Nous sommes en automne de l’année 538 avant Jésus-Christ. La guerre entre les Perses et les Assyriens est dans une étape décisive. Cambyse, Roi des Perses, accompagne son fils, le Prince Cyrus, jusqu’au front et lui donne des instructions sur les devoirs d’un chef d’armée. Il s’agit, surtout, de savoir comment on pourrait rendre les ennemis soumis et obéissants :
– le moyen m’en paraît bien facile, dit Cyrus, il ne faut que punir ceux qui refusent de le faire.
– Cela est parfait, répond Cambyse, mais l’important est de le faire prudemment pour éviter une riposte démesurée.
– Mais que faut-il faire, demande Cyrus, pour paraître plus habile et plus prudent ?
– Il faut, reprend le Roi, l’être effectivement, et pour l’être, il faut se bien appliquer à sa tâche, en étudier sérieusement toutes les règles et les conséquences, consulter, avec docilité, les plus habiles maîtres. Et comme s’il avait l’intuition que le réalisme ne peut que s’avouer salutaire, il l’encourage à procéder en plusieurs temps : établissement des faits, analyse, interprétation, jugement et surtout, implorer le secours du ciel qui seul, donne la prudence et garantit le succès.
La réponse de l’Iran à l’attaque israélienne contre son consulat à Damas et la riposte, symbolique et non déclarée officiellement, d’Israël, trois jours après, confirment clairement cette «sainte sagesse» persane. Loin du petit jeu d’analyse sémantique auquel se prêtent les misérables acteurs dans le registre burlesque de «la comédie politique» occidentale, avec la complicité moutonnière de plusieurs médias inféodés, cette doctrine morale et tactique parle de tous les temps et demeure donc éternellement actuelle. Elle est contemporaine de toutes les époques, parce qu’elle illustre des attitudes et comportements qui se retrouvent à l’identique au fil de l’histoire des Iraniens. Prudent, précautionneux, calme, calculateur et discret, le pouvoir iranien fait penser au légendaire dromadaire d’Ispahan qui n’avance jamais la patte que pour tâter le sable bouillant du désert en plein jour d’été ! Sur la face sombre, cela peut déboucher sur un désastre stratégique. Mais sur la face lumineuse, celle de l’affirmation de l’identité guerrière iranienne, de la capacité de répondre aux dangers, d’où qu’ils viennent, c’est une force émancipatrice et créatrice. Une sagesse antique, religieuse (chiite) même : il y a une force pour riposter et une prudence pour éviter toute escalade et tenir le cap sur cette mer agitée, imprévisible, tumultueuse à quoi ressemble désormais le Moyen-Orient. Notre navigation dans le passé lointain ne veut pas dire que l’Histoire détient toutes les réponses, mais qu’elle doit contribuer à assagir notre rapport au passé, à lui restituer toutes ses leçons. L’exploration de ses pouvoirs montre qu’elle est indispensable dans la tâche de reformuler les questions et d’y voir plus clair. Mais cette attitude ne rend pas le pouvoir iranien moins énigmatique. Savoir ce qui se passe dans les têtes des Mollahs demeure une interrogation vertigineuse, probablement sans fin. Alors, il faut résister deux fois : d’abord à une certitude historique délivrée de ses conditions, ensuite à la réduction de la certitude historique à ces conditions. Mais cela ne nous empêche pas de confirmer qu’il y a derrière ce bras de fer très périlleux entre l’Iran et l’État sioniste, soutenu aveuglément par l’Occident atlantiste, un match stratégique qui, de part et d’autre, oppose des puissances armées prêtes à allumer une guerre régionale.
Et les Arabes dans l’échiquier ? Ils sont divisés en deux camps irréconciliables : ceux qui admirent l’Iran et ceux qui le détestent, avec une conviction commune qu’il ne faut jamais dire du mal des puissants !