La théorie des contrats fêtée par le Nobel

 

Le prix « Nobel » d’économie pour l’année 2016 vient d’être octroyé à l’économiste finlandais Bengt Holmström et à l’économiste américano-britannique Oliver Hart. Ce prix est accordé depuis 1969 par la Banque centrale de Suède en hommage à Alfred Nobel et connu depuis comme le prix Nobel d’économie.
Les lauréats de cette année viennent confirmer l’hégémonie de l’école américaine et des universités américaines sur ce prestigieux prix et cette reconnaissance majeure dans le champ économique. En effet, Oliver Hart, 68 ans, enseigne à Harvard et Holmström, 67 ans, enseigne aux fameux MIT. Et, rares sont les lauréats qui sont venus perturber cette hiérarchie et la domination des universités américaines, hormis le Français Jean Tirole qui enseigne à Toulouse.
Le prix de cette année a été accordé à ces deux professeurs en reconnaissance à leurs travaux dans le développement de la théorie des contrats. Une théorie qui a été développée dans les années 1970 par trois universitaires américains : Michael Spence, George Akerlof et le chouchou des mouvements altermondialistes, Jospeh Stiglitz. Le point de départ de cette théorie est la critique des théories libérales ou ce que les économistes appellent les théories néo-classiques qui stipulent que le marché est capable d’assurer la cohérence et la coordination des projets économiques de tous les acteurs économiques et les intervenants sur les marchés. Point d’intervention de forces externes et notamment l’Etat. Le marché est en mesure d’assurer l’équilibre des offres et des demandes de l’ensemble des acteurs économiques et les prix qui s’établissent sur le marché, qui sont les indicateurs de rareté, seront en mesure d’assurer la coordination et de parvenir à un équilibre sur les différents marchés.
Or, l’histoire a montré que le capitalisme n’est pas un long fleuve tranquille et cette longue marche a été jonchée de crises majeures qui ont failli l’emporter. Ces crises ont montré les grandes difficultés et l’incapacité de la « main invisible » pour reprendre les termes d’Adam Smith pour assurer la coordination des différents projets des acteurs économiques et de parvenir à un grand équilibre sur les marchés économiques. Ce sont ces dysfonctionnements et cette instabilité constante du fonctionnement des économiques décentralisées qui ont justifié dans l’histoire du capitalisme le recours à des forces exogènes et particulièrement à l’Etat afin d’assurer la stabilité à partir de la grande crise de 1929 et qui a donné naissance au keynésianisme.
Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer l’instabilité des économies décentralisées ou des systèmes marchands. Et, beaucoup d’économistes ont avancé leurs propres raisons. Les pères fondateurs de la théorie des contrats ont expliqué dès le début des années 1970 que l’asymétrie d’informations à la disposition des acteurs économiques au moment de leurs transactions est à l’origine des dysfonctionnements des économies de marché. Ces économistes ont ainsi remis en cause l’hypothèse de l’information parfaite qui est au cœur du modèle conventionnel et qui constitue un pilier essentiel de l’équilibre du marché. Ainsi, l’imperfection de l’information et l’asymétrie pour y accéder deviennent la norme dans la réflexion économique. L’exemple qui est souvent cité par ces économistes est celui du marché des voitures où le vendeur connaît les problèmes de la voiture qu’il met sur le marché, ce qui n’est pas le cas de l’acheteur. Cette asymétrie demande la mise en place d’outils et de contrats transparents qui mettent sur le même pied d’égalité les différents partenaires dans une transaction économique.
Cette théorie a eu un important succès dans les années 1970 et des applications pratiques notamment dans le domaine de l’assurance. La théorie des contrats a eu également des applications dans ce que les économistes appellent « l’aléa moral» et qui concerne les prises de risque des acteurs économiques et le fait qu’ils peuvent dépasser les lignes rouges lorsqu’ils sont persuadés que leurs contrats sont assez solides ou que leurs tailles constituent un risque systémique pour les gouvernements qui ne les abandonneront pas. Les crises financières ont constitué un exemple qui a montré la capacité des grandes banques à prendre des risques inconsidérés persuadées que les pouvoirs publics les soutiendront du fait du risque systémique qu’elles représentent. L’argument « too big to fail » a été au cœur de l’aventurisme des grandes banques qui a failli mener le système global à sa faillite.
La théorie des contrats a été d’une grande utilité, non seulement au niveau théorique dans la critique de la théorie néo-classique, mais aussi du point de vue pratique en aidant à formuler des propositions pour échapper aux dysfonctionnements du marché. Et, les lauréats du prix Nobel de cette année ont contribué au développement de cette tradition théorique notamment dans le domaine microéconomique. Ainsi, Holmström s’est intéressé à la question de la rémunération des dirigeants des grandes entreprises. Hart s’est de son côté intéressé aux accords de partenariat entre public et privé notamment dans les travaux d’infrastructure.
Le prix Nobel cette année est venu honorer deux économistes dont l’essentiel de la recherche et de la réflexion s’est fixé pour objectif de trouver des solutions concrètes pour le fonctionnement des économies de marché, loin des affirmations idéologiques de la pensée libérale.

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