La souveraineté nationale dans le monde post-global (1)

La question de la souveraineté nationale est revenue dans le débat politique au cours des dernières années pour devenir au centre des préoccupations des analystes et des acteurs politiques. Ce débat a également retenu l’attention des grandes banques internationales et des grandes entreprises multinationales. Ce large débat public est marqué par le retour en force du concept de souveraineté nationale, non seulement dans les débats intellectuels, mais aussi dans les politiques publiques pour devenir un grand sujet de préoccupation des acteurs politiques et économiques.

Ce retour en force de la question de la souveraineté est venu rompre trois décennies de consensus sur la sortie de cette problématique suite au développement rapide de la globalisation et qui a annoncé la fin des frontières de l’Etat national et l’entrée avec la globalisation dans une ère de coopération et d’interconnexion qui dépasse la géographie telle qu’elle a été définie par la paix de Westphalie en 1684.

Mais, ce consensus a volé en éclats avec la multiplication des crises et leurs conséquences sur tous les pays du monde, de la crise de la pandémie de la Covid-19 jusqu’aux effets de la guerre en Ukraine. Ces crises ont montré la montée des grands dangers et de la grande fragilité du monde que la globalisation a cherché à construire et la grande dépendance qu’elle a créée à travers le monde. Nous vivons depuis dans une ère qui a rompu avec celle de l’abondance et qui est marquée par une plus grande pénurie de matières premières et de biens semi-industrialisés, particulièrement suite à la crise sanitaire et à la guerre.

Ces pénuries et les grandes peurs qui règnent sur notre monde posent un important défi aux hommes politiques et aux politiques publiques qui essaient de parvenir à un important niveau d’auto-suffisance au sein des frontières de l’Etat national comme une alternative à ces crises qui menacent la sécurité et la stabilité des pays.

Mais, avant de proposer quelques idées sur ces grands questionnements, revenons d’abord au concept de souveraineté nationale et à ses fondements philosophiques et politiques.

Aux origines du concept de souveraineté nationale

Avant d’être un concept politique, la souveraineté est avant tout un concept philosophique qui a été discuté par les plus grands philosophes, d’Aristote à Hobbes, Rousseau, Hegel et Marx.

Ce concept met l’accent sur la capacité des Etats à exercer leur volonté et leur souveraineté dans le cadre du respect de la loi et dans la recherche de l’intérêt général de leurs peuples. Toutes les définitions de ce concept mettent l’accent sur un principe important qui est la supériorité de l’intérêt national et collectif sur tous les autres dans la définition des grandes priorités des politiques publiques.

L’analyse du concept de souveraineté nationale ne se limite pas aux analyses théoriques et conceptuelles mais s’intéresse à sa traduction dans les réalités politiques, économiques et sociales à travers des notions et des indicateurs juridiques compris dans les constitutions qui expriment la volonté collective et sa supériorité sur tous les autres principes et particulièrement ceux qui proviennent de l’étranger.

La plupart des définitions philosophiques et intellectuelles mettent l’accent sur les domaines d’expression de la souveraineté nationale dans la réalité, notamment ceux de la sécurité étrangère à travers la diplomatie et la défense nationale, la sécurité intérieure, la justice, l’économie et les finances. Cette conception de la sécurité nationale a été prolongée dans les sociétés modernes dans de nouveaux secteurs, notamment la santé, l’éducation et la culture.

La souveraineté nationale a connu différentes formes dont la souveraineté des régimes politiques royaux ou la souveraineté populaire.

Le concept de souveraineté nationale n’est pas récent et, au contraire, il remonte loin dans l’histoire. Il a fait l’objet d’un grand intérêt de la part des intellectuels, des philosophes et des hommes politiques qui ont cherché à travers l’histoire à lui donner un contenu concret en rapport avec les spécificités historiques des sociétés et de leur évolution ainsi que leur conception des sources du pouvoir et de ses domaines d’organisation et de gouvernance. Ce concept a toujours mis l’accent sur l’importance de la volonté nationale dans la gestion du pouvoir et dans la mise en place des politiques et des grands choix de société.

L’Etat-nation va constituer l’univers et l’ordre qui va connaître l’émergence et le développement de la souveraineté nationale dans les sociétés modernes et qui sera durant trois siècles au centre de la culture et de l’action politique dans le monde.

La souveraineté et l’Etat-nation

Les rapports étroits entre le concept de la souveraineté nationale et l’Etat-nation remontent à la paix de Westphalie du 24 octobre 1648 qui a mis fin à la guerre des trente ans en Europe. Cet accord de paix a mis l’accent sur des principes essentiels qui vont constituer les fondements de la souveraineté nationale dont l’interdiction de l’intervention dans les affaires internes des nations, le respect de leurs décisions internes et de leurs grands choix. Ce concept sera le principe qui va régir les relations entre les Etats au cours des trois siècles passés. La déclaration de la création des Nations unies en 1948 va donner l’expression moderne de ce concept et en faire la règle de fonctionnement du monde moderne en réaffirmant de nouveau le principe de la non-intervention dans les affaires internes des nations. Même si cette déclaration a indiqué les exceptions qui permettent de sortir de ce principe, elle a mis des conditions très strictes pour justifier le non-respect de ce principe.

La souveraineté va constituer la règle qui va organiser les relations internationales et l’organisation des rapports entre les pays. Les Etats vont alors respecter ce principe en cherchant à dominer et à maîtriser toutes les activités politiques, économiques et sociales qui se déroulent au sein de leurs frontières géographiques.

Au niveau politique, le principe de la souveraineté nationale va s’exprimer dans la supériorité des lois et des législations nationales internes sur toutes les autres sources législatives. En même temps, l’objectif des institutions politiques, particulièrement des partis et des grandes organisations de masse, sera de défendre l’intérêt national et dans l’appui à l’Etat dans la construction de sa souveraineté et dans sa défense. Les appareils de l’Etat, particulièrement sécuritaires et militaires, vont chercher à défendre la sécurité nationale contre les dangers externes.

La question de la souveraineté ne se limitera pas aux questions politiques mais va se prolonger au niveau économique et l’Etat cherchera à organiser la croissance et le développement dans les frontières nationales. Cette prééminence nationale se fera à travers les priorités économiques, les règles et les lois qui régissent les activités économiques. Les règles douanières par exemple cherchent à imposer le contrôle de l’Etat sur les relations commerciales internationales pour défendre la production nationale et la réduction des importations. De même, les lois sur l’investissement cherchent à protéger les investisseurs nationaux face à la concurrence des sociétés étrangères. Les politiques monétaires des Banques centrales ont également joué un rôle dans la défense de la souveraineté nationale dans le domaine économique.

Cet exercice de la souveraineté ne s’est pas limité aux domaines politiques et économiques mais a également touché la vie sociale dans les sociétés modernes comme les secteurs de la santé, de l’éducation et d’autres comme la culture et le sport.

Cette vision de la souveraineté a dominé le monde depuis la paix de Westphalie pour devenir le cadre de fonctionnement des relations internationales et d’organisation du pouvoir politique et de l’économie particulièrement avec le développement du capitalisme et la révolution industrielle dans la seconde moitié du 19e siècle et se prolongera après la Seconde Guerre mondiale.

Mais, cette vision ne signifie pas l’absence de relations internationales et l’ouverture sur le monde. Elle suppose un contrôle strict de cette ouverture et la mise en place de règles très rigides dans cette ouverture sur le monde.

Or, si cette vision a dominé le monde au cours de trois siècles et a fait de la relation étroite entre l’Etat national et la souveraineté, le fondement de la vie politique et sociale, elle va entrer en crise à partir du début des années 1980 pour laisser sa place à la « globalisation heureuse ».

A suivre…

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