Et si l’Islam n’était qu’un alibi ?

Depuis la chute du gouvernement malien en mars dernier, les groupes terroristes prennent en otage le Nord Mali et menacent la stabilité de toute la région. Trouver une solution pour rétablir la paix dans le pays est de plus en plus urgent, surtout que l’alliance entre terrorisme et trafic de drogue ne fait que se renforcer davantage.

 

«Le cas du Mali pourrait se reproduire dans chacun de nos pays, si nous ne trouvons pas de solutions, en tant qu’Africains. Jusque-là, nous avons fui notre responsabilité. Aujourd’hui, nous devons faire quelque chose, si nous ne voulons pas à notre tour devoir quitter nos maisons», affirme Ahmedou Ould Abdallah, président du Centre 4S (Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel saharien qui vient d’organiser le 30 et 31 août à l’hôtel Alhambra (Hammamet) un colloque international sur le thème «Situation au Sahel Sahara et acteurs extérieurs». Les experts internationaux, les ministres et les ambassadeurs qui y ont pris part ont analysé le problème sous toutes ses facettes en cherchant à suggérer des pistes de solution.

 

Les groupes terroristes, qui sont-ils et quels liens entre eux ?

Bien que leur existence dans la zone du sahel date de 2003, les groupes terroristes ne sont apparus sur le devant de la scène qu’avec la chute du régime malien le 22 mars dernier. La prise du Nord Mali a révélé au grand jour leur menace, leur nombre (environ 6000 individus) leur organisation et leurs liens avec les narcotrafiquants.

Trois grands groupes semblent gérer la zone : Ansar Eddine, MUJAO (créé en 2011) et AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique). Les trois vivent de rançons perçues lors de la prise d’otages et de l’alliance avec les trafiquants de drogues, essentiellement latino-américains. Ces groupes avaient initialement fait alliance avec le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) avant que ce dernier se trouve mis à l’écart.

Serge Daniel, correspondant de RFI et de l’AFP au Mali et spécialiste de l’islamisme armé explique qu’Al Qaida voudrait créer un émirat sur place et élargir son influence pour englober toute la région du Sahel.

Mais il souligne qu’«elle n’a aucunement un projet de société à défendre». Son objectif est essentiellement de contrôler le trafic d’armes et de drogue. La cocaïne arrive, en fait, de l’Amérique latine via des bateaux ou des avions, débarque en Afrique de l’Ouest et remonte jusqu’au Nord Mali. Les terroristes assurent son acheminent vers le Maghreb puis vers l’Europe. Un pickup (petit camion) de cocaïne a une valeur de 60 pickups de haschich. D’où l’intérêt du trafic. De plus, les pickups ne rentrent pas vides, mais reviennent chargés d’armes.

Si les groupes terroristes ont pu s’installer et se ramifier au Nord Mali, c’est aussi parce qu’ils ont réussi à s’allier la population locale qu’ils font en partie profiter de l’argent des rançons et de la drogue, en faisant du social.

Serges Daniel, qui va régulièrement dans cette zone, affirme que les patrouilleurs sont des locaux. Par ailleurs, on recrute des mineurs de 6 à 14 ans, sans parler des candidats à l’émigration qui, en transitant par le Mali pour aller vers l’Europe, se trouvent bloqués sur place et enrôlés par les combattants terroristes.

Hachim Sidi Mohamed, un notable de Tombouctou, exilé actuellement en Mauritanie après avoir fui le pays la veille de l’arrivée des groupes terroristes, décrit la réalité sur le terrain : «Les groupes terroristes contrôlent tout : la sécurité, l’administration, la justice et appliquent à la lettre la chariaâ en coupant les mains et en pratiquant la lapidation. Là-bas, tout est interdit : fumer, écouter de la musique…»

Mais ces groupes sont loin de servir uniquement leurs propres intérêts comme le précise Mehdi Taje, géopoliticien, lequel estime qu’ils sont au service d’agendas extérieurs, notamment des Etats-Unis, de la France et même de l’Algérie. Selon lui,  les services de renseignements algériens ont tissé des liens avec l’AQMI et l’influencent. Résultat : la résolution du conflit tarde.

Une nouvelle donne vient s’ajouter à cette situation, c’est la jonction actuelle avec d’autres groupes terroristes en dehors du Mali, à savoir Boko Haram (Nigeria) et Al Chabab  (Somalie). Les liens entre eux sont organiques, car les objectifs sont les mêmes, le contrôle du marché de la drogue et des armes en Afrique.

 

Le marché juteux des otages et de la drogue

Les intervenants au colloque ont soutenu unanimement que l’enjeu de la présence terroriste au Nord Mali et dans la région du Sahel est avant tout lié à l’argent. Car il existe dans ce vaste terrain non contrôlé par aucune autorité et dominé par le désert, un marché juteux qui englobe à la fois la prise d’otages et le narcotrafic.

La première prise d’otage de l’AQMI date de 2003, avec l’enlèvement d’une vingtaine d’otages en Algérie.

L’Allemagne avait payé 5 millions d’euros pour libérer ses ressortissants. C’est là que le groupe terroriste a compris la manne d’argent que pouvait lui rapporter ce type d’action. Ensuite, les opérations se sont multipliées. Maintenant, il demande entre 90 et 100 millions d’euros.

Son exemple a été suivi par les autres groupes terroristes. Ainsi pour se faire connaître, le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest, créé en 2011) a procédé au kidnapping de trois humanitaires occidentaux des camps sahraouis de Tindouf.

Mais outre cette source importante d’argent, existe aussi le narcotrafic. Alain Antil, chercheur à l’Institut français des relations internationales, précise qu’entre 80 et 125 tonnes de cocaïne par an passent par l’Afrique de l’Ouest.

Naturellement, le prix au départ est très différent de celui à l’arrivée. En effet : un kilo de cocaïne coûte en Colombie 2400 euros. En arrivant en côte ouest-africaine (Sénégal ou Guinée Bissao), il est vendu 8000 euros. En transitant ensuite, par les capitales du Sahel, son prix grimpe pour atteindre 10 000 euros. En débarquant en Afrique du Nord, la somme monte à 20 000 euros et enfin en Europe, destination d’arrivée, le prix varie entre 30 000 et 45 000 euros. Ces chiffres, qui représentent le prix de gros, donnent déjà une idée sur la manne que ce trafic peut générer.   

«Il est arrivé que la valeur des saisies de drogue par la police dans des pays comme le Sénégal, la Mauritanie et la Guinée Bissao représente plus que le budget d’un ministère !», souligne Antil, qui a aussi cherché à expliquer les raisons de l’expansion d’un tel trafic. Il a donc évoqué les budgets limités alloués par les Etats pour combattre le phénomène, la facilité de corrompre sur place et de trouver des partenaires ayant des connexions dans différents milieux, l’impunité en cas d’arrestation et l’absence de peines lourdes et enfin la facilité de blanchiment d’argent localement.

Plusieurs acteurs prennent part à ce trafic qui touche la majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest tels la Guinée Bissao, la Guinée, la Sierra Leone, le Libéria, le Bénin, le Togo, le Nigeria, le Sénégal et le Mali. Il s’agit des organisations latino-américaines et européennes (mafias italienne et de l’Europe de l’Est, milieu criminel colombien et espagnol…) ; des trafiquants sahariens ; des individus issus de la diaspora africaine (installés en Europe et gardant des connexions avec les pays d’origine) ; des Européens utilisés individuellement par les organisations mafieuses ; et des lobbies et des mafias d’Etats (hauts responsables politiques, hommes d’affaires, individus proches du sommet du pouvoir). Les conséquences de ce trafic se répercutent sur la hausse de la criminalité et du blanchiment d’argent ainsi que sur le financement des groupes armés et des élections.

 

La résolution du conflit : pourquoi tarde-t-elle ?

Ne pas réagir face au trafic prospère de drogue, soutenu par un terrorisme qui se renforce dans la région, pourrait faire du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest en général, un territoire de non-loi et donc une menace continuelle à l’échelle régionale, mais aussi internationale. C’est la raison pour laquelle la résolution de la situation au Nord Mali s’avère plus qu’urgente.

Pourtant, depuis six mois, la crise a commencé et l’on ne semble pas arriver à prendre des résolutions. Les désaccords sur les points de vue autour d’une intervention militaire ou non, la multiplication des médiateurs et les divergences des intérêts des pays riverains sont les raisons invoquées par les intervenants lors du colloque.

La CEDAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) est en train de jouer un rôle principal pour la gestion du conflit, mais beaucoup d’observateurs trouvent que cette organisation est manipulée par des acteurs étrangers, notamment européens, qui voudraient influencer la situation. L’Algérie et la Mauritanie, qui ne sont pas membres de l’organisation, voient d’un mauvais œil la politique activiste de la CEDAO. Les experts présents ont estimé que le rétablissement de la paix au Nord Mali passe d’abord par une vaste concertation entre les pays du champ (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger), mais aussi avec des pays riverains tels que ceux de l’Afrique du Nord. Une concertation d’autant plus nécessaire qu’il y a de grands désaccords pour régler la situation au Nord Mali. Certains pays sont pour une intervention militaire, d’autres s’y opposent farouchement, ainsi l’Algérie, laquelle préfère le recours aux canaux diplomatiques. La multiplication des médiateurs : européens, américains, africains n’arrange pas non plus le problème et crée davantage de confusion. 

 

L’Algérie : la grande énigme

La position de l’Algérie semble intriguer tout le monde : on ne comprend pas encore aujourd’hui pourquoi elle refuse d’intervenir militairement. «S’il voulait résoudre le conflit, l’Etat algérien aurait pu le faire en une journée, puisqu’il approvisionne le Nord Mali en vivres et en carburants. Il lui suffit de fermer ses frontières», affirme Moussa Ould Mahamd Amar, rédacteur en chef du journal mauritanien Biladi.

Qu’est-ce qui explique donc cette réticence ?

Mehdi Taje, estime que l’Algérie voudrait d’un côté montrer qu’elle est un acteur incontournable dans la résolution du conflit et qu’aucune solution ne peut aboutir sans son consentement, d’autre part, elle ne chercherait pas réellement une solution, car elle considèrerait le Mali comme une profondeur stratégique pour elle y ayant des intérêts qu’elle cherche à protéger. Taje compare son attitude à celle du Pakistan vis-à-vis de l’Afghanistan.

Un avis qui n’est pas partagé par André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) en France, lequel considère que l’Algérie a des raisons fortes de ne pas accepter de gérer militairement la crise : elle a d’abord peur de la reprise des opérations djihadistes sur son territoire comme forme de représailles. De plus,  «elle est confrontée à des conflits internes, à cause de la guerre de succession du Président Bouteflika».

Mais au-delà de la position de l’Algérie,  la situation au Nord Mali ne pourrait pas se résoudre que militairement. Un effort sur le plan diplomatique et politique est requis.

Les intervenants au colloque ont souligné la nécessité de rétablir tout d’abord l’Etat malien. Un Etat faible ou disloqué ne peut que servir l’hégémonie terroriste. Il devrait se baser sur des institutions élues démocratiquement et représentatives des différentes franges de la société, afin d’éviter l’exclusion (ayant été à l’origine du coup d’Etat). Un effort est aussi nécessaire au niveau diplomatique, en engageant des pourparlers avec les différents groupes qui contrôlent le Nord Mali. «Mais il ne faut jamais négocier avant le combat !» alerte un ancien diplomate

Ahmed Ounais, ancien ambassadeur tunisien, a suggéré, lui, la création d’un conseil national transitionnel représentatif de toutes les composantes de la société malienne, dont la mission serait d’identifier une stratégie de sortie de crise qu’il discutera ensuite, avec une structure régionale regroupant les pays du champ et les pays riverains. D’autres intervenants ont proposé l’organisation d’une conférence internationale incluant tous les concernés par la question malienne pour avoir une vision commune de la solution.

De telles suggestions ont été incluses dans le document final du colloque, lequel s’est voulu une sorte de think tank sur la crise. Une crise qui a provoqué jusque-là le départ de 250 000 réfugiés vers les pays voisins.  

 

Hanène Zbiss 

 

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