à distribuer, à renouveler ou à modifier, de cahiers des charges à imposer et à faire souscrire… aux demandeurs
Les lourdeurs réglementaires, la paperasse des dossiers à constituer, les commissions à réunir, les procès-verbaux à rédiger et à faire approuver font de la bureaucratie un monde opaque et ultra-puissant, mais aussi un obstacle difficile à franchir pour les entreprises en général. Bien sûr, c’est aussi un atout et un allié de taille pour les chefs d’entreprises introduits ou apparentés.
La gestion des relations avec l’Administration accapare 25% du temps des PDG. Cela comporte aussi bien les relations avec les directions centrales des ministères que les Offices nationaux et les agences nationales en dépendant et qui bénéficient de certaines délégations de prérogatives.
En effet, les experts de la BIRD estiment que l’entreprise tunisienne est basée sur des privilèges et des rentes accordées aux uns ou aux autres, ce qui ferme la porte à l’émergence de nouvelles entreprises performantes compétitives et donc concurrentes !
La Banque mondiale estime que le code du travail en vigueur en Tunisie n’incite ni à l’investissement ni à la création d’emplois, car il comporte des rigidités au niveau des conditions de licenciement. Une entreprise doit adapter sa capacité d’emplois au volume de ses activités, donc à son carnet de commandes. Il faudrait des facilités au niveau du licenciement pour favoriser le recrutement avec des contrats à durée déterminée et des emplois saisonniers. Or le code du travail tunisien n’admet pas cela.
Selon la BIRD le code d’incitation à l’investissement coûte très cher à l’État, mais n’a pas fait ses preuves en matière de création d’emplois.
En effet, l’État accorde des subventions qui se sont élevées à 30.000 TND par an pour la création d’un emploi, ce qui est cher payé. Alors que seulement 21% des entreprises en ont bénéficié : il y a là une anomalie du système et une injustice qui mérite d’être identifiée et rectifiée.
Les défaillances constatées en matière de développement régional sont restées entières.
Ni volonté, ni capacité de changement
Les experts de la Banque mondiale qui se sont déplacés plusieurs fois en Tunisie pour rencontrer des responsables économiques et interroger des chefs d’entreprises, collecter des statistiques et analyser les chiffres depuis près de quatre ans ont rendu leur verdict.
Ils ont constaté l’incapacité des gouvernements successifs à changer les structures économiques et les méthodes de travail du pays.
L’économie tunisienne continue à être dominée par des lobbies dans différents secteurs d’activité qui empêchent toute concurrence pour continuer à bénéficier de rentes de situation.
L’économie est absente du débat public (sauf depuis les élections), des préoccupations de l’ANC et des décisions des gouvernants.
Le tissu entrepreneurial tunisien est devenu encore plus fragile, car il est dominé par une majorité de PME très vulnérables, alors qu’il y a peu de grandes entreprises.
Or ce sont les grandes entreprises qui disposent de gros moyens financiers et de compétences humaines qui peuvent entreprendre des projets de développement, créer de la valeur ajoutée et promouvoir l’emploi et l’exportation.
La BM estime que pour les autorités tunisiennes toute réforme de structures économiques est considérée comme “un risque” susceptible de faire des vagues, de soulever des levées de boucliers, de gêner les intérêts des uns ou des autres, “il vaut mieux s’abstenir” c’est pourquoi les choses sont restées en l’état.
Une très faible productivité
La Banque mondiale considère que le secteur manufacturier tunisien souffre d’une très faible productivité. En effet, 77% des emplois sont concentrés dans des secteurs à faible productivité : agriculture, textile-habillement, cuir et chaussure, agro-industrie…
Dans 70% des cas, les activités industrielles sont le fait de sous-traitants qui travaillent pour le compte de donneurs d’ordre européens qui gardent pour eux les maillons de la chaîne à forte valeur-ajoutée : conception technologique, élaboration des modèles, commercialisation et sous-traitance en Tunisie, les tâches d’exécution : on vend du coût-minute à des prix compétitifs pour garder les commandes à bas prix.
Alors que les donneurs d’ordre européens réalisent une grande partie de la valeur ajoutée à leur propre profit.
Il aurait fallu, à la faveur du programme de mise à niveau des entreprises industrielles et ensuite lors de la mise à exécution du programme de promotion de l’innovation, amener les entreprises tunisiennes à réaliser des collections complètes de produits allant de la conception des modèles jusqu’aux produits finis, y compris l’étiquetage et le conditionnement, sans occulter la recherche de nouveaux marchés à l’export et la conquête de circuits commerciaux avec implantation de surfaces de vente sur place.
Manque d’intégration économique à deux niveaux
Les experts de la BM trouvent que l’intégration de la Tunisie dans l’espace économique européen est superficielle et plus apparente que réelle.
En effet, il invoquent pour étayer ce constat que 55% des exportations tunisiennes vers les pays de l’Union européenne sont concentrées sur deux pays seulement, la France et l’Italie, qui sont les marchés traditionnels de la Tunisie depuis trente ans. Alors qu’il y a un marché potentiel énorme avec un revenu élevé de 30.000 TND par tête d’habitant et par an dans les vingt-huit pays de l’UE.
Même s’il y a 2.000 entreprises exportatrices en Tunisie, la solution de facilité pour les hommes d’affaires consiste à concentrer leurs efforts sur les pays qu’ils connaissent le mieux et qui sont les plus proches pour des raisons de proximité linguistique et de communication.
La Banque mondiale a constaté que les entreprises tunisiennes sont incapables de dépasser le cap du montage et qu’elles ont un taux d’intégration économique faible avec une valeur ajoutée réduite. Par exemple, les 2.000 entreprises qui pratiquent la confection s’approvisionnent en tissus de l’étranger par le recours aux importations, car nous n’avons pas d’industries de filature et de tissage à l’exception de la toile DENIM (jeans.)
Nous fabriquons en Tunisie plusieurs sortes de composants-autos destinés à l’exportation : faisceaux de câbles électroniques, filtres, batteries d’accumulateurs, amortisseurs, pneus, phares…
Ainsi, 80% des faisceaux de câbles de Mercedes sont fabriqués en Tunisie, mais il n’y a pas d’industrie de montage de voitures automobiles, contrairement à l’Algérie et au Maroc avec Renault.
Le FMI prêt à poursuivre son soutien
Selon M. Ahmed Massoud, directeur du département Moyen-Orient au FMI, l’institution financière internationale est disposée à poursuivre son soutien à la Tunisie par des conseils et une assistance technique et financière.
Rappelons que le 7 juin 2013, le FMI avait donné son accord pour un crédit de 1,7 milliard de dollars US (2,8 milliards de dinars) soit 400% de sa quote-part, ce qui est un indicateur probant de confiance en l’avenir de l’économie tunisienne.
Bien que la Tunisie n’ait pas encore présenté de demande, le FMI serait prêt à financer un autre programme relatif à l’année 2015-2016. Il faut dire que les experts du FMI ont constaté que la Tunisie a engagé certaines réformes comme la restructuration des trois banques publiques et la baisse de la compensation relative aux produits énergétiques.
Il y a également le projet de révision de la compensation des produits alimentaires assorti d’un filet de protection sociale pour les plus démunis, ainsi que la réforme de la politique et de l’administration fiscales. Pour le FMI, les urgences du gouvernement tunisien consistent à faire approuver le projet de loi sur le partenariat public-privé et la loi sur la concurrence et les faillites d’entreprises.
La priorité consiste pour les autorités tunisiennes à améliorer le climat des affaires et à promouvoir l’investissement privé.
Ridha Lahmar