La société civile, un contre-pouvoir ou un acteur politique ?

Hélé Béji et Ridha Tlili ont animé la dernière table ronde du Forum Réalités intitulée «La société civile, un contre-pouvoir ou un acteur politique ?». Bien que les débats ont porté plus sur la notion de société civile.

Que sur son rôle en Tunisie, ils ont contribué à éclairer les ressorts théoriques de ce concept apparemment controversé.

 

Qu’est-ce que la société civile ?

Pour commencer ce débat, Hélé Béji prend la parole afin de définir ce qu’est la société civile via une série d’interrogations laissant chacun se faire sa propre opinion en la matière. «Qui est la société civile ? Quels sont les membres de cette aristocratie ? Comment se recrutent-ils ? Qu’est-ce qui autorise ses membres à s’auto-élire représentants du genre humain ? Il existerait donc quelque part une société plus vraie que la société tout court ? Une âme sociale supérieure à la société inférieure ? Mais qui décide que ceux-ci font partie de celle-là ? Qui a ce pouvoir discrétionnaire ?».

Elle répond «qu’en réalité, on ne cherche pas la société civile dans la société, elle n’existe pas. La société civile n’a aucune réalité sociale à proprement parler. Qu’est-ce que la vie civile ? La vie civile est précisément cette dialectique fabriquée de civilité et d’incivilité, de sociale insociabilité. C’est-à-dire une structure propre à toute existence en conflit avec elle-même et avec les autres. Donc la société civile n’existe pas. La société civile est toujours une société incivile. C’est la société civile incivile». Selon l’intervenante,  personne en dehors de l’État ne peut être le représentant de l’intérêt général et, par conséquent, surtout pas la société civile. L’erreur qui est facile à commettre serait de croire que la société civile va agir et s’exprimer dans le sens de l’émancipation, chose totalement fausse selon Madame Béji. Elle ajoute même que «la société civile peut tout produire : de l’intolérance, du fanatisme…

La raison n’est pas toujours émancipatrice. Si cette société avait existé, la politique n’aurait pas lieu d’être. Ce qui met au défi une société civile c’est le contrat social. L’homme est un animal politique, il est tout sauf un animal civil. Où naissent les guerres civiles sinon dans la société civile ? Par définition, une société civile est une société désarmée, non-armée, elle n’est pas militaire. Donc on défend la société civile par des moyens militaires et on tue au nom de la société civile. Cette société civile n’est pas à l’abri du jeu des intérêts privés. La société civile a grandi dans la déception politique.» Pour appuyer ses dires, Madame Béji n’hésite pas à faire mention d’hommes politiques tels que Bernard Kouchner  qui a toujours travaillé du côté de la société civile et a «fini du côté du pouvoir.»

 

Le rôle des associations

Ridha Tlili quant à lui met en exergue le rôle des associations dans un contexte révolutionnaire et en dégage trois catégories. «La société civile, qui n’est pas organisée, est issue de la Révolution. La Révolution a mis sur la scène trois acteurs qui sont le peuple, les jeunes et les régions. La société civile a été celle qui a été la plus active depuis le 17 décembre jusqu’à aujourd’hui. Au moins 20% des associations en Tunisie s’activaient dans la clandestinité. C’est en fait une manière indirecte d’accéder au pouvoir. La société classique est composée du syndicalisme et du corporatif. Il y a des associations en Algérie, en Tunisie ou au Maroc mais qui fonctionnent uniquement à travers les agendas des bailleurs de fonds. 

Ce qu’il y a en commun, c’est le fait d’utiliser un cadre juridique pour s’activer sur le plan politique, idéologique ou éthique. Pourquoi les associations, depuis leur naissance, ont-elles toujours été en connivence avec les médias ? La société civile est cette instance qui alimente l’information politique. Une partie de ces structures sont des entreprises familiales. C’est un secteur qui est aussi économique et qui dégage beaucoup d’argent. Quand on voit ce que l’Union européenne a accordé en 2011 comme financement à certaines associations, on constate que ce sont des entreprises économiques, ce n’est plus du volontariat. La société civile est complexe, composite, diversifiée et vise à la capitalisation des moyens financiers et des moyens humains. Il s’agit de structures organisées qui ont besoin d’alliances avec le pouvoir.»

 

La société civile tunisienne

Souad Chater préfère souligner ce qu’est la société civile tunisienne avec toute sa particularité et sa diversité en abordant des thèmes variés qui ont été de véritables facteurs de la Révolution tels que le rôle des réseaux sociaux. «La société civile est-elle l’expression de la souveraineté populaire ? Elle est formée par les différents acteurs dans l’espace public au-delà des institutions politiques, militaires ou religieuses. Je la définis donc comme expression effective ou virtuelle de la souveraineté populaire.

Elle s’érige désormais en acteur politique de la démocratie directe face à la représentation politique et aussi en contre-pouvoir. La Révolution tunisienne a mis en valeur le rôle des instances spontanées agissant en contrepoids du pouvoir. La population civile est un réservoir d’acteurs qui s’engagent, se mobilisent ou s’expriment dans l’espace des confrontations. Facebook et Twitter ont joué un grand rôle. Les réseaux sociaux peuvent soutenir les mouvements de la société civile, mais ils sont souvent l’expression de la rumeur non contrôlée, une sorte de radio-trottoir. Désormais, les composantes de la société civile sont des acteurs sur l’échiquier politique. À la suite des assassinats politiques, la société civile tunisienne a soutenu l’opposition démocrate. La rédaction d’une Constitution moderne, la sauvegarde des droits de la femme, la liberté de l’information et l’indépendance de la justice sont une belle avancée. L’adoption de la charia et le changement du statut de la femme ont été écartés. Les dérives de la société sont possibles. La société civile tunisienne est en état de veille pour sauvegarder les acquis.»

 

La légitimité dans les actions civiles

Naïla Charchour pose quant à elle la légitimité des actions dites «civiles». «La société civile est un engagement citoyen pour aider les citoyens. Le financement va leur donner une certaine légitimité. La société civile ne devrait pas être financée par l’étranger, elle devrait être financée par des Tunisiens, car ce sont les Tunisiens qui vont lui donner sa légitimité. Si elle sert d’outil politique, c’est justement parce que les politiques n’ont pas le droit d’être financés par l’étranger et donc ils passent par des associations. Parfois il y a des sommes faramineuses qui viennent d’Europe et on se demande pourquoi ils font ca.  Je préfère que chaque Tunisien donne 5 dinars ou 10 dinars plutôt que de l’argent venant de l’étranger pour que les Tunisiens puissent fabriquer l’avenir du devenir politique. Ce qui différencie la Révolution tunisienne de l’égyptienne, c’est justement la société civile, contrairement à l’Égypte où se sont des militaires qui ont pris le dessus. Je crois que nous sommes un exemple à donner à l’ensemble de la région.»

Inès Aloui

 

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