Ce n’est pas encore Lampedusa, mais ce sera le cas si les autorités tunisiennes tardent encore à appliquer la loi. Les flux incessants de migrants subsahariens irréguliers annoncent une crise migratoire inédite que la Tunisie n’a jamais connue.
En 2011, l’arrivée de milliers de familles libyennes fuyant la guerre civile, bien accueillies par des familles et les autorités tunisiennes dans le cadre de la solidarité spontanée et organisée entre pays voisins, n’a rien à voir avec ce qui se passe actuellement à Sfax et ses environs et l’arrivée massive de centaines et de milliers de migrants subsahariens irréguliers, dans le but, disent-ils, de rejoindre les côtes italiennes, clandestinement, sur des embarcations de fortune. Ces flux, de plus en plus importants, inattendus, inexpliqués, injustifiés, non désirés, sont en passe de devenir des bombes à retardement si le problème, aux multiples ramifications, n’est pas résolu à la racine. Des bombes qui ne manqueront pas d’exploser à la face de tous, pays de transit et de destination, si ces derniers continuent de se regarder en chiens de faïence, se jetant mutuellement la responsabilité de l’expansion du phénomène.
L’objectif de ces migrants est de s’installer en Europe, la Tunisie ne devant être qu’un territoire de transit pour rejoindre Lampedusa, le bout de terre européen le plus proche du continent africain. Mais la donne semble changer au détriment de la Tunisie que l’Union européenne, l’Italie en tête, a sollicitée pour contribuer à trouver une solution commune et globale à la migration irrégulière africaine. Tout le monde se souvient des efforts inégalés consentis par la Cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, en 2023, pour convaincre Kaïs Saïed d’adhérer à son plan de gestion de la crise migratoire qui, à terme, devait décongestionner Lampedusa en externalisant (hors des frontières européennes) les procédures d’examen des demandes d’asile et de migration formulées par les migrants africains. Plan refusé par Kaïs Saïed pour, d’abord, sa détermination à ne pas faire de la Tunisie le gendarme de l’Europe ou une terre de transit ou de destination pour migrants irréguliers, puis, pour l’inconsistance du texte, littéralement en faveur des pays européens, proposé à la ratification par le président tunisien. Une attitude qui signifie que la souveraineté et la sécurité nationales n’ont pas de prix et que des députés européens avaient jugé inadmissible venant d’un président tunisien accusé en février 2022 de racisme et de tenir un discours « haineux » contre les migrants subsahariens. Déjà à l’époque, Kaïs Saïed avait alerté l’opinion publique locale et internationale du danger et des non-dits de ces flux massifs de migrants irréguliers qui cherchaient à rejoindre les côtes italiennes à travers la Tunisie. Une alerte dénoncée par les ONG et les associations s’occupant de migrations clandestines mais par laquelle la vérité et les desseins cachés ont été révélés, à savoir que la Tunisie devait accepter d’abriter des centres d’accueil pour migrants irréguliers, où les dossiers de demande d’asile seraient examinés ; en cas de refus, le migrant s’installera en Tunisie s’il le veut.
La Tunisie serait-elle victime d’un complot ? L’évolution de la situation de plus en plus dégradée dans la région de Sfax, surtout dans les délégations d’Al Amra et de Jebeniana, semble le confirmer. Des actes de violences entre migrants et locaux, des agressions de migrants contre des habitants, dont des femmes, des terres agricoles squattées, des oliveraies transformées en camp de migrants et des affrontements avec les forces de l’ordre, sans oublier les problèmes de manque d’hygiène, de maladies transmissibles…
Alors que l’on s’attend à ce qu’elles se mobilisent pour apporter assistance aux migrants et contribuer à trouver des solutions radicales, les ONG se contentent de critiquer les autorités tunisiennes et de fustiger les forces de l’ordre et les agents de la Garde nationale quand ils interviennent pour rétablir l’ordre et la sécurité publics. Un parti pris que les habitants ne comprennent pas et qui suscite même leur colère dès lors que les dégâts sont visibles au grand jour et que l’insécurité est ressentie par tous.
Aujourd’hui, la situation est intenable, le pire est à craindre et les autorités tunisiennes sont tenues de faire respecter les lois de la République sans état d’âme. La France et l’Italie en donnent bien l’exemple parfait dans cette affaire en expulsant des migrants indésirables vers leurs pays d’origine. Toutefois, la crise des migrants subsahariens qui frappe la Tunisie et qui menace l’Europe ne peut être résolue que dans le cadre de plans de gestion concertés qui tiennent compte des intérêts de chaque partie. Un député de la région d’Al Amra et de Jebeniana affirme que la crise est plus profonde qu’elle ne le paraît, dépassant le volet social et humanitaire, et qu’elle implique des parties malintentionnées intéressées par les profits économiques et d’autres, par des objectifs politiques qui ciblent la stabilité de la Tunisie à la veille de l’élection présidentielle.
L’Exécutif n’a pas d’autres choix que de passer à la vitesse supérieure pour éviter le pire. Jusque-là, les autorités tunisiennes ont assumé leurs responsabilités au niveau de l’accueil et de la prise en charge des migrants conformément à leurs engagements internationaux. Mais les autorités tunisiennes ont également la responsabilité de faire respecter l’ordre public et la sécurité nationale. Elles doivent pour cela faire appel aux pays d’origine, de transit et de destination, ainsi qu’aux organisations internationales, pour trouver les solutions idoines qui s’imposent, qui préservent simultanément les droits des migrants et ceux des pays concernés par la crise migratoire. Les puissances économiques et militaires mondiales devraient, d’ores et déjà, réfléchir sur l’urgence d’éteindre les feux des guerres, notamment en Afrique, comme au Soudan, et œuvrer à entretenir des relations de partenariat équitable avec les pays du continent noir, afin de protéger durablement leurs frontières sans craindre que des pays mal nantis soient débordés par la crise migratoire, comme le pourrait être la Tunisie, et deviennent incapables de barrer la route de l’Europe aux flux incessants de migrants.
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