Par Sami Mahbouli*
Pour nous extirper de l’ambiance fétide dans laquelle nous sommes plongés et que certains de nos médias et les réseaux sociaux entretiennent à coup de rumeurs et de règlements de comptes nauséabonds, la meilleure solution est de prendre de l’altitude pour respirer l’air pur que dispense l’œuvre d’intellectuels tunisiens de valeur.
Après m’être penché sur le parcours du ministre et écrivain Béchir Ben Slama, c’est pour moi un grand honneur de m’intéresser à celui du Docteur Ahmed Touili. Rendre hommage à nos intellectuels actifs et en vie me paraît plus louable que d’attendre qu’ils ne quittent ce bas monde.
Connu dans la sphère académique et intellectuelle de notre pays, il ne l’est pas assez par le grand public : quand on a consacré sa vie à faire découvrir les joyaux de la littérature arabe et islamique de la Tunisie depuis le 7e siècle, quand on a exprimé sa passion pour l’histoire de ce pays à travers près de 130 livres, on mérite amplement d’être reconnu et célébré par le plus grand nombre de nos compatriotes.
Né au début des années 40 dans une honorable famille kairouanaise, il a grandi aux côtés d’un père enseignant, Cheikh Taieb Touili, auteur d’écrits théologiques, qui lui a transmis l’amour des lettres arabes et le goût pour l’histoire de cette vieille terre ifrikienne.
Sa thèse de doctorat sur la littérature tunisienne durant la période hafside reste une référence incontournable pour tous les chercheurs sur cette question.
Une fois la retraite administrative atteinte, Dr.Touili a redoublé d’activité intellectuelle et s’est, à l’évidence, assigné pour mission sacrée de promouvoir le patrimoine culturel et historique tunisien. Tous les ans, il réalise le tour de force de publier plusieurs livres consacrés à des aspects parfois peu connus de l’histoire de Tunisie.
La ville de Kairouan, la plus ancienne et vénérable cité tunisienne, qui a donné au pays d’illustres savants comme l’imam Sahnoun, Ibn Abi Zaid, Ibn Jazzar, et tant d’autres, occupe une place particulière dans l’œuvre d’Ahmed Touili ; il consacre, en effet, à sa terre natale plusieurs ouvrages qui en restituent toute la grandeur.
Dans la continuité d’un Hassen Hosni Abdelwahab, Dr.Touili croit, mordicus, à l’existence d’une civilisation tunisienne, brassage de la culture islamique et de toutes celles qui ont façonné notre pays depuis 3000 ans. Tous ses livres exhalent cette passion pour l’histoire et le patrimoine culturel d’un pays qui a offert à l’humanité des génies comme Ibn Khaldoun et non pas Churchill, n’en déplaise au député Elloumi…
Ce qui force réellement l’admiration c’est, entre autres, la fécondité littéraire de Dr. Touili : qui peut se targuer, à une époque où la paresse intellectuelle est si manifeste, d’avoir produit plus d’une centaine de monographies, élégamment écrites et bien documentées ?
Si les biographies de personnalités tunisiennes anciennes et contemporaines occupent une place de choix dans son œuvre, Dr.Touili ne se borne pas à relater les faits et s’applique dans tous ses ouvrages à mettre en évidence les phénomènes culturels et sociaux qui caractérisent les différentes époques. En cela, il se range parmi les historiens adeptes de l’École des Annales qui, par son approche globale et transversale, a profondément révolutionné l’historiographie au 20e siècle.
On doit également au Dr. Touili d’avoir sorti de l’oubli des ouvrages de chroniqueurs du 18e et du 19e siècles tels que Sghaier Ben Youssef ou de Béji Messaoudi auxquels il a apporté des corrections et qu’il a enrichis d’annotations.
En 2020, il a ressuscité un ouvrage fort intéressant d’un lettré peu connu du 19e siècle, Mohamed Ben Slama, consacré à Ahmed Bey 1er, souverain réformiste et moderne qui a régné de 1837 à 1855.
Sans Dr. Touili, cet ouvrage dont il n’existe plus qu’un seul exemplaire à la Bibliothèque Nationale, presque illisible, aurait sombré dans un oubli définitif au grand dam de tous les amateurs de l’histoire tunisienne.
L’intérêt majeur des livres d’histoire du Dr Touili est, probablement, leur accessibilité au plus grand nombre. En dépit de la rigueur de la recherche et de la qualité de la rédaction, celui-ci évite à dessein la sophistication et l’extrême densité des ouvrages universitaires qui les condamnent à n’être lus que par une poignée de spécialistes.
La vulgarisation de l’Histoire a des bienfaits incalculables pour mettre à portée du simple lecteur les phases les plus importantes de notre passé et les hommes qui s’y sont illustrés.
En aidant à la compréhension et à la connaissance de notre histoire, Dr. Touili contribue à renforcer le sentiment d’appartenance à cette terre si féconde que des obscurantistes formés sur les bancs de médersas douteuses méprisent tant.
En mettant en exergue notre passé glorieux, nos grands hommes et le raffinement de la culture tunisienne depuis la nuit des temps, Dr. Touili prodigue une forme de thérapie contre les poisons et les mensonges que des parties malveillantes cherchent à instiller dans l’esprit de nos concitoyens.
Il y a une Tunisie éternelle, pétrie de civilisation et porteuse de valeurs universelles, qui vibre dans toutes les pages des livres du Dr. Touili ; leur lecture est, à elle seule, un remède contre les doutes qui nous assaillent et un acte de résistance contre la vermine qui, dans l’ombre, travaille à l’anéantissement de notre nation. γ
*Avocat et éditorialiste