Par Hakim Ben Hammouda
La thèse de l’échec de l’Islam politique on la doit à Olivier Roy qui a publié un essai remarqué intitulé « Echec de l’Islam politique » en 1992. Cet essai a fait le tour de la planète et a été traduit dans plusieurs langues du fait de la vigueur intellectuelle de son auteur considéré par beaucoup comme probablement l’un des meilleurs spécialistes de l’Islam politique en France. Mais, en dépit de son intérêt, cette thèse a été reçue froidement à l’époque, dans la mesure où la fin des années 1980 et le début des années 1990 ont été marqué par une montée importante de l’islamisme politique devenu la principale force d’opposition aux régimes autoritaires et corrompus après l’échec des forces de gauche. Mais, Olivier Roy a tenu bon et a confirmé sa thèse sur l’échec de l’Islam politique au sens où la plupart des forces islamistes et particulièrement la composante hégémonique de ces mouvements, les Frères musulmans, ont délaissé le projet messianique de construction du califat islamiste gouverné par la charia et se sont convertis dans la démocratie moderne et cherchent à trouver une place dans le jeu politique traditionnel.
Cette thèse a été confortée quelques années plus tard par d’autres essayistes comme Gilles Kepel avec un essai aussi remarqué et intitulé « Jihad » publié en 2000 et par l’essai d’Antoine Basbous intitulé « L’islamisme, une révolution avortée ». Ces nouveaux essais et bien d’autres travaux mettaient l’accent sur la conversion de l’islamisme politique au jeu de la démocratie moderne dans ses pratiques politiques et aux Droits de l’Homme dans ses fondements politiques et idéologiques. Ces travaux théoriques ont été confortés par une évolution des pratiques politiques des mouvements islamistes dont certains comme en Jordanie, au Maroc ou en Tunisie ont participé aux élections législatives et cherchent à devenir des acteurs politiques du jeu démocratique. Cet engagement s’est conforté avec le tournant répressif du milieu des années 1990 dans la plupart des pays arabes et les mouvements islamistes ont cherché à s’allier avec les oppositions démocratiques pour faire face au renferment des régimes arabes dans une logique autoritaire et répressive qui les avait pris pour cible dans un premier temps avant de s’étendre à l’ensemble des forces d’opposition. En Tunisie, la grève de la faim du 18 octobre 2005 à laquelle avaient pris part des personnalités de la gauche démocratique comme Néjib Chebbi, des militants d’extrême gauche comme Hamma Hammami, des militants proches du mouvements d’Ennahda et des militants des Droits de l’Homme a illustré cette large alliance entre les islamistes et la gauche pour lutter contre la répression.
Pour certains, cette conversion de l’islam politique à la démocratie est tactique et les mouvements islamistes cherchent à desserrer le verrou de la répression qui s’est abattu sur eux en trouvant d’autres alliés politiques. Pour les défenseurs de cette thèse, l’islamisme politique reste fondamentalement millénariste et croit dans le projet du retour à l’âge d’or du califat et d’un règne sans partage de la charia. D’autres, au contraire, défendent l’idée de la fin du projet fondamentaliste et de la conversion définitive de l’islam politique au jeu de la démocratie moderne.
Cette thèse de la fin de l’islam politique sera fortement remise en cause avec les attentats de 2001 aux États-Unis. Pour beaucoup, ces attentats sont la preuve que la conversion démocratique des mouvements islamistes est illusoire et que le rêve originel d’un État islamique est plus que jamais au cœur du projet islamique. Mais, ces évènements aussi spectaculaire soient-ils n’ont pas remis en cause la thèse de la fin de l’Islam politique et n’ont fait que la renforcer dans la mesure où beaucoup ont analysé El Qaïda et le terrorisme islamiste comme les derniers soubresauts de cet échec.
Cette thèse trouvera une nouvelle jeunesse avec le Printemps arabe pour deux raisons au moins. D’abord, les mouvements islamistes n’ont joué qu’un rôle marginal dans ses révoltes, ce qui renforce l’idée de leur relative marginalisation dans un contexte d’émergence d’une nouvelle cyber-dissidence post-moderne. Par ailleurs, l’ouverture de l’espace politique allait offrir un espace pour les mouvements islamistes et renforcer leur conversion à la démocratie et leur éloignement du projet de la révolution islamique et de l’avènement de la charia.
Cette thèse était en discussion vendredi passée à Beit El Hikma avec Olivier Roy à l’invitation d’une nouvelle association, le Conseil méditerranéen pour la recherche scientifique. Olivier Roy a défendu de nouveau sa thèse sur la fin du projet idéologique de l’Islam politique en expliquant que, à l’image de l’AKP en Turquie, la plupart de ses mouvements vont se convertir dans des projets conservateurs. Cette thèse a été accueillie avec beaucoup de circonspection dans la salle et les participants au débat ont exprimé de grandes inquiétudes devant le rôle de plus en en plus actif joué par le salafisme dans sa composante messianique comme dans son aile violente et djihadiste et les dangers qu’ils représentent pour la démocratie naissante.
La place et le rôle de l’islam politique est une question qui restera au cœur du débat public dans nos pays comme ailleurs dans le monde. Espérons comme l’a souligné Olivier Roy que la complexité de nos sociétés invitera ces mouvements à des positions moins idéologiques et beaucoup plus pragmatiques, ce qui éloignera le spectre de l’extrémisme et mettra les sociétés arabes sur la voie de la démocratie et de la pluralité.