Transport : le ministre fait-il la sourde oreille?

Chaque année, près de100 accidents de train ont lieu en Tunisie. On se souvient encore du drame de Djebel Jelloud, en décembre 2016, où 5 personnes, dont un bébé, ont péri, sans compter celui du bus scolaire de Mornag, où une jeune fille de 17 ans a perdu la vie. Anis Ghedira, ministre du transport, a affirmé que 80% des accidents sont dus à des erreurs humaines. Vraiment ? Pas si sûr, monsieur le ministre, si l’on considère les déclarations d’un certain Issam Alfitati, ancien co-conducteur de train au sein de la Société Nationale des chemins de fer (SNCFT).

Renvoyé pour avoir accompli son devoir
Intervenant dans l’émission Hak Maak du jeudi 9 janvier, Issam Alfitati a fait part de révélations troublantes, qui donnent à réfléchir, notamment sur les engagements du gouvernement à lutter contre la corruption et les dépassements au sein de l’administration publique.
Travaillant depuis 2000 au sein de la SNCFT, il affirme qu’il a été renvoyé pour avoir dénoncé les dysfonctionnements dans les trains qui menacent non seulement la sécurité des voyageurs, mais aussi celle des conducteurs. « J’ai présenté de nombreux rapports aux supérieurs hiérarchiques, ainsi que des preuves sur les causes des accidents, notamment l’absence de pédales de veille automatique de sécurité dans la cabine du conducteur, qui permettent au conducteur de signaler sa présence au train. S’il n’appuie pas, le train s’arrêtera par sécurité », a-t-il déclaré.
Il poursuit en affirmant qu’il s’était adressé à l’administration. « J’ai subi plusieurs sanctions, jusqu’à ce que je sois renvoyé en octobre 2015, après 16 ans de carrière sans avoir commis la moindre faute professionnelle. On reçoit l’information, mais sans la prendre au sérieux. On n’ouvre le dossier que lorsqu’il y a accident », déclare-t-il encore.

Tabassé par le directeur et son fils puis enfermé
Plus grave encore : croyant avoir accompli son devoir pour sensibiliser sur la dangerosité de la situation, Issam Alfitati affirme avoir subi des violences physiques et verbales de la part du directeur de l’administration et de son fils qui y travaillait également. « Le gardien de l’administration a fermé la porte et le directeur m’a aussitôt giflé. Son fils, pour sa part, m’a battu. Je n’ai pas réagi, car ç’aurait pu dégénérer. On m’a laissé enfermé, livré à moi-même, dans l’administration. J’ai ensuite appelé la police qui m’a demandé de briser la porte pour aller vers eux. « Non », j’ai répondu. Les agents sont arrivés, mais je n’ai pas été accompagné par le directeur et son fils, mais plutôt par le représentant juridique de la SNCFT qui a tout de même relayé les faits. Seulement voilà, l’affaire est restée au poste de police depuis 2011″, raconte-t-il. .
Nombreux sont les dysfonctionnements constatés par l’ex co-conducteur : l’état déplorable des rails, ou encore les signalétiques en panne. « La société a acquis une plaque tournante pour une valeur de 300 000 TND. Son rôle est de changer la direction du train, mais actuellement, elle est submergée par l’eau des pluies. Et si elle est submergée, le moteur risque de ne plus fonctionner. J’ai envoyé plus de 15 correspondances pour exiger une enquête sur ces dysfonctionnements, mais sans réponse, que ce soit de la part du ministère du transport, de celui de l’intérieur, de la présidence du gouvernement, ou du procureur de la République », explique encore Issam Alfitati. Et d’ajouter : « il n’y a que Sarra Rejeb qui a répondu à mes correspondances en 2010, alors qu’elle était directrice générale des transports terrestres au sein de la SNCFT. J’ai été appelé à me rendre à la direction locale de la société. Cependant, le ministère du Transport m’a clairement demandé de changer le contenu négatif de mon rapport, pour qu’il accepte de m’accorder son soutien. Chose que j’ai refusée ».

Omerta
Un récit qui laisse sans voix, surtout lorsque l’on se rappelle, comme souligné plus haut, des déclarations officielles mettant en cause les erreurs humaines et les facteurs climatiques. Ce qui choque davantage, est l’immobilisme et la sourde oreille des autorités citées par Issam Alfitati. Comment peut-on oser parler de lutte contre la corruption et la protection des dénonciateurs en Tunisie, aujourd’hui, alors que des pratiques ignobles et inacceptables sont observées dans le secteur des transports, notamment à la SNCFT ? Ce qui est plus grave, c’est que c’est la vie des citoyens qui est en jeu. 16 ans déjà que cet ancien co-conducteur de trains tente, et le fait encore, de sensibiliser sur la gravité de la situation. 16 ans, et chaque année qui passe apporte son lot de malheur et de cœurs brisés à des familles qui perdent leurs proches dans les accidents.
La SNCFT a de véritables  comptes à rendre à ce sujet. Au ministre de s’en charger. Le temps est à l’action et non aux discours et autres déclarations sans lendemains.

M.F.K

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